En Syrie, relativiser l’importance du phénomène djihadiste – par Pierre Puchot

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 septembre 2013

Les djihadistes ne représenteraient que « 10 à 15 % » des combattants de la rébellion syrienne, selon le chercheur Romain Caillet. Ils sont mieux entraînés, mais le rapport de force sur le terrain est en train de changer à l’avantage des laïques et islamistes modérés.

La Syrie s’apprête-t-elle à tomber aux mains d’organisations liées à Al-Qaïda ? Au lendemain de la chute du régime de Bachar al-Assad, le pays sera-t-il livré à des affrontements entre les (rares) brigades laïques et modérées et les djihadistes ? La perception du grand public de la menace djihadiste en Syrie se base-t-elle sur une approche réaliste du fondamentalisme en Syrie ? En septembre 2012, un rapport de l’Institute for study of war (consultable ici) tentait de décrire les causes de l’essor des organisations djihadistes engagées dans la lutte contre le régime de Damas. Depuis l’armement des rebelles syriens par l’Arabie saoudite puis les États-Unis décidé l’an passé, le rapport de force est de plus en plus défavorable aux djihadistes au sein de la rébellion, explique aujourd’hui le chercheur Romain Caillet, basé au Liban pour l’institut français de Proche-Orient (IFPO), et qui prépare une thèse d’histoire contemporaine intitulée « Les nouveaux muhâjirûn (premiers musulmans, par extension, ceux qui migrent). L’émigration des salafistes français en “terre d’Islam” », sous la direction de François Burgat, à l’université de Provence.

Il évalue aujourd’hui les forces de Jabhat en-Nusra et de l’État islamique en Irak et au Levant à « 10 % à 15 % » de la rébellion. Des estimations recoupées par plusieurs travaux, dont ceux du spécialiste de la Syrie, Thomas Pierret (Lire sous l’onglet Prolonger.) Outre une radiographie fine et précise des forces fondamentalistes en Syrie, Romain Caillet prend position en faveur de frappes « contre l’aviation syrienne » et rejette la « solution » russe pour détruire les armes chimiques du régime : « Je pense que l’Occident veut sans cesse repousser une vraie résolution de la crise syrienne, estime-t-il, qui passe par la liquidation du régime des Assad. » Entretien.

Vous estimez que le phénomène djihadiste représente aujourd’hui 10 à 15 % des opposants au régime de Bachar al-Assad. C’est assez loin de ce que l’on imagine…

Tout dépend de ce que l’on appelle djihadiste. J’ai la sensation que les gens confondent un peu islamistes, salafistes, djihadistes… C’est la source du malentendu. L’État islamique d’Irak et du Levant et Jabhat en-Nusra (Le front du secours), les deux groupes djihadistes, représentent à peu près 10 000 hommes, sur 100 000 hommes engagés contre le régime. On cite souvent le chiffre de 70 000 hommes pour l’Armée syrienne libre, dont sans doute la moitié pour le Front islamique de libération de la Syrie (FILS, l’une des composantes de l’ASL) de tendance islamiste sans être fondamentaliste.

Or la plupart des analystes et des éditorialistes incluent les salafistes non-djihadistes, ou des islamistes proches des Frères musulmans, dans un même ensemble djihadiste. C’est une erreur : ces salafistes ont certes une lecture fondamentaliste des textes, mais ils n’auraient jamais pris les armes dans un autre contexte que la guerre civile syrienne. En Occident, tout ce qui porte une barbe ou un drapeau noir est considéré comme un membre d’Al-Qaïda. À partir de là, difficile d’avoir une approche fine du conflit, et le lecteur a une représentation faussée des forces en présence en Syrie.

 

La rébellion en SyrieLa rébellion en Syrie© Institute for the study of war, 2012

Vous dites cependant que les combattants djihadistes sont mieux entraînés que ceux de l’Armée syrienne libre (ASL) par exemple…

Aujourd’hui, les djihadistes ne sont plus les mieux armés. C’était vrai par le passé, ce n’est plus le cas. Les armes lourdes sont détenues, éventuellement par le Front islamique syrien, un peu plus par le FILS, et d’autres groupes de l’Armée syrienne libre. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite arme très largement le Front islamique syrien – mouvement de tendance salafite, qui ne reconnaît pas la coalition nationale de l’opposition syrienne telle qu’elle s’est formée à Istanbul, mais que l’on ne peut pas qualifier de djihadiste – par l’intermédiaire d’hommes d’affaires ou d’imams influents, et arme officiellement le FILS, qui est également entraîné et conseillé par les pays occidentaux, dont les États-Unis, qui forment aussi quantité de brigades laïques.

