Hôpital de MSF bombardé en Syrie : « C’est une guerre à huis clos où l’on massacre les gens » – Par Hélène Sallon

Article  •  Publié sur Souria Houria le 16 février 2016

Au moins sept personnes – cinq patients dont un enfant et deux membres du personnel – ont été tuées lors du bombardement d’un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF), lundi 15 février, à Maarat Al-Nouman, dans le nord de la Syrie. Huit autres membres du personnel sont portés disparus. Situé dans une région de la province d’Idlib, tenue par l’opposition, l’hôpital et ses 54 personnels de santé desservaient une population de 40 000 habitants.
Présent en Syrie depuis 2012, MSF gère trois hôpitaux et soutient 153 structures de santé dans tout le pays, financièrement et matériellement. Le docteur Mego Terzian, président de MSF France, dénonce le ciblage de plus en plus systématique des structures de santé en Syrie.
Ce n’est pas la première fois que l’une des structures de santé que vous soutenez est visée…
Non, cinq hôpitaux soutenus par MSF ont été bombardés depuis le début de l’année 2016, avec un bilan assez grave : quatorze décès parmi le personnel. En tout, dix-sept structures de santé ont été bombardées en Syrie en six semaines. L’équipe de l’hôpital bombardé ce lundi, à Maarat Al-Nouman, était visée pour la troisième fois depuis le début de la guerre.
En septembre 2015, nous les avions aidés financièrement pour qu’ils réhabilitent un nouvel hôpital, qui a rouvert en décembre. Le personnel est composé de locaux ou de Syriens déplacés qui étaient venus à Maarat Al-Nouman car leurs villes n’étaient plus sécurisées et ils pensaient que cet endroit l’était davantage. Initialement, 40 000 personnes vivaient dans cette localité avant la guerre, et depuis il y en a 120 000.

Vous avez pointé la responsabilité du régime syrien ou de son allié russe dans ce bombardement. Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Ce sont des zones contrôlées par l’opposition. Ce serait illogique qu’ils bombardent un hôpital qui est censé soigner leur population. Clairement, les quatre roquettes ont été envoyées par la coalition menée par le gouvernement de Damas. Et c’était délibéré, c’est certain, car quatre roquettes en quelques minutes, au même endroit, visant le bâtiment de l’hôpital, ça ne peut pas être un incident ou un hasard.

Clairement, cet hôpital a été visé parce qu’ils estiment que l’hôpital soignait des populations ou des combattants qui leur sont hostiles. Avec le début de l’intervention russe, les bombardements se sont intensifiés. Ils mènent la même politique de destruction qu’à Grozny, en Tchétchénie : une politique de bombardements massifs sans discrimination. C’est une politique de terre brûlée.

 

La position des hôpitaux gérés ou soutenus par MSF est communiquée aux belligérants ?

Dans le cas des hôpitaux gérés par les Syriens, auxquels nous venons en appui, nous ne pouvons pas nous permettre de communiquer les coordonnées GPS à leur place. Dans les trois hôpitaux que MSF gère seul, un à Idlib et deux à Alep, notre personnel local était d’accord pour que l’on communique les coordonnées GPS à l’armée russe, et c’est ce que j’ai fait en décembre. Je suis allé moi-même les transmettre et ils m’ont confirmé que nos structures allaient être respectées. Elles n’ont pas été ciblées.

Mais ils savent très bien que ce sont des hôpitaux et c’est inadmissible qu’ils les ciblent. Je suis certain que dans la majorité des hôpitaux, comme cela est le cas dans nos structures, la loi qui veut qu’aucune arme ne rentre est respectée. Nous soignons aussi bien les civils que les combattants blessés ou les terroristes, car on a l’obligation en tant que médecin de prendre en charge tous les patients, tant qu’aucune arme n’entre dans nos structures de santé.

Ces structures doivent donc être protégées. Même la guerre a des règles, des conventions qui s’appliquent. Mais ce n’est pas le cas malheureusement en Syrie depuis le début du conflit et cela s’est accentué avec l’aviation russe qui a commencé à bombarder fin septembre 2015.

Ce qu'il reste de l'hôpital tenu par MSF dans la province du nord de la Syrie, après le bombardement le 15 février.
Ce qu’il reste de l’hôpital tenu par MSF dans la province du nord de la Syrie, après le bombardement le 15 février. STRINGER/AFP

Observez-vous un ciblage de plus en plus systématique des structures de santé ?

