En Syrie, la guerre des bombes barils Par Christophe Ayad, Francesca Fattori, Jules Grandin, Véronique Malécot et Henri Olivier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 21 novembre 2014

Le Monde.fr |   • Mis à jour le  | Par  Christophe Ayad, Francesca Fattori, Jules Grandin, Véronique Malécot et Henri Olivier

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Syrie : la guerre des bombes-barils

Aussi rudimentaires que destructrices, ces armes sont utilisées en masse par le régime

Assad depuis plus de deux ans. Les civils en sont les premières victimes.

Au début, tout le monde s’est moqué de Bachar Al-Assad et

de son armée en loques. Lorsque les premiers barils

d’explosifs ont été utilisés par l’armée de l’air syrienne pour

bombarder les villes, villages et positions passés sous le contrôle de la rébellion à l’aide de cette arme

rudimentaire, les rares journalistes présents en Syrie à la fin de l’été 2012 n’en ont pas cru leurs yeux.

Des hélicoptères militaires utilisés comme de vulgaires catapultes du Moyen Age, d’où l’on faisait

basculer des fûts de poix et d’huile bouillante ? C’était le signe que la fin approchait, que les

munitions manquaient et que le régime s’épuisait.

C’était au début. Car, deux années et demie plus tard, cette arme aussi rudimentaire que terrifiante

est probablement à l’origine de la majorité des quelque 200 000 morts – essentiellement des civils

– de l’hécatombe syrienne qui dure depuis mars 2011. Bien plus que l’arme chimique, utilisée à

plusieurs reprises en quantités limitées et une seule fois massivement, le 21 août 2013, causant 1

500 morts dans la plaine agricole et les villages qui entourent Damas. Mais, utilisées par dizaines

quotidiennement à Alep, Homs, Deir ez-Zor ou dans les environs de Damas, les bombes-barils ont

tué et détruit bien plus de vies que toute autre arme en Syrie.

Tactique du tiers-monde

Les bombes-barils ne sont pas une invention syrienne. L’armée soudanaise a terrorisé le Darfour

dans les années 2000, et aujourd’hui le Nil Bleu et les monts Nouba, à l’aide d’explosifs

rudimentaires jetés depuis les soutes d’avions de transport Antonov afin de terroriser les villageois.

Une tactique du tiers-monde destinée à chasser de pauvres hères face à l’avancée de troupes et de

miliciens au sol. Ce que l’armée syrienne a inventé, c’est l’industrialisation de cette pratique, pas tant

par manque de moyens – Moscou ne lésine pas sur les livraisons – que par méfiance envers le corps

des pilotes de chasse, dont plusieurs ont fait défection.

Les bombes-barils sont produites à la chaîne en Syrie. Elles ne coûtent presque rien, il suffit d’un

baril vide rempli d’un mélange d’explosifs, de ferraille (pour faire le plus de dégâts humains

possible), d’engrais chimique et de combustible (pour accroître le pouvoir détonant). Ces engins de

mort sont largués à la main depuis des hélicoptères. On a vu, sur des vidéos, des soldats allumer la

mèche avec un cigare ou un briquet au début. Par la suite, un petit détonateur à l’impact a été placé

sur les parois du baril, doté aussi d’ailerons pour stabiliser sa trajectoire.

Vus du sol, les barils d’explosifs ont ceci d’insupportable que leur trajectoire est aléatoire et leur

chute lente. Entre le moment où l’hélicoptère les largue et l’impact, il peut s’écouler plusieurs

secondes durant lesquelles on se voit littéralement mourir. L’explosion est dévastatrice. Les engins,

qui pèsent jusqu’à 500 kilos, pulvérisent des immeubles entiers. Il arrive que même les fondations et

les caves cèdent. A l’usage, cette arme s’est révélée bien plus destructrice que certaines bombes

guidées, tirées par des Mig et coûtant plusieurs dizaines de milliers de dollars pièce.

Le pouvoir de destruction des barils rend très difficile de s’en protéger. Souvent, les occupants d’un

immeuble sont ensevelis sous les décombres et, s’ils ne sont pas morts dans l’explosion, succombent

des suites de leurs blessures sous plusieurs tonnes de gravats.

En fait, les bombes-barils se sont avérées une invention militaire géniale face à une guérilla sans

moyens antiaériens. Rapportées à leur prix, elles ont un potentiel de destruction immense et

terrifient les combattants autant que les civils. Enfin, la communauté internationale, notamment les

diplomates et militaires occidentaux, a mis longtemps à prendre cette arme au sérieux. Il a fallu

attendre septembre 2014 pour qu’une coalition de 130 ONG internationales lance un appel à mettre

fin à ces attaques indiscriminées contre les civils.

Christophe Ayad, Infographie : HENRI-OLIVIER, Francesca Fattori, Véronique

Malécot

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