En revanche, tactiquement, les djihadistes sont plus compétents qu’une majeure partie des déserteurs qui forment l’ASL. Ils vont plus souvent en première ligne dans la bataille, et ont recours aux attentats suicides, ce qui apporte un important avantage tactique lorsqu’il s’agit de prendre une base. Donc les djihadistes sont plus efficaces du point de vue militaire.

Quelle est la genèse de la composante djihadiste en Syrie ? Se limite-t-elle à une exportation du djihad irakien ?

L’État islamique d’Irak a décidé fin 2011 d’envoyer un certain nombre de ses cadres syriens en Syrie pour former Jabhat en-Nusra. Par la suite, Jabhat en-Nusra a connu un fort succès, et est devenu un groupe de plus en plus important, qui a géré un certain nombre de petites villes. Ils ont contribué à la chute du Raqqa, sont devenus plus puissants et ont administré plus de populations et de villes que l’État islamique d’Irak (EII). La direction de Jabhat en-Nusra a pris peu à peu ses distances avec l’État islamique d’Irak. Et en avril 2013, l’émir de l’EII a publié un communiqué pour tenter de reprendre la main et annoncé que Jabhat en-Nusra n’était qu’une extension de l’État islamique d’Irak, et que, dorénavant, les deux groupes n’auraient qu’une seule et même appellation, l’État islamique en Irak et au Levant. Cet appel à la réunification a néanmoins été rejeté. Le lendemain du communiqué, le responsable de Jabhat en-Nusra reconnaît certes l’armement et le financement de son organisation par l’EII. Mais, après consultation de différentes parties et de clercs en Syrie, il décide de ne pas répondre à l’appel de l’EIIL (État islamique en Irak et au Levant). Depuis, l’écrasante majorité des combattants étrangers ont choisi de prendre le parti de l’EIIL, de même qu’une grande partie de Jabhat en-Nusra. Aujourd’hui, le rapport de force est le suivant : quelque 7 000 hommes pour l’EIIL, et 3 000 pour Jabhat en-Nusra.

Vous évoquez le phénomène des djihadistes étrangers, qui est assez difficile à quantifier. En Tunisie, le premier ministre Ali Larayedh a fait une déclaration au printemps dernier dans laquelle il affirmait que son gouvernement avait empêché des milliers de Tunisiens de partir en Syrie. Quelle proportion ce phénomène a-t-il atteint selon vous, et quels groupes rejoignent-ils ? 

Les Marocains ont créé un groupe à part, mais la majorité des djihadistes tunisiens se dirigent vers l’EIIL. Dans les activités et les sortes de kermesses organisées par l’EIIL à Alep, un chanteur tunisien de chants islamiques a repris l’hymne du printemps arabe devant une assemblée d’enfants, pour les divertir. Pour essayer de se défaire de leur image de forcenés radicaux que les médias leur donnent, ils organisent souvent des spectacles, auxquels participent des Tunisiens. Quand on voit circuler les noms et les images sur les réseaux sociaux des combattants étrangers morts en Syrie, c’est souvent dans les rangs de l’EIIL. Ce sont surtout les multiples photos de martyrs tunisiens portant la mention de l’EIIL qui démontrent que l’écrasante majorité d’entre eux ont répondu à l’appel de son émir.

Au bout du compte, le nombre de 10 000 combattants étrangers en Syrie me semble exagéré. En revanche, ce qu’il faut faire savoir au public, c’est que le nombre de combattants chiites étrangers est supérieur au nombre de combattants sunnites étrangers.

Pour quelle raison, et qui sont ces combattants chiites ?

Ce sont les milliers de combattants du Hezbollah qui combattent au côté du régime, les milliers de volontaires fondamentalistes chiites irakiens, dont des Pakistanais et des chiites afghans… Et aussi, les milices turques alaouites. Je rappelle que c’est d’ailleurs un chef d’origine turque, Mihrac Ural, qui est responsable du massacre des Banias sur le littoral syrien en mai dernier. Il y a bien sûr les Pasdarans (Gardiens de la révolution) iraniens. Tous combattent avec le régime. Ils disposent pour cela d’un soutien logistique : le ministre irakien des transports est notamment favorable à ce que des chiites irakiens aillent combattre en Syrie.

