Ils ont vu en Syrie  » un anti-Daech  » – par Olivier Pirot

Article  •  Publié sur Souria Houria le 8 juin 2015
Maurice et Annie Sartre ont vécu deux fois en Syrie: dans les années 70 et entre 2009 et 2011. Les deux historiens y ont vu une dictature sanguinaire, mais aussi le creuset d’une vie cosmopolite.
Rentrés en France depuis 2011 et aujourd'hui à la retraite, Maurice et Annie Sartre restent néanmoins en veille permanente sur tous les sujets qui concernent le patrimoine en Syrie et leurs amis restés sur place.

Rentrés en France depuis 2011 et aujourd’hui à la retraite, Maurice et Annie Sartre restent néanmoins en veille permanente sur tous les sujets qui concernent le patrimoine en Syrie et leurs amis restés sur place.
(Photo NR)

Le coucher de soleil vu depuis la citadelle y est magique. Et la lumière, changeante, à« nulle autre pareille ». Annie et Maurice Sartre se sont rendu une vingtaine de fois à Palmyre et l’historien se souvient notamment d’une « visite en janvier ». Après de fortes pluies, « le désert était devenu verdâtre. On voyait une petite pelouse avec des moutons dessus […] On s’y est trouvé aussi avec nos enfants et nos petits-enfants un jour de vent de sable. On vivait littéralement entourés dans une bulle orange. Quand je revois les photos, je me dis: « Ce n’est pas possible » ».

L’experte auprès de l’Unesco décrit, elle, la vieille route, « il y a quarante ans » qui menait à cette oasis en plein milieu du désert et « ces ruines qui surgissent de rien ».
Elle insiste sur le fait que la ville antique« est totalement ouverte. Ça a certes des inconvénients, mais ça a surtout le charme des sites complètement accessibles de jour comme de nuit. »
Depuis qu’elle a été redécouverte en 1691 par des explorateurs occidentaux, Palmyre fascine les archéologues. Dans les années 30, une ville nouvelle se construit sur la base d’un plan géométrique réalisé par un architecte français pour libérer notamment l’enceinte du temple de Bel où des Syriens s’étaient installés pour vivre. Depuis, la ville moderne a grossi pour compter 50.000 habitants et des hôtels ont poussé pour accueillir les touristes attirés par la perle du désert. La Cité est même comparée au mont Saint-Michel par Maurice Sartre dans une longue tribune publiée dans Le Monde.

« Préserver le patrimoine de la Syrie, c’est aussi lui préparer un avenir. »

Car le site est malheureusement passé du patrimoine à l’actualité. Il est en effet menacé par la folie destructrice de Daech puisque l’organisation terroriste s’est emparée de la ville. Annie et Maurice Sartre se sont beaucoup mobilisés depuis mi-mai. Ils sont intervenus midi et soir à la radio, sur les plateaux de télévision et dans la presse, pour sensibiliser l’opinion. Les médias n’ont jamais autant relayé les craintes de voir ainsi disparaître un élément majeur du patrimoine mondial de l’humanité.
« Cette mobilisation a suscité aussi un torrent de critiques, note Maurice Sartre. Certains ont dit qu’on se préoccupait plus des vieilles pierres que des vies des Syriens. Mais nous n’avons pas attendu les critiques pour aider les Syriens. Cela fait plus de quatre ans que nous lançons des alertes et ce que nous faisons, à titre privé, nous n’en faisons pas état dans la presse. Nous n’avons jamais manqué l’occasion de dire qu’avant les ruines, il y avait les Syriens. Cette polémique est ridicule. Préserver le patrimoine de la Syrie, c’est aussi lui préparer un avenir. »
Annie Sartre participe également aux réunions de travail à l’Unesco sur la reconstruction. « La guerre a fait prendre conscience aux Syriens que ce patrimoine faisait partie de leur vie et qu’il fallait le protéger. Quand la guerre sera finie, les touristes ne reviendront que s’ils ont quelque chose à voir ». A Palmyre, 80% des gens vivent de revenus provenant de l’exploitation touristique du site. Ce qui leur fait espérer que Daech n’y touchera pas afin de ne pas se mettre à dos la population.
Dans la Syrie tout entière, il y a un patrimoine à nul autre pareil.« Palmyre, d’une certaine manière, c’est un anti-Daech, ose Maurice Sartre. C’est un concentré de l’histoire de la Syrie où on voit se croiser les influences de la Mésopotamie, de la Méditerranée gréco-romaine, des Arabes du désert et des Syriens sédentaires de l’Ouest. » Entre le 3 et le 1 millénaire, « tous ces gens-là cohabitaient très bien. » La Syrie a été gréco-romaine, ensuite, pendant mille ans. Ce cosmopolitisme interpelle forcément. « Nous avons aujourd’hui cette lecture du « vivre ensemble » concernant Palmyre car ce qui mine nos sociétés actuellement c’est justement ce refus de vivre ensemble. Or, la richesse de la Syrie et son inventivité ont été ces rencontres et ces influences les plus diverses. » Étudier Palmyre c’est comprendre comment les cultures dominantes ont pu se succéder sans que disparaissent pour autant les traditions de chaque civilisation.

