Au cœur de la de machine de guerre syrienne : l’opération César par Omar al-Assaad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 novembre 2015

Au cœur de la de machine de guerre syrienne : l’opération César

par Omar al-Assaad, 16 novembre 2015

traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier

Photo_عمر الأسعد_Omar

Dans le cadre des  rencontres mensuelles qu’elle organise les derniers dimanches du mois, qu’anime l’écrivain et éditeur syrien Farouk Mardam-Bey, l’association « Syrie Liberté » (Souria Houria) a accueilli la journaliste et écrivaine française Garance Le Caisne, auteur de l’ouvrage Opération César : Au cœur de la machine de guerre syrienne (paru aux éditions Stock). Sa conférence a été placée sous ce même intitulé, qui en a constitué l’axe principal.

Garance Le Caisne a tout d’abord présenté un Syrien dont l’identité ne peut bien entendu pas être révélée, « César ». Il s’agit d’un photographe employé par la police militaire du régime de Bachar al-Assad. Avant le début de la Révolution en Syrie, celui-ci travaillait également en tant que photographe de la justice militaire : il prenait en photo les corps de (soldats) victimes d’accidents de la circulation, d’assassinats ou ceux de soldats décédés de diverses autres causes. Mais un bouleversement total de sa vie professionnelle s’est produit au lendemain du déclenchement de la Révolution syrienne lorsqu’il reçut l’ordre de prendre en photo des corps de personnes arrêtées mortes sous la torture, en plus de son travail habituel consistant à certifier des clichés de militaires du régime Assad tués. Durant cette période, il a découvert que les corps dont il avait reçu l’ordre de les photographier présentaient des traces manifestes de tortures ou de blessures par balles, nombre de ces cadavres portant les stigmates évidents d’une dénutrition extrême.

Il a réussi à transmettre ses constats à l’un de ses amis proches auquel il a révélé son intention de faire défection de l’armée. Garance Le Caisne a expliqué que César aurait pu s’enfuir de Syrie, mais que son ami, un jeune homme engagé et actif dans la Révolution, lui a demandé de demeurer à son poste dans l’armée et de conserver copie des clichés des cadavres qu’il réalisait à des fins de ‘documentation’ (pour les services d’Assad) afin que ces clichés puissent fournir des preuves incontestables et accablantes des exactions du régime Assad.

La plupart de ces clichés ont été pris dans l’Hôpital Tishrîn (Octobre) et dans l’hôpital militaire de Mezzé (un quartier situé au sud-ouest de Damas, ndt) connu sous le nom d’ « Hôpital 601 ».

En ce qui concerne le protocole observé par les services de répression du régime pour documenter les cadavres de ses victimes, Mme Le Caisne a expliqué que les noms de ces dernières n’apparaissent jamais en clair : on y substitue des numéros, qui sont écrits le plus souvent en gros caractères sur le front des victimes, ces numéros s’en voyant adjoindre un autre écrit en caractères plus petits immédiatement au-dessous des premiers. L’on pense que les premiers font allusion au numéro d’écrou du prisonnier, tandis que les numéros écrits en caractère plus petit au-dessous des premiers référeraient au service de sécurité par lequel la victime avait été emprisonnée, comme par exemple la « branche 215 », un des services de la Sécurité militaire. Durant une première période consécutive au déclenchement de la Révolution syrienne, chaque cadavre se voyait attribuer un numéro qui était enregistré sur le registre ad hoc du centre concerné. Mais avec l’augmentation du nombre des assassinats et du nombre des personnes ayant été arrêtées et étant mortes sous la torture, le protocole d’archivage des victimes a changé : c’est ainsi qu’un même numéro de code a commencé à être attribué à des groupes de cinq suppliciés, puis l’on est passé à l’attribution d’un même numéro de code à dix suppliciés, et enfin à celle d’un même numéro de code pour une cohorte de vingt suppliciés répertoriés.

L’auteure a ensuite évoqué certains détails que lui a confiés « César » au cours de son témoignage, dont le livre est un récit. Il a notamment évoqué dans ses témoignages de la discrimination confessionnelle qui règne dans les centres de détention des services de sécurité tant à l’encontre des détenus qu’entre les fonctionnaires et les employés du secteur de la sécurité en Syrie eux-mêmes. Ainsi, il a mentionné une discrimination fondée sur les fiefs communautaires des détenus, que le pouvoir utilise comme moyen de pression. La peur, l’angoisse et la suspicion sont omniprésentes parmi les éléments sévissant dans les centres des services de sécurité : ceux-ci ont généralement peur les uns des autres.

