Les réfugiés syriens au Liban et dans les autres pays limitrophes par Elisabeth Longuenesse

Article  •  Publié sur Souria Houria le 9 novembre 2016
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Les Dimanches de Souria Houria

Le dimanche 30 octobre 2016, de 17 h à 19 h

 

Les réfugiés syriens au Liban et dans les autres pays limitrophes

Elisabeth Longuenesse

 

Préambule :

La problématique des réfugiés n’est pas du tout la même en Europe (et singulièrement en France) et dans les pays limitrophes, particulièrement au Liban et en Jordanie. Elle ne se formule pas dans les mêmes termes.

En Europe, on peut et on doit la poser en termes de droits, lesquels sont entravés par des enjeux de politique intérieure, plus que de société.

En Jordanie comme au Liban, une fois posée la question des droits (ou de l’absence des droits et du droit, c’est sur cela que je vais revenir), il faut vraiment revenir à l’état des sociétés pour comprendre les conséquences et surtout les enjeux de la présence d’une masse incroyable de réfugiés ; certes, il est difficile de dissocier la question des enjeux politiques de celle de la société, mais il me semble que la question sociale est première.

Autrement dit, dans tous les cas, il faut articuler question de droit, de société et de politique, mais la façon dont cela s’articule est très différente.

La Turquie par beaucoup d’aspects, est un peu dans un entre deux.

Je commencerai donc par un bref rappel des conventions internationales et de la position des trois pays, Liban Jordanie Turquie… Puis des effectifs de réfugiés, et leur répartition/localisation, et ce que cela représente dans chaque contexte. Avant de me centrer sur les problèmes sociaux auxquels sont confrontés tant les réfugiés que les sociétés qui les accueillent. Je développerai surtout le cas du Liban, mais évoquerai aussi la situation en Jordanie et en Turquie.

 

  1. Convention de Genève, droit international et obligation des états

La convention de Genève, signée en août 1951, en application de l’article 14 de la Charte des droits de l’Homme de l’ONU, affirme le droit de toute personne de bénéficier de l’asile hors de son pays en cas de persécution, et précise les conditions d’accueil des « réfugiés »… La mission La création en 1950 du Haut Commissariat aux Réfugiés, organisme de l’ONU, qui remplace l’Organisation Internationale pour les Réfugiés, avait précédé la signature de la convention de Genève, avec pour mission « de protéger les réfugiés, de trouver une solution durable à leurs problèmes », plus tard, on ajoutera «  de veiller à l’application de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 ». HCR et convention de Genève visent à répondre à la crise des réfugiés et des apatrides nés au lendemain de la seconde guerre mondiale des bouleversements politiques découlant du redécoupage de l’Europe. Ne sont donc concernés au début que les déplacés et réfugiés européens. En 1967 un protocole additionnel élargit le champ de la convention et la mission du HCR au monde entier.

Parallèlement, en 1948, la création de l’État d’Israël entraine l’exode de centaines de milliers de Palestiniens, et en 1949, l’ONU crée l’UNRWA, pour « répondre aux besoins essentiels des réfugiés palestiniens en matière de santé, d’éducation, d’aide humanitaire et de services sociaux » dans les pays qui les accueillent, à savoir : Jordanie, Liban, Syrie, Égypte (bande de Gaza).

 

La convention de Genève a force de loi pour les signataires. Au départ élaborée pour les réfugiés de la fin de la 2e guerre mondiale, puis élargie en 1967 au monde entier, elle a été signée par l’ensemble des pays européens, mais peu de pays non européens.

Ce n’est le cas ni du Liban, ni de la Jordanie, qui avaient déjà suffisamment à faire avec les réfugiés palestiniens, et n’étaient pas concernés par le problème des Européens. Par la suite, il n’était pas question pour eux de se tenir engagés par les vagues de réfugiés qui ont surgi des guerre du Golfe. Quant à la Turquie, elle a signé la convention avec une réserve géographique, limitée à l’Europe et excluant le Moyen-Orient et les autres régions du monde.

Cela signifie que ces trois pays – Liban, Jordanie, Turquie – ne reconnaissent pas le statut de réfugié aux déplacés des conflits régionaux. Dans la pratique, parfois avec beaucoup de réticence, ils délèguent la prise en charge de l’assistance au HCR.