Pour résumer, un combattant du Hezbollah libanais prend l’autoroute pour aller combattre en Syrie, quand un sunnite libanais doit passer quatre à cinq barrages.

«Aujourd’hui, Al-Qaïda et l’EIIL n’ont plus véritablement le même agenda politique»

Quel est le projet politique de Jabhat en-Nusra et de l’EIIL, et pourquoi se trouvent-ils dans une position de rivalité ?

Les djihadistes ont été très déçus de la Bosnie, car une fois les combats achevés, ils ont dû partir. L’idée aujourd’hui est de devancer le projet occidental de reconstruction de la Syrie et de mettre en place une structure politique. En Syrie, les premières formes institutionnelles qui ont été mises en place l’ont été sous le contrôle de l’EIIL, et pas des forces soutenues par les Occidentaux. À l’opposé, Jabhat en-Nusra considère que c’est aller trop vite en besogne de choisir cette option, que cela entraîne un risque de conflit avec les autres composantes de la résistance. Ils préfèrent donc avoir une allégeance lointaine avec Ayman al-Zaouahiri (le chef d’Al-Qaïda) tout en conservant sur le terrain de bonnes relations avec les autres groupes de l’opposition.   

De bonnes relations ? La résistance syrienne paraît aujourd’hui traversée au contraire par de violentes oppositions, y compris au sein du « camp djihadiste ».

C’est en partie une vue de l’esprit, car à ma connaissance, les seuls combats opposent l’EIIL à l’ASL ; et encore, pas toute l’ASL, car certaines brigades combattent aux côtés de l’EIIL. Il y a, de fait, une « complémentarité » : l’EIIL peut offrir un atout tactique, via un attentat suicide, pour ouvrir une base. Dans le même temps, les brigades de l’ASL disposent d’armes lourdes.

Il y a cependant des conflits : je pense notamment à la brigade Ahfad al-Rassoul (les descendants du prophète)expulsée de Raqqa par l’EIIL. Mais à ma connaissance, il n’y a jamais eu de combats entre Jabhat en-Nusra et l’ASL.

Vous estimez que l’on va trop vite en évoquant la filiation directe entre l’EIIL et Al-Qaïda. Pour quelle raison ?

La branche d’Al-Qaïda en Irak était la principale composante militaire de l’État islamique d’Irak. Mais il y avait aussi les tribus. Au fur et à mesure, la branche d’Al-Qaïda en Irak a été digérée par l’État islamique d’Irak. Après la mort de Ben Laden, et la prise de contrôle d’Al-Qaïda par al-Zawahiri, l’EII s’est éloigné. Aujourd’hui, ils n’ont plus véritablement le même agenda politique. Depuis le début, Al-Qaïda a d’abord développé un combat contre l’Occident, essentiellement les États-Unis et Israël, quand l’EII pense aux ennemis d’aujourd’hui plutôt que ceux d’hier, c’est-à-dire l’expansionnisme iranien, surtout en Irak, dans une logique de confrontation avec le régime du premier ministre Nouri al-Maliki. Les sunnites irakiens ont un problème démographique : en fusionnant avec les Syriens, ils font basculer le rapport de force démographique dans la région.

Maintenant, encore une fois, toutes ces forces restent minoritaires au sein de la rébellion syrienne. À Homs, à Damas, sur la majorité du territoire syrien, l’EIIL n’est presque pas présent.

Quelle partie du territoire syrien contrôlent-ils ?

Ils ne contrôlent pas de région en particulier, mais plus l’on se rapproche de l’Irak, plus ils sont présents. Si l’EIIL est présent de façon marginale à Damas et Homs, il est quasiment absent de la région de Deraa dominée par l’ASL, et où Jabhat en-Nusra est plus ou moins implantée. Ils sont aussi présents à Alep, et bien sûr à Raqqa. Les combattants de Jabhat en-Nusra ont une implantation un peu plus diffuse sur le territoire, si je puis dire.

Vous estimez aujourd’hui que la composante djihadiste est moins bien équipée que l’ASL. Comment expliquer ce reflux ?

Il ne s’agit pas vraiment d’un reflux. Leurs armes sont moins sophistiquées, certes. Mais c’est un groupe de l’EIILqui a pris la base de Menagh, près d’Alep (en août 2013).

