L’élimination de Zahran Alloush, le combattant islamiste que tous adoraient détester – par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 janvier 2016

Le décès à la suite d’une frappe russe, près de Damas, du chef du groupe Armée de l’islam, qui était prêt à discuter dans des négociations de paix, risque de rendre mort-né le processus voulu par l’ONU.

« Non je ne me réjouis pas que Zahran Alloush ait été tué par les Russes, malgré l’énorme différend personnel et public qui m’oppose à lui.» C’est un ennemi juré du chef du groupe Armée de l’islam, qui réagit ainsi vendredi à la confirmation de sa mort dans un raid aérien près de Damas. L’écrivain syrien Yassin al-Haj Saleh accuse Alloush de l’enlèvement à Douma de sa propre femme, disparue depuis fin 2013 au côté de l’avocate des droits de l’homme Razan Zaitouneh et de deux autres de leurs compagnons. La réaction  de l’intellectuel opposant démocrate aujourd’hui exilé en Turquie illustre les sentiments ambivalents des nombreux et divers adversaires du chef de guerre salafiste que tout le monde adorait détester.

Zahran Alloush, le 21 juillet, dans son fief de Douma.
Zahran Alloush, le 21 juillet, dans son fief de Douma. Photo AMER ALMOHIBANY. 

Puissant chef et fondateur de la formation la plus importante de la rébellion syrienne dans la région de Damas, estimée à 45 000 hommes, Zahran Alloush, 44 ans qui régnait en maître incontesté sur la Ghouta orientale était un personnage hautement controversé. Libéré au début de l’été 2011 du célèbre « pavillon islamiste » de la prison de Sednaya en même temps que des dizaines de salafistes et jihadistes, à la faveur d’une amnistie de Bachar al-Assad, il annonce aussitôt vouloir renverser le régime par la force, au grand dam des militants de la révolution encore pacifique, qui le soupçonnent de complicité objective avec le régime. Il s’installe dans sa ville natale de Douma, 100 000 habitants à 10 km au nord-est de la capitale, où son père était déjà connu comme prédicateur salafiste proche de l’Arabie Saoudite, devenue le  principal soutien du fils Alloush. Après avoir participé à la «libération» de la région des forces du régime fin 2011, Zahran parvient à unifier les différents groupes d’opposition armés rivaux sous la bannière de l’Armée de l’islam, imposant un ordre, loin du chaos d’autres zones rebelles au nord de la Syrie.

Assiégée, affamée et régulièrement bombardée par l’armée de Bachar al-Assad, l’enclave, comparée par un chercheur américain à une «bande de Gaza géante» survit miraculeusement. «Du fait de la corruption et du ravitaillement par les tunnels contrôlés par le seigneur de guerre», disent les détracteurs d’Alloush. «Grâce à une gestion politique et militaire rigoureuse», considèrent au contraire ses partisans de Douma, banlieue sunnite longtemps marginalisée et farouchement opposée au régime. «Nous avons à Ghouta des ressources comme l’eau et l’agriculture, mais aussi de nombreux professionnels parmi les citoyens qui se sont montrés très créatifs pour assurer les besoins vitaux de la population», assurait Zahran Alloush. Dans une interview publiée le 15 décembre sur le site The Daily Beast, du New York Times, au lendemain de la réunion à Riyad des différentes composantes politiques et militaires de l’opposition syrienne, dont un représentant de l’Armée de l’islam, Alloush se pose  en maître du pragmatisme. «Nos priorités restent celles des débuts de la révolution syrienne : débarrasser notre pays de toute forme de dictature et de terrorisme. Comme toutes les autres forces révolutionnaires, nous combattons tant les forces d’Assad que la mentalité takfiriste de l’Etat islamique», expliquait il.

Fort de ses succès contre les forces de l’Etat islamique qu’il a réussi à chasser de toutes les régions qu’il contrôlait près de Damas, le chef de l’Armée de l’islam s’est présenté comme un exemple pour une rébellion syrienne islamique mais non jihadiste. Le profil parfait aujourd’hui pour les Saoudiens, qui lui ont toujours apporté un soutien politique et financier solide et généreux. «L’armée d’Alloush est exclusivement composée de Syriens, sans combattants étrangers ou anciens jihadistes d’Irak ou d’Afghanistan», souligne Hadeel Oueiss, jeune journaliste syrienne, chrétienne d’Alep, qui l’a interviewé par téléphone pour le Daily Beast. «Installé à quelques kilomètres du palais présidentiel de Damas, il est une cible de choix pour les frappes russes», écrivait la journaliste, dix jours avant l’assassinat ciblé de Zahran Alloush.

Logiquement, les médias du régime Assad ont célébré «la mort du grand terroriste des Saud», les hommes du Hezbollah ont distribué des pâtisseries dans la banlieue sud de Beyrouth, tandis que l’Iran se réjouissait de l’élimination du «terroriste wahhabite» et que la Russie rappelait les attaques de l’Armée de l’islam contre les habitants de Damas. Les plus heureux de sa disparition étaient les hommes de l’Etat islamique qui ont salué «la fin d’un traître à l’islam». En revanche, dans le camp des opposants syriens, l’assassinat de Zahran Alloush est un coup dur. «Il aura des conséquences sur tout le processus politique et diplomatique entamé à Vienne et Genève», affirme Riad Hijab, ancien Premier ministre syrien, devenu coordinateur de la délégation qui devrait participer aux négociations avec les représentants du régime. «C’est la perspective de la seule solution politique possible en Syrie que la Russie a tué aujourd’hui», selon la militante démocrate Nahed Badawyé.