Dans les pays qui en ont les moyens financiers la mise en œuvre de la convention conduit à créer une administration spécialisée dans l’examen des demandes d’asile. Mais dans la plupart des autres pays, c’est donc l’administration internationale représentant, dans chaque pays, le Haut Commissaire aux Réfugiés de l’ONU qui procède à cette sélection.

Donc, quand Amnesty affirme :

« Si la Jordanie a le devoir de protéger les civils contre les attaques armées, les mesures de sécurité mises en œuvre ne doivent pas violer ses obligations juridiques internationales, à savoir fournir protection et assistance aux réfugiés qui fuient ce même type de violences. Les empêcher d’entrer en Jordanie constitue une violation du droit international. » (Déclaration du 22 juin 2016, en réponse à la fermeture hermétique de la frontière syro-jordanienne suite à l’attentat perpétré sur cette frontière)

En toute rigueur, on ne voit pas à quel droit il est fait référence puisque la Jordanie n’est pas signataire de la Convention de Genève…

En revanche, on peut le dire de la Hongrie, de la Grande-Bretagne ou… de la France.

 

  1. Les effectifs de réfugiés, entre données officielles et réalité sur le terrain[1]

Il faut distinguer les réfugiés ayant le statut juridique de réfugiés, soit que le pays d’accueil le leur reconnaisse, après une procédure plus ou moins longue de demande d’asile, soit qu’ils soient enregistrés auprès du HCR ; et les réfugiés de fait, qui ont quitté leur pays et se sont exilés dans un pays voisin, ou y résidaient déjà et ne peuvent plus retourner dans leur pays, sans être enregistrés auprès d’une administration nationale ou internationale comme demandeurs d’asile ou réfugiés. Les seuls chiffres précis sont ceux du HCR. On estime en général que le nombre de réfugiés de fait est beaucoup plus important que le nombre officiel de ceux qui sont enregistrés comme tels.

En octobre 2016, le HCR recense 4 800 000 réfugiés syriens enregistrés auprès de ses services :

– 1 017 000 au Liban (alors qu’ils étaient 1 169 000 en février 2015), répartis de la façon suivante : 360 000 dans la Bekaa, 251000 dans le nord, 288 000 dans le Grand Beyrouth, 118 000 dans le sud.

– 655 000 en Jordanie, dont 141 000 dans des camps ; 175 000 à Amman, 135 000 à Irbid, 158000 à Mafraq, 109000 à Zarqa ;

– 2 753 000 en Turquie (chiffres officieux fournis par le gouvernement turc, sans indication de répartition)

Ces chiffres sont de l’avis général bien inférieurs à la réalité. En tout état de cause, ce qu’ils représentent par rapport à la population de chaque pays est bien différent.

Au Liban, on estime généralement que l’effectif réel est plus proche de 1,5 millions de personnes, pour une population de 3,7 à 4 millions d’habitants, ce qui représenterait une augmentation de la population de plus d’un tiers. Rappelons que les réfugiés sont venus s’ajouter à environ 200 à 300 000 travailleurs syriens déjà présents avant 2011 : sans doute peu nombreux sont ceux qui ont fait la démarche de s’inscrire auprès du HCR, ou d’inscrire leur famille qui les a rejoints. J’y reviendrai tout à l’heure. Les Syriens, réfugiés ou travailleurs, représenteraient donc plus du quart de la population résidente au Liban aujourd’hui. Dans certaines régions, souvent les plus pauvres du Liban, dans la Bekaa ou le ‘Akkar, la population a tout simplement doublé ou triplé. Parmi eux, on trouve aussi un petit nombre d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires, et une classe moyenne de diplômés, d’intellectuels, d’experts et d’universitaires, généralement concentrés à Beyrouth.

En Jordanie, dont il faut rappeler qu’elle avait accueilli dans les années 2000 plusieurs centaines de milliers de réfugiés irakiens, le nombre réel de Syriens présents sur le territoire est aussi probablement au moins le double de l’effectif recensé par le HCR.