En ce qui concerne la manière dont les clichés des victimes ont pu être ‘exfiltrées’ de Syrie, Mme Le Caisne a indiqué qu’au travers d’échanges entre « César » et un de ses amis militants, ce dernier a réussi à établir avec lui une liaison avec une des formations armées oppositionnelles de l’Armée Syrienne Libre via une clé ‘USB’ que ladite formation armée a réussi à faire sortir de Syrie, à la suite de quoi elle a réussi à exfiltrer « César » de Syrie vers un pays voisin, où il a demandé l’exil politique à un pays d’Europe du Nord.

La conférencière a indiqué que son travail journalistique sur le témoignage de « César » a commencé en janvier 2014. Sur ces entrefaites, certains mouvements musulmans oppositionnels avaient adopté ce dossier et produit un film documentaire sur ces témoignages, certains des clichés de victimes ayant été diffusés par certaines sources d’information dans le monde entier. Puis, au printemps 2014, l’organisation Amnesty International a décidé de parrainer ce dossier du point de vue juridique. Durant la même période, la France a tenté d’obtenir le vote par le Conseil de Sécurité de l’ONU (en avril 2014) d’une résolution condamnant les crimes perpétrés par le régime syrien (contre ses prisonniers) en se fondant sur le dossier des clichés clandestinement exfiltrés par « César ». Mais ce projet de résolution s’est heurté aux vétos tant de la Chine que de la Russie. En été 2014, « César » est arrivé à Washington, où il a rencontré plusieurs responsables politiques, dont des membres du Congrès des États-Unis – devant lesquels il a témoigné lors d’une audition, dans le cadre d’une initiative politico-judiciaire visant à faire condamner les crimes du régime syrien perpétrés à l’encontre des prisonniers de ses centres de détention (et de torture).

Mme Le Caisne a ensuite présenté certains détails et certaines réalités que révèle son livre et qu’elle a pu recenser au travers de l’étude de témoignages d’ex-prisonniers syriens des centres d’interrogatoire du régime qu’elle a pu rencontrer au cours de ses visites dans divers pays où ceux-ci résident, avec lesquels elle a mené de nombreux entretiens. Au travers de ces témoignages apparaissent au grand jour les horreurs de la torture et les « méthodes » mises en pratique dans les caves des services sécuritaires syriens, des témoignages qui révèlent l’ampleur de la violence subie par les prisonniers syriens, une violence avec laquelle s’établit un lien avec les témoignages et les photographies prises par « César », le photographe qui a fait défection de la police militaire syrienne.

Elle a expliqué les conditions auxquelles les prisonniers sont soumis dans les centres de détention. Elle a souligné les provocations et les chantages des membres des services de sécurité auxquels ils sont exposés, ainsi que les sévices que subissent leurs membres de leur famille non encore arrêtés : des extorsions de fonds, notamment (des rançons étant exigées d’eux s’ils veulent voir libérer leurs proches), de plus en plus fréquentes dans la période récente.

Cette rencontre a été illustrée de témoignages confiés par certains ex-prisonniers à Mme Le Caisne et figurant dans son livre. L’on y entend des aperçus de ce à quoi ils ont été soumis lors de leurs périodes d’incarcération en fait de brutalités d’une sauvagerie extrême, de traitements inhumains dans les centres des services de sécurité du régime syrien. Ces témoignages comportent des détails très importants sur l’atmosphère générale dans laquelle se déroulent les arrestations, sur la manière dont les personnes arrêtées sont maltraitées, ainsi que sur les méthodes de torture et d’investigation mises en œuvre par le régime syrien, notamment ces nombreux transferts de prisonniers entre plusieurs des multiples services de sécurité syriens et les « aveux » forcés d’actes qu’ils n’ont jamais commis que ces services cherchent à leur arracher en recourant littéralement à tous les moyens.

 

عمر الأسعد – في قلب آلة الموت السورية عملية سيزار