Conditions politiques nécessaires à la promotion de la paix en Syrie par Isabelle Hausser

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 mars 2016

Conditions politiques nécessaires à la promotion de la paix en Syrie

Intervention Isabelle Hausser PARIS 13/4/2016: DÉBAT « MESSAGES DE PAIX POUR LA SYRIE« 

Etant la seule à ne pas être originaire de Syrie ni même du Proche-Orient, je suis très touchée d’avoir été invitée à ce débat. Je m’exprimerai ici au nom de l’amitié et de l’affection que j’ai pour le peuple syrien dont ceux qui me connaissent peuvent témoigner. Ce que je vais dire sera donc une modeste contribution au débat et qui, bien sûr, n’engage que moi.

Cela étant dit, je voudrais souligner que je crois indispensable de parvenir à une paix en Syrie tout d’abord et surtout pour que prenne fin le cauchemar que vit ce pays depuis cinq ans. Mais aussi parce ce que ce qui se passe en Syrie a aujourd’hui produit des métastases non seulement dans tout le PO, mais aussi en Europe. De ce fait, la paix en Syrie est aujourd’hui devenue indispensable à la paix en Europe et je dirais même à la préservation des valeurs de l’Europe.

Quelles sont les conditions politiques à la paix ? Je les rangerai en trois catégories : les conditions ultimes, les conditions intermédiaires et les conditions immédiates.

 

  1. Il y a deux conditions ultimes à la paix
  2. Une évolution très profonde du régime, voire un changement de nature du régime

Ce que veut le peuple syrien depuis le début de la révolution, c’est la chute du régime, comme le montrent de manière éclatante les manifestations qui ont lieu à la faveur du cessez-le feu. Et il est clair qu’il n’y aura pas de paix tant que le régime sera en place.

Si l’on peut objecter que le régime a encore des soutiens, nous en connaissons tous, parmi ceux-ci rares sont ceux qui sont prêts à exempter Assad de toute responsabilité.

Que reste-t-il de ce régime aujourd’hui ? Avant l’intervention russe, on pouvait avoir le sentiment qu’il était en train de s’effondrer de l’intérieur. Depuis l’intervention russe, il est probable que le changement de nature ne pourra se faire que par étapes, par un processus de transition.

 

  1. L’isolement et la défaite de Daech

– Parce que l’Etat islamique est un corps étranger à la Syrie ;

– Parce que par sa nature même il empêchera toute réforme démocratique en Syrie ;

– Parce que tant qu’il sera implanté sur le territoire syrien, il y aura une présence étrangère en Syrie – au sol (EI) et dans les airs – et donc une réduction de sa souveraineté.

 

Pour réaliser ces conditions ultimes, il faut cependant que soient réunies les conditions intermédiaires à la paix.

 

 

 

  1. Il y a deux conditions intermédiaires à la paix
  2. Le départ d’Assad est la clef de l’évolution du régime

1) Il faut d’abord en finir avec l’argument soutenu par les Russes et que semble parfois reprendre implicitement l’administration Obama que, sans Assad, tout s’effondre car tout est imbriqué : Etat, armée, services de sécurité et, probablement en partie, administration.

Mais Assad n’est plus aujourd’hui qu’un fondé de pouvoir des Iraniens et des Russes. Ce sont bel et bien les Russes et les Iraniens qui portent à bout de bras le régime. Ce fondé de pouvoir conserve cependant le pouvoir de bloquer toute évolution du système, notamment parce qu’il garde le pouvoir de nomination des chefs des services de sécurité.

 

2) La vérité est qu’Assad est un pion que, pour l’instant, ses soutiens ne veulent pas sacrifier.

Il est indispensable pour les Iraniens qui n’ont confiance ni en la communauté alaouite ni en l’armée syrienne qu’ils ont dû suppléer.

Quant aux Russes, ils mettront un point d’honneur à ne pas faire comme les Américains qui ont lâché Moubarak et à soutenir un allié qui, pour eux, symbolise les institutions de l’Etat.

 

3) La vérité est aussi qu’Assad a perverti les institutions syriennes et qu’on peut faire l’hypothèse que l’administration ne s’écroulerait pas si Assad partait, de même qu’on peut soutenir qu’à condition de donner des garanties à la communauté alaouite, l’armée – exsangue et irritée par l’omniprésence iranienne – se rangerait derrière le nouveau régime.

 

  1. Il faut une impulsion russe pour faire partir Assad

Même si on n’a pas le sentiment aujourd’hui que les Russes soient sur le point de lâcher l’homme qu’ils ont contribué à remettre en selle, ils ont souvent répété qu’ils n’étaient pas « mariés à Bachar al-Assad » (il se fait périodiquement rappeler à l’ordre par les Russes, comme lorsqu’il déclare que son but est la reconquête de toute la Syrie). On peut donc supposer qu’ils finiront par comprendre que leur intérêt n’est pas de maintenir Assad au pouvoir coûte que coûte.

 

En effet :

– Ils ont fait la démonstration de force qu’ils souhaitaient au Proche-Orient : personne ne peut plus imaginer régler la crise syrienne sans eux.

– S’ils veulent se réconcilier avec les Sunnites (ce dont ils ont besoin pour des raisons de politique intérieure et extérieure), il leur faudra sacrifier Assad.

– Ils savent en outre que s’ils mettent fin à leur intervention, les vastes zones sunnites qu’ils ont aidé à reconquérir vont retourner aux mains de la rébellion.

– Inversement, s’ils prolongent leur intervention, celle-ci va leur coûter de plus en plus cher financièrement (l’économie russe ne va pas très bien), politiquement (s’ils commencent à perdre des hommes, un syndrome afghan n’est pas à exclure), en termes aussi de réputation internationale (même s’ils ont jusqu’ici surtout montré qu’ils n’avaient pas peur de commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité). Ils seront alors extrêmement exposés et vulnérables. Poutine peut alors penser qu’Assad ne vaut pas un tel risque.