En Turquie, où ils ne sont pas plus reconnus comme réfugiés par les autorités turques, ils sont recensés par les administrations locales, et une proportion indéterminée s’inscrit auprès du HCR. On estime généralement que leur nombre est proche de 3,5 millions, sinon plus encore. Ils sont principalement concentrés près de la frontière sud, et à Istanbul, où ils seraient environ 350 000. A Gaziantep (1,5 millions d’habitants) ils seraient au nombre de 300 000, mais aussi 100 000 à Rayhanli (pour 60 000 habitants), 120 000 à Kilis (pour 109 000 habitants). 10% sont répartis dans 26 camps,

Les réfugiés pèsent donc de façon particulièrement lourde sur les deux petits pays que sont le Liban et la Jordanie, qui sont à la fois fragiles politiquement (particulièrement le Liban), et dont les ressources sont limitées (part. la Jordanie)

 

  1. Politique d’accueil, statut des réfugiés, la question des camps.

La première année, en 2011-2012, les réfugiés passent à peu près librement les frontières. Mais leur afflux croissant entraine des crispations, et la Jordanie, puis le Liban ferment leurs frontières. Elles restent ouvertes en Turquie, avec des épisodes de fermeture qui ne durent pas.

Au Liban, les travailleurs syriens « bénéficiaient » depuis la fin de la guerre civile de l’accord syro-libanais jusqu’en janvier 2015. Depuis, ils sont soumis à obligation de visa et d’autorisation de travail, et de renouvellement à un coût élevé (200€) de l’autorisation de séjour, ce qui place les 2/3 des réfugiés en situation illégale[2]. Toutefois, la frontière semble rester relativement poreuse, mais ceux qui la traversent illégalement sont plus que jamais soumis en cas de contrôle à une lourde amende et à l’expulsion.

En Jordanie, un système de parrainage de chaque réfugié par un citoyen Jordanien est imposé dès les premiers mois, mais l’afflux de réfugié le rend inapplicable. Depuis l’attentat de l’été 2015, la frontière est absolument hermétique et un no man’s land a été mis en place, dans lequel sont coincé plusieurs dizaines de milliers de personnes.[3]

En Turquie, la politique a varié selon les moments, la frontière est brièvement fermée à l’été 2012, puis ré ouverte en même temps que sont créés les premiers camps et négociée une aide internationale. Aujourd’hui, la frontière turque est la dernière à être restée officiellement ouverte pour les réfugiés.

Au départ, la présence des réfugiés est pensée par tous comme temporaire… ils arrivent d’abord dans les villes et villages frontaliers, où ils avaient souvent des relations familiales ou commerciales. Des camps sont mis en place dès 2012 en Jordanie (sous l’égide du HCR) et en Turquie (sous le contrôle du gouvernement)

Au Liban, les premiers réfugiés rejoignent parfois des parents déjà là, comme travailleurs, répartis sur l’ensemble du pays. Pendant des mois, le gouvernement libanais, obnubilé par sa politique officielle de « dissociation » à l’égard des évènements de Syrie, obsédé par le précédent palestinien, empêtré dans ses problèmes internes, fait semblant de ne rien voir… Mais à partir de 2012, la présence des réfugiés apparaît comme durable. Malgré le refus officiel d’envisager l’installation des réfugiés, pour ne pas reproduire le précédent palestinien, des camps informels surgissent, sur des terrains privés loués par leurs propriétaires (auxquels les réfugiés doivent donc payer un loyer), pour lesquels le HCR et diverses ONG internationales apportent une aide matérielle, sous forme de don de tentes et équipements divers.

Mais quelle que soit la politique officielle, dans tous les cas, les réfugiés hébergés dans des camps ne représentent pas plus de 10 à 20% du total, dans aucun des trois pays.

Au Liban, on estimait en 2014 que 60% étaient logés dans des maisons ou appartements, et 23% dans des chantiers, garages, entrepôts, et 17% dans des campements informels. Ce dernier chiffre aurait toutefois tendance à augmenter, du fait de la paupérisation croissante des réfugiés.

Quant aux palestiniens syriens, ils viennent gonfler la population des camps de réfugiés palestiniens, depuis longtemps devenus des quartiers de relégation de la population la plus pauvre, accueillant réfugiés kurdes et travailleurs étrangers (asiatiques ou africains), et aujourd’hui les réfugiés de Syrie, qu’ils soient palestiniens ou syriens : le surpeuplement des camps palestiniens atteint un degré inégalé. Celui de Chatila a Beyrouth en est l’illustration la plus extrême[4].

