La population d’une ville assiégée de Syrie pourra manger… du shampooing par Jean-Pierre Filiu

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 juin 2016

La population d’une ville assiégée de Syrie pourra manger… du shampooing

Le 1er juin 2016, un convoi humanitaire a pu pénétrer dans Daraya, une des banlieues de Damas assiégées par le régime Assad, pour la première fois depuis… 2012. La Russie n’avait pas craint de se mettre en avant pour éviter qu’un tel convoi ne soit bloqué par les bombardements du régime, comme cela avait été le cas le mois précédent. Mais les huit mille habitants de Daraya ont eu la triste surprise de découvrir qu’aucune aide alimentaire ne figurait dans ce convoi tant attendu, et ce à la demande expresse du régime Assad. L’inventaire de l’aide livrée ce jour-là par cinq camions est en soi éloquent. Il a été établi par le comité local de Daraya et il est reproduit ci-dessous dans son original arabe, annoté en anglais.

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On comprend à le lire que les organisations concernées n’aient pas voulu « communiquer » outre mesure sur leur action. Il révèle l’importance des efforts internationaux qui doivent être mobilisés pour un résultat aussi limité, selon un schéma imposé par le régime Assad aux institutions humanitaires depuis le début de la répression de la contestation en Syrie :

  • mille colis de shampooing antiseptique et mille moustiquaires livrés par le Comité international de la Croix Rouge (CICR).
  • un millier d’autres colis de shampooing, une centaine de colis médicaux, une cinquantaine de colis de pommade contre la gale et 25 fauteuils roulants (dont 5 pour enfants) par différentes agences de l’ONU.
  • 237 colis de médicaments (mais aucun vaccin) par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
  • 2160 colis de lait pour nourrissons et 1440 colis de lait en poudre par le Croissant Rouge syrien.

La responsable de l’ONG Save the Children pour la Syrie a déclaré que « les enfants affamés de Syrie ne peuvent plus se contenter pour manger de mots creux et de promesses sans suite. La communauté internationale a fixé le 1er juin comme date butoir à l’acheminement d’une aide vitale dans les zones assiégées, mais les familles sous-alimentées se voient toujours refuser une aide en nourriture. C’est une bonne nouvelle que la population de Daraya ait pu recevoir sa première livraison d’aide officielle depuis 2012, mais il est choquant et totalement inacceptable que les convois aient été interdits d’acheminer la moindre nourriture ».

Le Croissant rouge syrien, agréé par le régime Assad, a été ainsi mandaté pour accomplir un geste « humanitaire » en direction des nourrissons de Daraya sous forme d’une quantité restreinte de lait. Toute autre forme de nourriture a en revanche été proscrite au prétexte qu’elle pourrait alimenter les combattants insurgés. Le même prétexte avait été mis en avant à de multiples reprises, à Daraya comme ailleurs, pour justifier les campagnes d’affamement systématique lancées par le régime Assad à l’encontre d’enclaves rebelles contre lesquelles il mène un siège sans merci.

La faim comme arme de guerre a pour la première fois été utilisée par la dictature syrienne en décembre 2013. Des nouvelles ont alors filtré sur des personnes décédées de la faim dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk. Le fait que ce camp, assiégé par le régime, se situe aux portes de Damas et qu’il se trouve formellement sous la protection des Nations Unies ne rendait le drame que plus choquant. Mais l’impunité dont, une fois encore, le despote syrien a pu se prévaloir (avec le soutien inconditionnel de la Russie au Conseil de sécurité) lui a permis de développer cette forme barbare de belligérance.

Selon le décompte de l’ONU, six cent mille civils sont aujourd’hui assiégés dans 19 enclaves de Syrie, dont 16 par le régime Assad et 2 par le front Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida (il s’agit des villages de Foua et Kefraya, au nord-ouest du pays). La livraison d’aide en janvier 2016 par le CICR à la ville de Madaya, où des dizaines de morts de faim avaient été rapportées, avait ainsi été subordonnée par le régime Assad à un allègement du siège de Foua et de Kefraya. Enfin, le secteur gouvernemental de la ville de Deir Ezzor, assiégé par les jihadistes de Daech dans la vallée de l’Euphrate, constitue la 19ème enclave assiégée et a reçu ces deux derniers mois 44 parachutages d’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU.

Le refus du régime Assad de permettre l’accès humanitaire aux localités qu’il assiège avait amené les Etats-Unis et la Russie à s’accorder sur la date du 1er juin pour entamer des largages aériens du type de ceux déjà effectués à Deir Ezzor. Le « geste » en trompe l’œil consenti à Daraya a permis à Damas et à Moscou de franchir cette échéance sans rien amender de leur position au fond. Le PAM découvre soudain les « problèmes techniques » de largages à basse altitude. Le plus simple serait évidemment d’autoriser les convois terrestres sans restriction, mais le régime Assad campe sur son refus de toute livraison de nourriture à Daraya. Un acheminement d’aide alimentaire dans la localité assiégée, annoncé par l’ONU le 3 juin, a finalement été annulé. L’arme de la faim, aussi moyenâgeuse soit-elle, n’a pas fini de tuer en Syrie.