Deux facteurs vont dans le sens d’un renforcement de l’ASL, même si c’est un peu tôt pour tirer des conclusions : son armement devient de plus en plus développé ; et depuis les annonces de frappes occidentales, les djihadistes sont fragilisés car ils craignent des frappes de drones. Récemment, un communiqué de l’EIIL appelait tous ses membres à s’abstenir de communiquer avec des téléphones portables ou d’utiliser internet et les réseaux sociaux, et de contacter leurs familles uniquement via des cyber-cafés, des taxiphones, des lieux publics. Ils craignent en fait des frappes de drones américains.

Les États-Unis sont donc passés à la stratégie suivante : « Nous formons les groupes laïques et l’ASL, nous pratiquons l’assassinat ciblé sur les responsables djihadistes »…

Il y a six mois, plusieurs articles de la presse américaine expliquaient que les États-Unis réfléchissaient à un programme de drones pour abattre les leaders djihadistes en Syrie. Ils essaient de former du mieux qu’ils le peuvent les brigades laïques, ils aident les brigades islamiques plus ou moins liées aux Frères musulmans ou modérément salafistes. Ils laissent l’Arabie saoudite armer le Front islamique syrien.

Votre analyse va également à l’encontre d’une idée reçue, qui veut que l’Arabie saoudite soutienne les groupes djihadistes en Syrie. Vous dites également que les Saoudiens ont pris le dessus sur le Qatar pour ce qui concerne le financement de l’opposition syrienne.

On peut penser que les services saoudiens vont donner des informations aux Américains pour abattre les leaders djihadistes. La plupart des analystes sont convaincus que les Saoudiens financent les groupes radicaux. Mais cela ne va pas du tout dans leur intérêt ! Une guerre à mort est menée par les djihadistes contre l’Arabie saoudite, considérée comme un régime apostat, illégitime, à abattre. Il y a eu de nombreuses tentatives d’assassinat de personnalités saoudiennes par Al-Qaïda.

De son côté, l’Arabie saoudite finance officiellement les groupes laïques de l’ASL, la composante islamiste de l’ASL, et, à travers des ONG, hommes d’affaires et imams, le Front islamique syrien.

De manière générale, plus l’Iran et le Hezbollah gagnent du terrain en Syrie, plus l’Arabie saoudite aura tendance à s’engager, et avec elle les États-Unis.

«Des frappes sur l’aviation et un armement lourd aux brigades laïques et islamiques modérées»

Dans son compte-rendu de captivité, le journaliste italien Domenico Quirico relâché dimanche décrit ses ravisseurs ainsi : «  Un groupe qui se prétend islamiste mais qui, en réalité, est composé de jeunes déséquilibrés qui sont entrés dans la révolution parce que, désormais, la révolution, c’est ces groupes à mi-chemin entre banditisme et fanatisme. » Est-on ici en présence de groupes de type djihadiste, ou au contraire, de groupes proches de l’ASL, selon vous ?

Je ne connais par cette brigade, le nom de guerre avancé par le journaliste, Abou Amor, m’est inconnu. Dans plusieurs brigades de l’ASL, il y a un certain nombre d’individus qui ont cette approche crapuleuse. Au contraire, chez les djihadistes, il va y avoir, dans leur vision des textes religieux, ce qu’ils appellent des « prises de guerre ». Cela peut être la villa d’un ponte du régime. Mais l’appropriation de biens de la part des djihadistes, c’est quelque chose de très codifié. C’est l’émir qui répartit le butin selon des règles qui ont été élaborées dans des ouvrages religieux. Un enlèvement crapuleux avec des bonshommes qui fument des Marlboro, ça ne ressemble pas vraiment à des djihadistes.

En fin de compte, y a-t-il un projet syrien, national, commun, possible entre toutes ces factions de la rébellion ? En cas de chute du régime, quel paysage politique voyez-vous émerger dans l’immédiat après-guerre ?

C’est très difficile de répondre : si frappes américaines il y a, on peut penser qu’elles seront accompagnées de drones contre l’EIIL, pour s’assurer qu’ils ne jouent pas un rôle important. Puis, si le régime tombait suite à une confrontation militaire, ce serait plutôt parce les brigades non-djihadistes ont été renforcées militairement. Je ne peux me hasarder à donner de scénario sur l’après Bachar. Le contexte serait totalement différent s’il y avait des frappes américaines suivies d’une guerre de drones, ou si les groupes de l’armée libre de mieux en mieux armés finissaient par avoir le dessus sur le régime. De fait, les 10 000 combattants djihadistes ne pourront pas, seuls, vaincre le régime.