 

  1. Situation concrète et pbs sociaux des réfugiés

A côté des problèmes de logement, évoqués précédemment, les principaux problèmes rencontrés sont ceux du travail, de la scolarisation, et de la santé.

  1. La question du travail : entre droit et réalité.

Pour comprendre la situation des réfugiés sur le marché du travail, il faut la mettre en relation non seulement avec les règles qui leur sont imposées, mais aussi et d’abord, avec la structure du marché du travail dans le pays d’accueil, qui se caractérise, à des degrés divers, pas l’importance du travail non déclaré, le poids des travailleurs étrangers, la non application du droit du travail, la faiblesse de la protection sociale.

Ainsi, au Liban, selon Tawfik Gaspard[5], en 2011 la moitié de la population active était salariée, et la moitié des salariés bénéficiaient d’une protection sociale (ceci, sans compter la main d’œuvre agricole saisonnière et les employés domestiques).

En Turquie, en 2006, les travailleurs « non enregistrés à une caisse d’assurance publique » comptaient pour 48% de l’emploi total – mais seulement 34% de l’emploi non agricole et 23% des salariés[6] – contre les ¾ (et la moitié des salariés) au Liban. Si le poids du travail non déclaré, non protégé reste important, il l’est tout de même deux fois moins qu’au Liban. La politique à l’égard des réfugiés, sans être idéale, est aussi beaucoup plus favorable.

Pour revenir au Liban, si en 2011, 54% des actifs étaient libanais, ils ne sont plus que 44% en 2016. Pour un peu plus d’un million de Libanais ayant un emploi, 522 000 sont au chômage, soit un tiers de la population active libanaise (hors étrangers), alors que les chômeurs libanais n’étaient que 11% en 2011. 360 000 libanais auraient été mis au chômage depuis 2011 (Source : Tewfik Gaspard)

Les Syriens, qui représentaient 22% des actifs occupés en 2011, représenteraient donc aujourd’hui 31% (726 000 personnes).

Du coup, en 2016, on estime que les Libanais ne représenteraient plus que 61% de la population résidente (71% en 2011) (estimations basses), les Syriens 24% (contre 11%), les autres 15% (18%) [pour moitié probablement des Palestiniens]

La conséquence de cette évolution est inévitablement une énorme pression sur les salaires et un accroissement de la pauvreté, dont souffrent bien sûr les réfugiés, mais aussi les travailleurs syriens, et les catégories les plus pauvres de la société libanaise.

Si certains soulignent les effets positifs de la présence des réfugiés syriens, du fait des ressources que créent la location des terrains, la demande locative, les besoins de consommation courante, les emplois créés dans le secteurs des ONG, sans oublier la présence d’une petite frange de réfugiés aisés, d’entrepreneurs et d’investisseurs, le chômage, la pression sur les salaires, la paupérisation contribuent surtout à creuser les inégalités, d’abord bien sûr entre réfugiés et population locale, mais aussi au sein de la population locale, ce qui ne peut qu’alimenter les tensions sociales.

Pourtant, sur un plan strictement juridique, les réfugiés enregistrés comme tels, n’ont en principe pas le droit de travailler. Depuis 2015 et la fermeture des frontières, tous les Syriens, réfugiés ou non, doivent demander un permis de travail et avoir un « kafil » ou garant légal, et ne peuvent changer de travail sans l’accord du kafil[7]. Les contraintes auxquelles ils sont soumis se sont donc durcies : on sait que ces contraintes n’ont jamais empêché quiconque de travailler mais simplement que cela contribue à fragiliser les situations de travail, et à aggraver la compétition sur le marché, une compétition qui par ricochet fragilise aussi les travailleurs Libanais les plus précaires.

La situation semble en revanche moins dramatique en Jordanie et en Turquie, même dans ces deux pays aussi la part du travail non déclaré reste importante, et l’emploi des réfugiés, même s’il est autorisé, souvent exclu de toute protection sociale.

