En Syrie, l’économie s’écroule, les taxes s’envolent – par Sarah Belhadi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 décembre 2015
Les Syriens ont perdu 80% de leur pouvoir d'achat depuis le début du conflit en 2011, en raison de la chute de la valeur de la livre syrienne et de la hausse des prix, selon l'association syrienne de défense des consommateurs.

Les Syriens ont perdu 80% de leur pouvoir d’achat depuis le début du conflit en 2011, en raison de la chute de la valeur de la livre syrienne et de la hausse des prix, selon l’association syrienne de défense des consommateurs. (Crédits : reuters.com)

Presque cinq années de conflit, la perte des ressources pétro-gazières désormais sous contrôle de l’Etat islamique et les sanctions internationales ont conduit à la désagrégation de l’économie syrienne. A coups de taxes, le gouvernement tente de stopper l’hémorragie. En vain.

« La semaine dernière, j’ai dû payer mon chawarma 220 livres syriennes (LS) au lieu de 200 et le restaurateur m’a expliqué qu’il y avait une nouvelle taxe de 10% pour la reconstruction, imposée sur chaque sandwich », raconte à l’AFP Tahsine, 50 ans, un fonctionnaire habitant Damas.

(1 euro=240,86 livres syriennes, vendredi à 18h20)

La taxe sur le traditionnel sandwich des pays du Levant n’est pas passée inaperçue. En des termes familiers, cela s’appelle racler les fonds de tiroir. Mais ce n’est pas une première…

Le gouvernement syrien a également imposé une taxe aux restaurateurs en fonction du nombre… de chaises dans leur établissement. Les locations d’appartements ou de locaux commerciaux sont aussi soumis à un impôt mensuel de 500 à 1.000 livres syriennes.

Hausse des prix

En octobre, Damas a augmenté le prix du pain à 50 livres le paquet contre 35. Au même moment, la bouteille de gaz est passée de 1.800 livres, contre 1.600, et le diesel à 135 livres le litre, contre 130.

« Le pouvoir d’achat et la sécurité alimentaire des ménages les plus pauvres (…) continuent de se détériorer et augmentent leur dépendance à l’aide extérieure pour couvrir leurs besoins alimentaires de base », alerte le World Food Programme, l’organisme d’aide alimentaire de l’Onu, dans une note de novembre 2015.

Le rapport de l’Onu détaille par ailleurs que le prix de la farine de blé a augmenté de 42% sur un an, le riz de 83%, le pain subventionné par le gouvernement de 134%, et dans les boulangeries, on enregistre une hausse de 69% sur le prix du pain.

« La zone assiégée de Ghouta orientale (ndlr : près de Damas) a enregistré les changements de prix les plus importants par rapport aux prix du marché de Damas (+ 400 % de farine de blé et de riz + 600% ) », peut-on lire dans le rapport.

« Le prix du blé en gros sur les marchés locaux de Damas était en moyenne de 496,8 dollars / million de tonnes , soit 200% de plus par rapport au prix de gros du blé sur le marché international (165,7 dollars /million de tonnes ) ».

En juillet 2015, un rapport des Nations unies détaille que la production alimentaire syrienne reste 40% en dessous de son niveau d’avant la crise, ce qui a notamment un impact sur le prix du pain. Depuis le début du conflit en 2011, il a ainsi grimpé de 87%. La production de volaille dans le Syrie a quant à elle diminué de moitié, note le rapport.

Dans le pays, l’insécurité alimentaire s’aggrave, avec quelque 10 millions de personnes qui ne mangent pas à leur faim, rappelle l’Oxfam.

Le gouvernement à bout de souffle, et sous perfusion

Une étude publiée en juin 2015 par Chatham House, un think tank anglais aussi connu sous le nom de Royal Institute of International Affairs, détaille que « le pays a enregistré en moyenne une inflation de 51% entre janvier 2012 et mars 2015, selon les données mensuelles publiées par le gouvernement ». Quant a la livre syrienne, elle a été dépréciée « d’environ 80% depuis le début du conflit ».

La situation économique est désormais aussi opaque qu’incertaine, minée par un conflit qui dure depuis presque cinq ans. L’Etat « dispose de moins en moins de devises, les recettes se sont taries, l’effort de guerre se fait plus lourd et ses deux principaux bailleurs de fonds, la Russie et l’Iran, connaissent leurs propres difficultés financières », explique à l’AFP Jihad Yazigi, rédacteur en chef de l’hebdomadaire en ligne The Syria Report.

Au début de la révolte en 2011, la Banque centrale du pays affirmait détenir 18 milliards de dollars de réserves. En avril 2013, les analystes de Reuters rapportaient que les réserves pourraient être passées de 18 milliards de dollars à 4 milliards. A cette date, Damas n’aurait plus aucun fonds propre et dépendrait uniquement de ses alliés. Mais jusqu’à quand ?

Certes, l’Iran a accordé en juin — pour la troisième fois depuis 2011 — une nouvelle enveloppe d’un milliard de dollars au pays. Toutefois, Moscou pourtant allié du régime de Bachar El-Assad, a refusé d’accorder une enveloppe de 1 milliard de dollars pour soutenir le pays en novembre 2014.

Le pétrole contrôlé par Daech

Le régime a perdu l’une de ses principales sources de revenus avec la prise de contrôle par le groupe Etat islamique (EI) de la majorité des champs pétroliers du pays.

Egalement affectée par les sanctions internationales (depuis avril 2011 pour les premières), la production d’or noir a chuté à 9.688 barils/jour contre 385.000 avant la crise, et celle de gaz à 14,8 millions de m3/jour contre 27, détaillait fin octobre le quotidien syrien Al-Watan.

Le ministre du Pétrole et des ressources minières, Soulmeimaine al-Abbas, expliquait que les pertes directes et indirectes dans le secteur pétrolier et gazier s’élevaient à plus de 50 milliards de dollars.

Une taxe sur les candidats à l’exil

Dans un tel contexte, les candidats à l’exil sont nombreux. Ainsi, les départs sont, aussi, devenus source de recettes  pour Damas qui colmatent les fondations d’une économie en ruines.

La délivrance de passeports, dont le prix a fortement augmenté, est désormais l’une des principales sources de devises du pays avec 520 millions de dollars depuis le début de l’année, selon le ministère de l’Intérieur.

Depuis 2011, le conflit syrien a forcé plus de la moitié de la population à fuir, avec 8 millions de déplacés dans le pays et 4 millions de réfugiés dans les pays limitrophes, note le Haut Commissariat des Réfugiés (HCR).