Certes, mais dans la perspective d’une chute du régime, beaucoup d’analystes prédisent à la Syrie un destin irakien, fait de démembrement du territoire, d’attentats et de confits politico-religieux intenses.

Je crois plutôt à un scénario libyen : les grandes villes sont tenues par des islamistes avec lesquels l’Occident et les régimes arabes peuvent dialoguer. Et des villes de moyenne importance tenues par des djihadistes. En Libye, il n’y a d’ailleurs pas eu d’affrontements tels que vous les décrivez. Mais c’est vrai qu’en Libye, il n’y a pas non plus de Kurdes…

C’est encore une autre donnée. Les derniers affrontements des Kurdes avec l’ASL montrent d’ailleurs bien que cette question peut s’envenimer très vite.

L’ASL s’est rangée du côté de l’État islamique irakien et du Levant contre les Kurdes, enfin, les factions kurdes indépendantistes. Les Kurdes dans leur majorité soutiennent le PYD (affilié au PKK turc, lire notre reportage au Kurdistan syrien ici ) et les autres mouvements kurdes, raison pour laquelle il y a des représailles contres les populations kurdes d’Alep, bien que l’EIIL et l’ASL appellent officiellement leurs partisans à ne pas faire l’amalgame entre les Kurdes, musulmans très majoritairement sunnites, et les « terroristes séparatistes» (du point de vue nationaliste ASL) ou les « laïcs apostats du PYD » (du point de vue des djihadistes). De fait, c’est l’EIIL qui est entré en confrontation avec les Kurdes. Certains villages au Kurdistan avaient été désertés, et étaient devenus des bases importantes pour l’EIIL. Proches de la frontière avec la Turquie, il était donc important de les tenir pour l’acheminement des volontaires étrangers. À l’est, il y a aussi un enjeu pour l’EIIL à contrôler des puits de pétrole, financement précieux pour l’État islamique en Irak et au Levant, qui ne bénéficie pas, encore une fois, des fonds des pays du Golfe, contrairement aux autres brigades.

Quel est votre point de vue sur l’opportunité d’effectuer des frappes aériennes contre le régime syrien et la « solution » proposée par la Russie pour détruire les armes chimiques du régime syrien ? Quelles seraient les incidences sur l’équilibre des forces en Syrie, et au sein de la rébellion ?

En ce qui concerne la « solution » russe, je pense que l’Occident veut sans cesse repousser une vraie résolution de la crise syrienne, qui passe par la liquidation du régime des Assad, mais que la situation, qui se dégrade un peu plus chaque jour, finira par échapper à tout le monde, aux Russes comme aux Occidentaux, dans une conflagration généralisée.

Il ne faut pas se tromper : c’est si l’Occident n’intervient pas qu’il y aura des mouvements de population et des massacres confessionnels, comme vous l’évoquiez tout à l’heure, à plus grande échelle qu’en Irak.

S’il n’y a pas de frappes américaines, et s’il n’y a pas d’intervention, l’État islamique en Irak et au Levant va continuer de se développer. Tôt ou tard, la ville d’Alep sera entièrement reprise par la rébellion. Et après elle, la ville d’Idlib, etc. Dans le même temps, le régime va continuer de se renforcer là ou il est fort, et de s’affaiblir là où il est faible. S’il n’y a pas de soutien large aux forces avec lesquelles l’Occident peut s’entendre, la révolution syrienne gagnera en dépit de l’Occident. Et là, les pays occidentaux ont beaucoup à perdre stratégiquement. Quand la guerre se terminera, mieux vaudra être face à des interlocuteurs que l’on a aidés, que face à des forces auxquelles nous avons refusé tout soutien.

Concrètement, il faudrait donc des frappes contre l’aviation syrienne, et livrer un armement lourd aux quelques brigades laïques, ainsi qu’aux brigades islamiques modérées. Pour le reste, il faut arrêter de se fourvoyer : on dit qu’il y aura une explosion du terrorisme si le régime de Bachar al-Assad tombe. Tout ce qui s’est passé en Libye montre pourtant le contraire ! Certes, un ambassadeur américain a été tué, mais avec un RPG, qui est l’arme la plus banalisée au Moyen-Orient. Et c’est l’armement de Kadhafi qui est tombé aux mains d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, pas les armes de l’Occident !

source : http://www.mediapart.fr/article/offert/c99551f9f9818f89934f42491c39057f

date : 12/09/2013