Assad devra choisir : sauver Damas ou sauver Alep ? par Lina Kennouche

Article  •  Publié sur Souria Houria le 11 juin 2015

Les prises de Jisr el-Choughour, d’Idleb et de Palmyre par les groupes armés ont entraîné un affaiblissement significatif du régime de Damas. La perte de contrôle de plus des 2/3 du territoire par les forces loyalistes a relancé les rumeurs sur la chute irrémédiable du régime de Bachar el-Assad, réélu il y a un an jour pour jour à la tête de la Syrie. Qu’en est-il réellement sur le terrain ?

La prise d’Idleb par l’Armée de la conquête. Photo AFP

 

Parmi les principales difficultés auxquelles le régime de Bachar el-Assad est aujourd’hui confronté, le difficile renouvellement des effectifs de l’armée n’est pas des moindres.
Malgré l’ensemble de structures édifiées après la guerre comme levier de mobilisation et de renforcement de l’armée, il n’en demeure pas moins que les troupes loyalistes manquent cruellement de recrues. Selon une source anonyme proche de Damas, « en juillet dernier, 20 mille nouvelles recrues étaient attendues, or il y en a eu moins de six mille ». Ce constat est confirmé par Joshua Landis, directeur du Centre pour les études sur le Moyen-Orient et professeur à l’Université d’Oklahoma. Selon lui, la menace directe provient du fait que, d’un côté, les effectifs sont de plus en plus réduits pour les forces loyalistes, de l’autre, les groupes armés sont « aujourd’hui de plus en plus organisés, reçoivent une aide logistique importante et des fournitures en armes de plus en plus sophistiquées. L’avantage dont disposait le régime en raison de sa force de frappe aérienne s’efface, puisqu’il a désormais face à lui des groupes équipés en canons dont la capacité destructrice permet de s’attaquer à des bâtiments dans lesquels s’abritent les soldats de l’armée loyaliste au cours des guérillas urbaines ».
(Portrait : Les Assad : tel père, tel fils)

Le régime ne contrôle plus aujourd’hui que 30 % de l’ensemble du territoire en Syrie. Depuis les sévères revers subis dans le Nord, Idleb et Jisr el-Choughour, le pouvoir central éprouve également de nombreuses difficultés à surmonter la crise morale à laquelle il est en proie. Ces lourdes pertes ont amené l’armée du régime à prendre conscience de la nécessité de se réorganiser. Selon la même source anonyme proche de Damas, « les éléments qui sont soupçonnés de ne pas avoir accompli correctement leur mission sont écartés, le chef de la commission de sécurité a été limogé il y a deux jours ».

 

 

Les points forts
Il y aurait néanmoins des éléments qui permettent de penser que le régime de Bachar el-Assad dispose encore de ressources et d’avantages pour tenir ses positions.
Premièrement, les groupes armés n’obéissent pas aux mêmes logiques, ne suivent pas le même agenda, et leurs intérêts entrent déjà en conflit. La structure de collaboration entre certains de ces groupes est fragile, et les actions coordonnées sont tributaires du contexte.

Deuxièmement, dans la confrontation entre les combattants du Hezbollah et les groupes armés dans le Qalamoun, il n’y aurait pas de bataille acharnée. Selon une source proche du Hezbollah, la contre-offensive du Qalamoun minutieusement préparée a permis de reprendre les positions les plus importantes. Les combattants de l’Armée syrienne libre sont estimés environ à 1 200, et les effectifs de Daech à 800, soit un total de 2 000 avec une alternance de combattants tous les 3 jours. Le gros des troupes engagées provient des camps de réfugiés situés en dehors des zones contrôlées par l’armée syrienne. Ces camps assurent l’approvisionnement aux groupes armés. Mais les ravitaillements parviennent de plus en plus difficilement en raison des embuscades tendues par les combattants du Hezbollah. Par ailleurs, si le Front al-Nosra peut se prévaloir de son expérience en matière de minage et de fabrication d’explosifs, sur le plan de l’action militaire, son efficacité serait plus limitée.