Aujourd’hui, en zone contrôlée par l’opposition, travailler ou faire des opérations de secours, et notamment médicales, est, pour la coalition du gouvernement syrien, un acte criminel. Ils considèrent tout personnel de santé qui travaille en zone de l’opposition comme un terroriste, même MSF. Ils nous voient comme une organisation terroriste.

C’est donc, selon eux, légitime de bombarder les structures de santé. C’est très significatif que cinq hôpitaux soutenus par MSF aient été ciblés en l’espace de six semaines et dix-sept en tout. Il y a toujours eu des hôpitaux bombardés, mais, en quelques mois, ça a doublé voire triplé. Mes collègues d’Azaz sont paniqués, pour la première fois ils ont peur de continuer de travailler. Il y a des bombardements aveugles quasi ininterrompus.

C’est une politique de terreur pour effrayer les populations et empêcher qu’ils se fassent soigner. Car, pour eux, s’ils ont décidé de rester en zone rebelle, ce sont leurs ennemis.

Quelles sont les conséquences de la destruction de cet hôpital pour l’accès aux soins des populations ?

L’hôpital est entièrement détruit. Il couvrait 40 000 personnes avec une trentaine de lits, deux blocs opératoires, une salle d’urgence et une salle de consultations externes. Donc, jusqu’à nouvel ordre, 40 000 personnes n’ont pas accès aux soins, que ce soit la médecine générale, l’obstétrie ou les victimes de violence.

Ils ne peuvent pas non plus se déplacer pour aller ailleurs, c’est trop dangereux. Dans la ville d’Idlib, par exemple, le chef-lieu de la province à trente kilomètres, il y a quelques structures de santé qui marchent mais c’est un grand défi pour les populations de Maarat Al-Nouman de prendre la route pour aller s’y faire soigner. Il y avait une autre structure de santé à Maarat Al-Nouman qui a été touchée il y a quelques semaines et qui ne fonctionne pas pour le moment. En gros, 120 000 personnes dans la zone n’ont pas accès aux soins.

Le choix de MSF va être de continuer à appuyer cette structure, car ce sont des locaux et ils vont vouloir relancer leur activité. On va être obligés de les aider. On ne peut pas les abandonner car ils doivent continuer à soigner leur population.

Il y a une intensification des opérations des forces du régime dans le pays. Quelle en est la conséquence sur l’accès aux soins ?

L’autre problématique, aujourd’hui, est l’enclavement d’une quinzaine de zones par les forces loyalistes, comme dans la banlieue de Damas, Rastan, ou par l’Etat islamique, qui assiège des quartiers de Deir ez-Zor depuis deux ans et participe au siège des villages gouvernementaux de Foua et Kefraya.

La situation dans toutes ces zones assiégées est catastrophique. On a zéro accès aux soins. Depuis plusieurs mois, nous n’arrivons plus à envoyer des médicaments. Le siège de Madaya a été médiatisé, donc il y a eu l’envoi d’aide mais ça doit être systématique et les blessés doivent être transférés à l’étranger.

Des personnes viennent au secours des blessés dans ce qu'il reste de l'hôpital bombardé le 15 février.
Des personnes viennent au secours des blessés dans ce qu’il reste de l’hôpital bombardé le 15 février. OMAR HAJ KADOUR/AFP

C’est pareil à Alep où il y aura bientôt 300 000 personnes assiégées. Dans l’est et le nord-est d’Alep, la situation a drastiquement changé avec les bombardements quotidiens aveugles et sévères depuis plusieurs semaines. Il n’y a presque plus d’hôpitaux qui fonctionnent, comme à Azaz ou dans la partie est d’Alep.

A Alep, les structures ont été touchées, le personnel a fui, ou il n’y a plus d’approvisionnement en médicaments. Les routes sont devenues dangereuses. Les populations sont entassées aux frontières, qui ne sont pas ouvertes. Le problème n’est pas que le secours porté aux blessés, mais aussi les femmes enceintes ou les gens malades, qui doivent être pris en charge. L’hôpital MSF près de Bab Al-Salameh, à la frontière, a vu le nombre de consultations tripler – de 50 à 150 par jour – au cours des dix derniers jours.

C’est une guerre à huis clos où l’on massacre les gens. On bombarde les hôpitaux et les camps de déplacés et tout le monde est indifférent. Les accords de Munich du 12 février, qui parlaient d’un accès humanitaire prochainement, ne seront à mon avis pas appliqués. C’est le chaos.