En Turquie, les réfugiés se sont vu officiellement accorder le droit de travailler depuis 2015, en étant enregistrés à la sécurité sociale : dans la pratique, selon les observateurs, il semble que cela ne change pas grand chose, les employeurs ayant intérêt à ne pas les déclarer.

En Jordanie, enfin, leur situation est un peu meilleure qu’au Liban du fait d’une politique plus souple du gouvernement Jordanien à leur égard.

 

  1. La question de la scolarisation des enfants

Sur un peu plus d’un million de réfugiés inscrits auprès du HCR au Liban, on estime que plus de 400.000 sont d’âge scolaire (entre 5 et 17 ans), tandis qu’à peine 30% seraient scolarisé.

C’est que si les pays d’accueil ont en principe « obligation » de scolariser ces enfants, il faut imaginer la pression que cela représente sur le système scolaire.

Au Liban, il ne faut pas oublier que les ¾ des élèves du primaire et plus de la moitié du secondaire (premier et second cycle) sont scolarisés dans le secteur privé. C’est donc sur le seul secteur public, déjà en déshérence, que cette pression s’exerce, particulièrement dans les régions les plus déshéritées, où certaines écoles ont vu tripler leur effectif. Les écoles accueillent une partie des enfants syriens avec les petits libanais le matin, les autres dans des sessions spéciales l’après-midi.

En 2013, sur un total de 471000 enfants scolarisés dans le primaire (dont probablement déjà 10 à 15% d’enfants syriens), 133 000 seulement sont dans le public. Accueillir tous les enfants syriens signifierait donc doubler les effectifs du public. En effet, pour des raisons financières évidentes, seule une petite proportion est susceptible d’être accueilli dans le privé (majoritairement dans les écoles privées gratuites). [8].

A cela s’ajoute la difficulté de s’adapter à un enseignement partiellement en langue étrangère (en français pour 80% des écoles publiques, en anglais pour les 20% restant).

En Jordanie, selon le HCR, environ 70% des jeunes réfugiés auraient accès à l’école primaire ou secondaire, tandis que la Turquie aurait réussi scolariser 39% des jeunes réfugiés.[9]

Senay Ozden évalue quant à elle à 750 000 le nb d’enfants d’âge scolaire en Turquie, dont la scolarisation impliquerait le recrutement de 30 000 nouveaux enseignants ; près de la moitié seraient inscrits à l’école, mais pour une part importante, de façon fictive, les autres allant grossir une main d’œuvre enfantine sur exploitée et les enfants des rues.

Des ONG créent de leur côté des écoles, et mettent sur pied de nouveaux programmes, parfois avec l’aide de l’Unesco, mais leurs moyens sont limités.

  1. Crise des réfugiés et santé publique[10]

Dans le domaine de la santé, les conséquences d’abord dramatiques de l’afflux de réfugiés au Liban se sont transformés en source d’amélioration dont ont bénéficié les plus pauvres.

D’un côté, le système de santé majoritairement privatisé et très cher a une capacité limitée qui a été mise à l’épreuve par l’explosion des besoins. Les hôpitaux et les centres de soins de santé primaire ont été débordés. De l’autre, grâce à l’aide internationale (OMS, Unicef, Union européenne principalement), des dizaines de centres de santé ont été créés, des campagnes de vaccination, de dépistage du VIH, de lutte contre la malnutrition, ont été lancées, dont ont profité les Libanais les plus pauvres.

En raison du manque d’équipements modernes, les Libanais habitant dans des régions éloignées devaient auparavant se rendre jusqu’à Beyrouth pour accéder aux soins hospitaliers d’urgence.

Alors qu’ils n’étaient que 180 avant la guerre en Syrie, il existe désormais 230 centres de soins de santé primaire dans tout le Liban.

Il n’en reste pas moins que ce sont les femmes et les enfants qui souffrent le plus du traumatisme et des conséquences de la violence et de la pauvreté, avec la multiplication des mariages précoces, des viols, des naissances non déclarées.

 

  1. Et après…

L’évolution du conflit ne permet pas d’envisager un retour à court terme, d’autant que les réfugiés n’ont tout simplement plus où aller. Leur installation sera donc de toute évidence durable.

Pour le Liban, cela signifie faire face au fait que près de la moitié de la population résidente est étrangère, i.e. non libanaise.