Des licences d’exploitation pour saccager les sites

Annie Sartre l’explicite par le comportement des élites syriennes d’alors. « A Palmyre, on adopte la culture dominante, gréco-romaine, pour montrer qu’on est intégré et cultivé. Bref, qu’on est moderne. » Mais dans le privé, c’est sa propre culture qu’on conserve.
Si ce patrimoine venait à être détruit, ce serait donc une perte inestimable. « Ce qui fait peur, c’est l’esprit systématique et les moyens mis en oeuvre par Daech pour détruire. Ils ont des bulldozers, utilisent de la dynamite… » Mais il y a aussi plus sournois dans l’entreprise de Daech qui « vend même des licences d’exploitation de saccage (des sites historiques) de 5.000 à 20.000 dollars. Elle touche une commission sur chaque trouvaille,reprend Maurice Sartre. On estime que la deuxième source de Daech, après le pétrole, est le trafic d’antiquités. » 
Annie Sartre fait enfin partie des vigies, pour l’Unesco, qui expertisent les objets saisis aux frontières. « Sotheby’s et Christie’s se sont notamment engagés à ne pas vendre quoi que ce soit qui ne soit pas authentifié. » Mais plus largement, ils pointent les responsabilités du régime syrien dans les destructions de sites majeurs… et les complicités de certains états voisins permettant le commerce illégal d’antiquités.

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Rentrés de Damas en 2011, Annie et Maurice Sartre ont assisté à la montée de la révolte du peuple syrien. « Nous avons vécu dans une atmosphère sanglante pendant plusieurs semaines, raconte Annie Sartre. On apprenait par Internet qu’il y avait eu des représailles de la part du régime et des morts quand la radio officielle le niait ou les attribuait à des terroristes. C’était insupportable. »
Maurice Sartre se souvient de la « bascule » quand les Syriens n’ont plus supporté les exactions du pouvoir et d’une « dictature féroce » depuis cinquante ans au pouvoir. Et il n’a pas de mots pour qualifier les horreurs commises. « Ce sont des enfants qui ont commencé la révolution, à Deraa, en écrivant des inscriptions sur des murs. La réponse du régime a été de torturer ces enfants. On a dit aux parents « oubliez-les » et ils ne les ont récupérés que plus tard, les doigts cassés, les ongles arrachés, des dents cassées… Nous avons lancé des cris d’alerte aux Occidentaux, mais sans aucun écho. »
Pour eux, la communauté internationale a toujours eu un temps de retard sur la situation en Syrie. Annie Sartre regrette qu’on ne soit pas allé au-delà des veto au Conseil de sécurité de l’Onu pour faire tomber Bachar Al-Assad. « Bachar Al Assad a manipulé l’Occident. Quand il a voulu faire bonne figure en libérant des prisonniers politiques, il a libéré en fait des salafistes dont il savait qu’ils allaient rejoindre Daech. Le but était de déconsidérer à terme les rebelles aux yeux des Occidentaux. Au final, notre inaction a conduit à ce que nous redoutions le plus. » Le chaos en Syrie et une organisation terroriste qui a pris une ampleur terrifiante.

source : http://www.centre-presse.fr/article-393452-ils-ont-vu-en-syrie-un-anti-daech.html

date : 06/06/2015