Hommage à Wladimir Glassman par Isabelle Hausser

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 septembre 2015

Hommage à Wladimir Glassman
27/09/2015 – par Isabelle Hausser pour Souria Houria

Isabelle Hausser

Isabelle Hausser

Avant de commencer, je voudrais associer à cet hommage Viviane, avec laquelle il formait un couple très uni. Avec elle, il a élevé deux enfants dont ils peuvent être fiers. Avec elle, il s’était réjoui les premiers jours de la révolution syrienne. Avec elle, il avait combattu l’esprit mauvais qui voulait transformer cette révolution en guerre civile pour la perdre aux yeux de l’opinion internationale. Avec elle, enfin, il a lutté contre le mal qui l’a emporté. Nous, qui nous sentons tous orphelins de Wladimir, pensons à ce que peut être le chagrin de Viviane et de ses enfants depuis le 21 août.

Wladimir était l’un de ces hommes rares qui allient à une immense culture une bonté et une générosité sans faille. Y a-t-il une parcelle de cette Syrie aujourd’hui ruisselante de sang qu’il ne connaissait pas ? Y avait-il un épisode de son histoire au cours des cent dernières années – et peut-être au-delà – qu’il ait ignoré ? Si vous l’interrogiez sur un individu dont vous aviez entendu prononcer le nom, non seulement il le connaissait et corrigeait votre prononciation défaillante, mais, à la manière syrienne, il savait vous dérouler toute sa généalogie. Wladimir, qui avait un prénom russe et un nom germanique, aurait dû s’appeler Wlad al-Souri tant il portait en lui ce pays et ce peuple.

Cet amour pour ce pays de douceur et d’austérité mêlée, terre où se déploient les champs les plus fertiles et les déserts aux troublantes couleurs, Wladimir voulait le partager avec ses amis. A ceux qui, séduits par le pays et son peuple s’aveuglaient délibérément sur le régime qui le maintenait assujetti, il essayait d’ouvrir les yeux. Aux autres, que la haine du régime empêchait de voir au-delà des apparences, il montrait qu’il y avait tout un peuple, tapi dans l’ombre, attendant le moment propice pour se redresser.

Dès les premiers jours de la révolution syrienne, il s’est lancé dans la bataille avec ses armes à lui, son extraordinaire mémoire, sa culture syrienne à nulle autre pareille, sa plume pleine de verve et de combativité et, par-dessus tout, son âme de juste. Il a vraiment fallu cette terrible maladie pour user son énergie et le faire taire.

Si la France est restée en Europe une voix ferme contre la dictature d’Assad, si elle n’a jamais cessé de dénoncer ses actes barbares, c’est aussi grâce à Wladimir. Son blog était lu, relu, commenté et cité. Grâce à ses tweets, informatifs, acérés et souvent ironiques (plus de 21.000 en quatre ans), il a servi de passerelle entre les Français de bonne volonté, mais non arabophones, et la révolution syrienne. Et qui sait ? Si la télévision et la radio avaient davantage fait appel à lui, au lieu de lui préférer trop souvent des thuriféraires du régime, peut-être y aurait-il moins aujourd’hui de politiciens appelant à un rapprochement avec Assad.

A tout cela il a consacré une incroyable énergie, celle qu’il aurait dû employer à lutter contre le cancer. Chacun d’entre nous, j’en suis sûre, peut citer un témoignage de l’abnégation de Wladimir. Pour ma part, je n’aurais pas réussi à mener à bien mon roman sur Assad sans la gentillesse indéfectible avec laquelle il répondait à mes questions, même les plus farfelues. Il a relu chaque page alors qu’il avait tellement mieux et tellement plus urgent à faire.

Wladimir croyait en la Syrie. Il croyait en sa révolution. Il croyait qu’à terme la dictature était condamnée. Et qu’avec elle tomberait l’Etat Islamique, cette pieuvre entretenue par la barbarie du régime afin de nourrir les cauchemars occidentaux. Il souffrait pourtant, comme chacun d’entre nous, devant le déchainement de violence quotidien. Mais il appelait constamment à ne pas céder au découragement.

Que dirait-il aujourd’hui en voyant la Syrie vendue à l’encan par le régime, non seulement aux Iraniens, mais encore aux Russes, dans le seul espoir de se sauver ? Que dirait-il aujourd’hui devant ces réfugiés syriens qui frappent à nos portes parce que nous ne sommes pas capables de les sauver chez eux et que nous hésitons à accueillir chez nous ? Je ne doute pas que, dans son blog, il aurait tonné contre l’égoïsme des Occidentaux (et j’ajoute des Français) et plus encore, j’en suis sûre, contre leur aveuglement continu il y a quatre ans, il y a trois ans, il y a deux ans, il y a un an, leur aveuglement tout aussi responsable que le régime de la situation actuelle.

Wladimir était notre boussole et nous puisions du réconfort dans sa foi en la Syrie. Il a été happé par la nuit, nous laissant seuls. Mais non démunis, puisqu’il nous a montré la voie à suivre et qu’il nous a donné jusqu’au bout une leçon de courage et d’élévation.