Comment le pays, la société, la classe politique, affronteront-ils cet état de fait ?

La première solution est de considérer que le pays devra dépendre plus que jamais de l’aide étrangère – pour répondre aux besoins de la population non libanaise… en admettant définitivement que l’État libanais, les institutions libanaises, ne prennent en charge que la moitié de la population résidente, et ne cherche pas à savoir ce qui se passe pour la moitié de la population réellement présente sur le territoire, encore moins à répondre à ses besoins, à définir une politique publique correspondant à la réalité. De fait, c’est plus ou moins le cas.

Mais Libanais et étrangers se côtoient dans les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les universités… et bien sûr dans l’espace public, le monde de la culture… comment imaginer qu’on puisse les distinguer, et considérer que seuls les premiers sont concernés par les politiques de leur gouvernement ?

L’autre solution serait de reconnaître cette réalité sociale : déjà, les Libanais sont des milliers à le faire, et à travailler et agir solidairement avec les travailleurs étrangers, et aujourd’hui avec les réfugiés. Cela voudrait dire repenser radicalement le système de représentation, envisager la possibilité d’intégrer progressivement, par la naturalisation, ou au moins l’octroi d’un minimum de droits civiques, ces populations arrivées pour certaines depuis plusieurs générations, sur le territoire du Liban ; en se rappelant qu’à une époque pas si lointaine, le Liban a su se penser comme terre d’immigration et d’accueil.

La seule solution pour préserver le Liban, comme idée de pluralisme et de coexistence entre groupes, n’est-elle pas de se débarrasser de sa vieille classe politique, et de trouver un moyen de faire une place à tous les habitants du pays, y compris les réfugiés – ce qui ne signifie pas pour autant renoncer à l’idée de leur retour dans leur pays, qu’il s’agisse des Palestiniens ou des Syriens?

[1] Pour mémoire :

En France, on compte un peu plus de 4 millions d’étrangers – dont une partie sont nés dans le pays, ce qui représente 6,4% de la population totale. Parmi eux, l’OFPRA estime le nombre de réfugiés statutaires entre 200 et 240 000 personnes (détenteurs titre de séjour en tant que réfugiés), toutes nationalités confondues (sachant que les chiffres sont approximatifs, car il est difficile de connaître le chiffre exact de ceux qui sortent du statut, soit qu’ils quittent le territoire, soit qu’ils obtiennent la nationalité française). 80 000 demandes d’asile ont été déposées en France en 2015, pour 442000 en Allemagne et 156000 en Suède. En juillet 2016, on comptait déjà 47000 demandes d’asile en juillet 2016 pour l’année 2016 Un peu plus de 10 000 syriens ont été accueillis depuis 2011. Ils représentent donc une relativement faible partie du nombre des réfugiés accueillis en France.

En 2014, 77 000 étrangers ont obtenu la nationalité française.

[2] Cf. J. Hassine, Les réfugiés et déplacés de Syrie, L’Harmattan, 176_77

[3] Voir Kamel Dorai, La Jordanie et les réfugiés syriens, La vie des Idées, 7 juin 2016 (http://www.laviedesidees.fr/La-Jordanie-et-les-refugies-syriens.html)

[4] Voir l’article de Hala Abou Zaki dans Confluences Méditerranée, n°92.

[5] Cf Le Commerce du Levant, octobre 2016.

[6] http://www.cee-recherche.fr/publications/connaissance-de-lemploi/la-turquie-un-marche-du-travail-en-transition, consulté le 29 oct 2016.

 

[7] La régularisation des ouvriers syriens, un casse-tête pour les entrepreneurs – Sahar AL-ATTAR. (s. d.). Consulté 20 février 2015, à l’adresse http://www.lorientlejour.com/article/912142/la-regularisation-des-ouvriers-syriens-un-casse-tete-pour-les-entrepreneurs.html

[8] Maissam Nimer, thèse. Isabelle Grappe, in Confluences Méditerranée, n°92. AUF (https://ifadem.org/fr/pays/liban/systeme-educatif)

[9] L’Orient le Jour, 15/9/16.

[10]http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/9/57d117e4a/crise-refugies-syriens-services-sante-libanais-sameliorent.html