– De surcroît, tôt ou tard, se posera la question de la divergence d’intérêts entre Moscou et Téhéran. Leurs approches ne sont en effet pas identiques. Si elles convergent aujourd’hui, il peut venir un moment où elles seront incompatibles.

A ce moment-là, soit les Russes mettront les Iraniens devant le fait accompli en tablant sur le fait que les Iraniens n’ont que des leviers limités, soit ils devront négocier avec eux le départ d’Assad. Et ce jour-là, la négociation portera sur le maintien des milices chiites (le Hezbollah syrien), le maintien des biens acquis en Syrie, voire un Taëf syrien.

 

Là encore, pour obtenir ces deux conditions intermédiaires,, il faut commencer par réaliser deux conditions immédiates à la paix

 

III. Il y a deux conditions immédiates à la paix

  1. Il faut un changement de stratégie des Américains et de leurs alliés

1) Sur le plan diplomatique, il faut éviter le piège tendu par les Russes

Au lieu d’amener les Russes à comprendre qu’ils doivent lâcher Assad, les Américains et leurs alliés se sont laissé piéger (comme dans l’affaire des armes chimiques) en acceptant l’idée russe d’un départ d’Assad négocié dans le cadre d’un règlement international.

En effet :

– Ce qui a été initié par les Russes avec l’assentiment américain revient à donner une place à Assad à la table de négociation.

– Or, d’une part, c’est une absurdité de lui demander de négocier son propre départ ; d’autre part, connaissant son esprit retors et son goût pour les mesures dilatoires, on peut être certain qu’Assad trouvera toujours les moyens de différer son départ.

– A Vienne et dans la Résolution 2254 de décembre, on a parlé de « gouvernance crédible, inclusive et non sectaire » pour ne pas effaroucher Assad, mais le résultat risque d’être un gouvernement d’union nationale de pure façade. Quant aux élections à tenir dans un délai de 18 mois, elles risquent de ressembler à toutes les élections sous les Assad.

– De surcroît, les Russes et lui seront tentés de dire que puisqu’il a rempli toutes les conditions du processus politique, il n’y a pas de raisons qu’il ne se représente pas pour laisser le peuple trancher (ce qu’il ne cesse de répéter).

Autrement dit, Les Russes et les Iraniens pourraient nous avoir à l’usure dans une négociation de type Genève 3.

 

2) Il faut pour cela agir sur le terrain

Pour pousser les Russes à choisir la décision souhaitée – un départ volontaire d’Assad au début du processus de transition -, il ne faut pas leur faciliter la tâche sur le terrain.

Ce qui implique entre autres que les Américains agissent enfin sur le terrain pour empêcher que la rébellion armée soit étouffée par les Russes, les Iraniens, le régime et le PYD. Les Russes ont en effet montré par leur intervention qu’une solution politique n’est possible que si on dispose de l’avantage sur le terrain.

Compte tenu de ce qu’est aujourd’hui la politique de l’administration américaine, c’est à ses alliés, en Europe – la France et le Royaume Uni -, au Proche Orient – la Turquie et l’Arabie Saoudite – de convaincre les USA que dans l’intérêt de la Syrie, mais aussi dans l’intérêt de la paix dans le monde, ils doivent faire ce pas.

 

  1. Il faut une vision claire de la Syrie libre (ses structures politiques et sa société civile)

Les Syriens ont dit clairement ce dont ils ne veulent plus et l’ont redit dès que le cessez-le-feu leur en a donné la possibilité.

Ils doivent à présent dire ce qu’ils veulent pour leur pays et montrer à la communauté internationale que l’opposition syrienne constitue une alternative crédible au régime Assad. Ce qui implique tout d’abord de faire face au problème immédiat de la négociation engagée et qui devrait reprendre lundi.

 

Plus encore, avec le HCN, les Syriens ont montré qu’ils étaient capables de s’unir et il est essentiel que les rangs du peuple syrien ne se fissurent pas. L’opposition syrienne et la société civile syrienne devraient, me semble-t-il, garder à l’esprit le principal slogan de la révolution : Wahed.

Cela vaut aussi pour les Syriens en exil. Il est essentiel qu’ils ne se détournent pas définitivement de leur pays. D’abord parce que c’est ce qu’espère Assad qui cherche à se débarrasser par tous les moyens de ceux qui ne veulent plus de son régime.

Mais aussi parce que ces Syriens en exil, en particulier les chrétiens qui – même si on peut s’attrister de ce manque d’ouverture d’esprit des Occidentaux – sont les plus audibles pour l’opinion publique occidentale, doivent mener le combat sur le terrain narratif.

C’est à eux d’écrire le vrai récit de la révolution, qui a été biaisé par le régime, confisqué par l’Etat Islamique et saccagé par les Russes avec la complicité des Américains. A eux aussi de révéler le récit de la contre-insurrection menée par le régime avec ses parrains étrangers, c.a.d. sa politique à la fois de radicalisation confessionnelle et de nettoyage ethnique.

Aujourd’hui, où l’on agite l’idée d’un découpage ethnique et confessionnel de la Syrie, il est essentiel que les Syriens aident l’opinion publique internationale, américaine notamment, à comprendre que leurs dirigeants sont en train d’avaliser la reconfiguration d’un pays sur des critères ethniques et confessionnels. Ce qui mettrait fin à des siècles, voire des millénaires, de coexistence interethnique et interconfessionnelle pacifique sur ce territoire.

Ayant souligné combien la paix civile est une condition d’une paix durable en Syrie, je m’arrêterai là pour ne pas mordre sur le thème du débat suivant.