Parution du « Cauchemar syrien »

Article  •  Publié sur Souria Houria le 31 janvier 2016

Livre_Le cochemar syrienComment en est-on arrivé là ? Qui sont les responsables du blocage de toute résolution politique du conflit ? Qui soutient qui réellement, au delà des fantasmes réciproques ? Qui s’oppose concrètement à qui sur le terrain armé ?

Toutes ces questions inextricables, dont les réponses les plus satisfaisantes doivent aujourd’hui faire preuve d’une nuance prudente compliquant d’autant plus le panorama de la situation, ont contribué au désintérêt croissant du public par rapport à la question syrienne. Pire, quand le public n’est pas désintéressé, il tend aujourd’hui à plaquer sur la situation un ensemble de clichés, relevant souvent plus du fantasme que d’une réalité qui ne peut se satisfaire d’un manichéisme béat.

Peut-on blâmer le « public » alors que la barbarie à l’œuvre est devenue un fond de commerce pour beaucoup – il suffit de vous rendre dans la libraire la plus proche pour vous en rendre compte par vous même – ? La crise syrienne et ses ressorts encore bien incompris, qu’on vous vend déjà en livre de poche la promesse d’une descente aux enfers dans notre propre hexagone. L’hystérie n’est pas – plus ? – que sur internet et ses réseaux sociaux. Elle se trouve désormais sur les plateaux de télévision, dans les reportages incessants dont on nous abreuve à longueur de journée, dans la presse, et désormais dans l’édition. Le terrorisme a eu le mérite de faire découvrir bien des vocations, c’est indéniable : celle d’une frange – d’un « mouvance » aurait-on dit il n’y a pas si longtemps – de notre jeunesse. Celle d’ « experts » qui ont flairé un bon filon. La loi de l’offre et de la demande semble battre son plein.

Au milieu de ce qu’on n’espère être qu’une « bulle spéculative » de l’édition, se trouve toutefois quelques ouvrages qui se démarquent, ne pronostiquant pas l’implosion de notre pays, ni un choc des civilisations qui s’apparente néanmoins de plus en plus à une prophétie auto-réalisatrice, la faute aux cris d’orfraies hélas trop audibles et surmédiatisés. Certains ouvrages qui se consacrent à l’étude approfondie des causes et des raisons qui ont conduit le Moyen-Orient à cette situation de manière plus scientifiques et rigoureuses existent. Celui de Pierre-Jean Luizard par exemple, Le piège Daech, où la situation irakienne est décrite avec un recul historique dont bien des ouvrages se font l’économie.

Mais force est de constater que les ouvrages analysant LES acteurs de l’ensemble de la région, avec un tel recul, et ne se consacrant pas qu’à l’Etat islamique qui est à bien des égards porté au rang d’acteur central pour justifier notre immobilisme et notre incompréhension, sont rares. C’est dans cette optique qu’Ignace Dalle a initié l’idée d’un ouvrage en commun avec l’ancien responsable de ce blog, Wladimir Glasman, afin de combler un vide concernant la Syrie : Le Cauchemar syrien.

Un parti-pris a été fait de mettre l’Etat islamique en filigrane, préférant développer les raisons profondes, structurelles et conjoncturelles, à l’origine de la crise syrienne. Les jeux de pouvoir et les divers intérêts, souvent conflictuels, y sont décryptés sans concession et sans naïveté. L’objectif de cet ouvrage est ainsi de décrire la responsabilité collective qui a contribué à créer un chaos durable dans ce pays mais également dans la région dans son ensemble.

L’ouvrage se structure autour de trois parties. La première pose le cadre historique et politique essentiel pour saisir la complexité de ce pays. La construction de la Syrie ba’thiste y est décrite, marquant dès sa naissance un pouvoir intrinsèquement autoritaire et totalitaire – le parti dirigeant étant constitutionnellement « dirigeant de l’Etat et de la société ». C’est donc le portrait d’un Etat policier, gérant plus sa survie que celle du développement du pays, qui est dressé. Sa survivance semblant assurée et le défi de la succession franchi, l’heure de tirer les gains économiques de cette mainmise est arrivée, permettant certes un réel développement du pays mais au sein d’une économie marqué par la prédation. Ce panorama de l’Etat syrien se poursuit par une description de sa société, multiconfessionnelle, avec au premier rang la présentation de la communauté alaouite, souvent improprement présentée comme la « communauté au pouvoir » alors que celui-ci se veut plutôt clanique, les alaouites étant d’une certaine façon pris en otage par un régime qui a longtemps fait planer le spectre de leur disparition s’il venait à chuter… Cette stratégie du bâton et de la carotte est présentée dans l’ouvrage comme animant le rapport du pouvoir avec l’ensemble des minorités confessionnelles mais aussi ethniques : chrétiens et Kurdes par exemple. Cette première partie se clôt sur les espoirs déçus qu’a incarné Bachar al-Assad pour de nombreux Syriens, qui ont espéré une ouverture dès son arrivée au pouvoir en 2000. Espoir déçu une seconde fois en 2011, le dirigeant faisant la sourde oreille à la révolte populaire pour avancer des réformes superficielles tout en envoyant les forces de sécurité et des miliciens réprimer les manifestations.

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée aux acteurs internationaux, à leurs politiques vis-à-vis de la Syrie, basées sur la quête de leurs propres intérêts : la Russie, pour qui la Syrie représente un moyen de montrer ses muscles, diplomatiquement mais également militairement, tout en menant un combat idéologique de plus en plus affirmé, y compris à un niveau religieux. Les Etats-Unis, qui paradoxalement s’illustrent part leur absence de politique sur ce dossier, provoquant des incompréhensions jusqu’au sein de l’administration américaine. La France, qui se caractérise par ses flottements et ses atermoiements, marquant plus sa politique de discours fermes que de décisions cohérentes. Cette partie ne fait pas l’économie d’utiles rappels historiques, apportant un éclairage essentiel pour saisir les relations bilatérales de la Syrie.

Enfin, la troisième partie est dédiée aux acteurs régionaux. L’Iran en premier lieu, dont la relation historique avec la Syrie est détaillée, retraçant le changement de nature des rapports entre les deux pays. Partenaires du temps de Hafez al-Assad, la Syrie n’est aujourd’hui – des aveux même de certains dirigeants iraniens – qu’une « province » iranienne sur bien des aspects. La Turquie ensuite, dont la relation avec son voisin a souvent été mouvementée sous Hafez al-Assad, pour au contraire se stabiliser et paraître équilibrée du temps de Bachar, jusqu’au retournement de 2011. Viennent ensuite les monarchies du Golfe, divisées entre elles, dont les objectifs en Syrie peuvent diverger et dont les influences respectives n’ont fait qu’aggraver le conflit et fragmenter une opposition déjà faiblement structurée. Les voisins directs, Liban et Jordanie notamment, sont enfin traités, soumis aux afflux de réfugiés mais aussi aux tentatives d’ingérence et à divers défis frontaliers. Israël a également droit à un chapitre, attestant de sa position d’observateur inquiet du développement du jihadisme et de la présence affirmée du Hizbollah libanais à sa frontière. Un court chapitre est également dédié aux Palestiniens de Syrie – sujet peu traité et auquel tenait Wladimir Glasman – victimes d’une double peine. Réfugiés, contraints de prendre pour certains d’entre eux la route d’un nouvel l’exil.

Le Cauchemar syrien, Ignace Dalle et Wladimir Glasman, Fayard, 400 pages