 

Qui contrôlait quoi en Syrie en mars 2015


Enfin, troisièmement, si le régime ne contrôle plus aujourd’hui qu’environ 30 % du territoire, ces zones représentent encore 60 % de la population syrienne en comparaison avec ce que Daech aurait conquis : 50 % d’un territoire dont 2/3 des zones sont désertiques. En outre, depuis août 2013, les tentatives des groupes armés clairsemés de mener des incursions dans les zones tenues par les alaouites ont été mises en échec. Si l’objectif prochain pourrait être Lattaquié, il semble difficile cependant d’imaginer que les groupes armés marchent en direction d’Alep. En effet, la ville demeure le bastion du régime et concentre près de 50 mille forces de défense réparties entre les effectifs de l’armée, les brigades de défense nationale, les comités populaires, la sécurité de l’armée de l’air, les unités d’élites comme la garde républicaine, etc. Une route de plus de 200 km entre Alep et Deir ez-Zor, qui sert de voie d’approvisionnement, reste contrôlée par les forces du régime. Si les groupes armés choisissent d’attaquer Alep, l’erreur tactique se révélera coûteuse puisque le risque d’un encerclement par les forces de l’armée loyaliste en nombre écrasant est quasi inévitable. Cela reviendrait à épuiser leurs forces dans une zone des plus hostiles, car, contrairement à Idleb ou Jisr el-Choughour, la classe commerçante bourgeoise sunnite d’Alep constitue la base même du régime de Damas.

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Évolutions fatales
Pour Joshua Landis, si une offensive contre Alep, qui affaiblirait et diviserait les groupes armés, serait bénéfique à Bachar el-Assad, ce dernier risque lui-même de se retrouver contraint d’accepter un lourd compromis. « Il semble que les divergences entre le régime de Damas et l’Iran sur la stratégie à suivre sont importantes. Beaucoup pensent aujourd’hui que l’Iran, pour qui la priorité absolue reste le maintien coûte que coûte du régime de Damas et la survie du Hezbollah, est prêt à accepter le scénario de la partition. En ce sens, Téhéran pourrait attendre de Bachar el-Assad qu’il cède et désengage ses troupes d’Alep pour les redéployer aux portes de Damas de sorte à renforcer les défenses de la capitale », dit-il. « Mais le président, qui raisonne encore en baassiste, espère reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire. Il ne semble pas comprendre que la survie même du régime implique la partition de la Syrie », explique le directeur du Centre pour les études sur le Moyen-Orient.

Qui contrôlait quoi en Syrie en août 2014

M. Landis insiste particulièrement sur le renforcement des capacités offensives de ces groupes armés. Selon lui, « le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie veulent une victoire définitive, ils ont les moyens de financer cette guerre le temps nécessaire à l’effondrement du régime. Si Bachar el-Assad campe sur ses positions, les évolutions à venir pourront lui être fatales », explique le professeur, qui fait allusion à une offensive sur Damas, inévitable selon lui.
Joshua Landis estime cependant que le régime n’a pas planifié ce moment. « Damas n’est pas la muraille de Chine, et les capacités offensives de plus en plus développées des groupes armés vont certainement compromettre la stratégie de défense à l’œuvre jusque-là. Il ne suffit plus de se retrancher dans une caserne, un bâtiment, une école ou un hôpital. Il va falloir opérer des choix stratégiques, retirer des troupes de certaines zones et redéployer les effectifs autour de la capitale pour empêcher la prise », dit-il. Dans ce scénario, reste à savoir quel sera le premier à s’engager sur le chemin de Damas. Une percée depuis le Nord par L’Armée de la conquête ? Depuis l’Est par l’État islamique ? Depuis le Sud par L’Armée syrienne libre ? Et, surtout, qu’adviendra-t-il lorsque ces groupes se feront face ?

 

source : http://www.lorientlejour.com/article/927943/bachar-el-assad-devra-choisir-sauver-damas-ou-sauver-alep-.html

date : 02/06/2015