« Le discours de l’EI ne peut prendre que chez ceux qui n’ont aucune culture musulmane » – interview de Jean-Pierre Filiu – propos recueillis par Cécile Chambraud

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 novembre 2015

Comment expliquer la forte proportion de convertis parmi les djihadistes ?

C’est que ça n’a rien à voir avec l’islam ! On continue de regarder comme un phénomène religieux ce qui n’est qu’un phénomène politique. Daesh est une secte. Elle frappe d’autres musulmans. Son discours totalitaire ne peut prendre que chez ceux qui n’ont aucune culture musulmane. Plus vous aurez de culture religieuse, moins vous serez susceptible d’y adhérer. On est dans le monde de l’infra-religieux, de la sous-culture. A cela il faut ajouter la dimension apocalyptique de son discours, propre aux sectes, que l’on trouve sur Internet. C’est le domaine de la superstition. Cela ne peut attirer que des enfants de Facebook et des jeux vidéo. C’est pourquoi je ne crois absolument pas à l’idée de déradicalisation. A quoi cela sert-il de dire à ces gens : « ceci n’est pas le vrai islam », alors qu’ils ont justement adhéré à la logique de ce discours ? Pour déconstruire ce discours, il faut être musulman.

Pourquoi ces convertis sont-ils mis en avant dans les vidéos de décapitation du groupe Etat islamique ?

Pourquoi montrent-ils ces bourreaux français ? Pour la même raison qu’ils ont montré un Britannique à l’accent cockney comme responsable de l’assassinat du journaliste américain James Foley. Ils savent l’effet que ça fera ici, ils veulent provoquer et jeter le doute sur les musulmans d’Europe. Pour Daesh, les Français et autres Européens n’ont aucun intérêt militaire, ils n’ont d’intérêt que pour la propagande, pour prendre les musulmans de leurs pays d’origine en otages.

Y a-t-il une dimension prosélyte ?

Il faut effectivement parler de la dimension du recrutement. En parlant de ce Français [Maxime Hauchard, mis en avant par l’Etat islamique dans une vidéo de décapitation], on suscite d’autres candidats au djihad. Aujourd’hui il n’y a que les décapitations qui intéressent. Lorsqu’un Européen arrive sur place, on commence par le tabasser, puis par lui demander de recruter trois, quatre ou cinq copains. Ils recrutent autour d’eux. Ce qui fait qu’aujourd’hui il n’y a plus aucun profil type du djihadiste. C’est une juxtaposition de différentes catégories – familles athées, catholiques, musulmanes, désunies, unies, insérées ou désocialisées, de banlieue ou de province…

Capture de la vidéo diffusée le 16 novembre par l'Etat islamique.

Capture de la vidéo diffusée le 16 novembre par l’Etat islamique. – / AFP

Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris, historien, spécialiste de l’islam contemporain, est l’auteur, notamment, de Je vous écris d’Alep (Denoël, 2013).

source : http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/11/18/le-discours-de-l-ei-ne-peut-prendre-que-chez-ceux-qui-n-ont-aucune-culture-musulmane_4525226_3224.html

date : 18/11/2015