« Sans Internet, la révolution aurait été immédiatement écrasée » – par Angie Nassar

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 janvier 2012

Le blogueur syrien Shakeeb Al-Jabri, en exil à Beyrouth, refuse la clandestinité. Il explique à quel point, selon lui, la révolution syrienne repose sur les médias sociaux et les technologies liées à Internet.

 

NOW LEBANON : Plusieurs activistes connus du public ont fui le pays, car même au Liban ils ne sentent pas en sécurité. Vous êtes l’un des rares blogueurs syriens de Beyrouth à ne pas être entré dans la clandestinité. Pourquoi ?

Jabri@LeShaque: Dès le début, je me suis dit que j’avais deux options : me faire mieux connaître ou me cacher. Aujourd’hui, je suis un blogueur assez connu pour son franc-parler. Vous avez vu ce qui est arrivé à la blogueuse syrienne Razan Ghazzawi [arrêtée le 4 décembre dernier à la frontière syrano-jordanienne]. Ils l’ont gardée en détention pendant deux semaines, mais ils ne l’ont pas torturée. Ce n’était pas une partie de plaisir, mais le régime est beaucoup plus prudent avec les gens en vue. Je ne veux pas non plus que, dans l’avenir, on me demande ce que je faisais pendant la révolution. J’y étais. J’ai pris le risque. J’ai fait ce que je devais faire. Je le fais parce que c’est mon pays, parce que je l’aime et parce que j’ai une occasion unique d’œuvrer à un changement qui pourrait avoir une incidence sur le reste de ma vie.

Quels sont vos plus gros problèmes en tant que blogueur et activiste syrien ?
Jabri : Me procurer toutes les informations et les vérifier. Nous avons la technologie, mais pas le savoir-faire. Au début, les gens n’étaient pas vraiment préparés. Tout le monde ne sait pas utiliser Skype. Tout le monde ne sait pas que Skype est crypté. Tout le monde ne sait pas que le gouvernement peut voir tout ce que vous publiez sur Internet si vous ne le cryptez pas vous-même. Et, après les premières arrestations d’internautes, les gens ont commencé à flipper. Nous avons dû intervenir pour expliquer [comment utiliser les médias sociaux] et agir en ligne. On est confronté à deux réalités contradictoires : la première est qu’une bonne partie [de la révolution] prend place sur la toile, et la seconde, que seulement 15 % des Syriens sont reliés à Internet. La plupart des manifestants n’ont jamais vu un ordinateur de leur vie. […] Mais les médias sociaux sont un lien important. Sans eux, le printemps arabe n’aurait pu avoir lieu. […] Je dirai qu’environ 60 % des communications sur la révolution se font par Skype ou par téléphone satellite Thuraya.

Comment vous assurez-vous de la crédibilité des informations ?
Jabri : Il y a différentes manières de procéder. J’ai commencé avec des amis de Syrie qui m’ont présenté à des gens en qui ils avaient confiance et le réseau s’est peu à peu agrandi. Je vérifie toujours mes informations auprès d’au moins deux sources syriennes. Quand je n’en ai qu’une, il faut que j’aie totale confiance en elle.

Il y a aussi les groupes Facebook comme Akbar Shabab Souriya, dont les membres publient des informations de différentes pages. […] On n’est pas autorisé à débattre, mais on peut demander des détails pour confirmer ou démentir des informations. Nous savons où se trouvent certaines personnes de ce groupe, ce qui est très pratique, par exemple, pour les explosions qui se produisent à Damas. Dès que quelqu’un en annonce une, on essaie de confirmer la nouvelle par différentes sources, puis on s’informe sur le lieu : selon l’endroit où ils se trouvent, des gens nous disent qu’ils l’ont entendue plus ou moins fort. On sait alors dans quel quartier il faut lancer des appels à témoin.

En quoi les médias sociaux ont-ils influé sur la révolution syrienne ?
Jabri: En Syrie, on est incroyablement dépendant des médias sociaux. Pour organiser une manifestation, on crée un groupe Facebook. Pour appeler les gens à y participer, on crée une page Facebook. Pour publier des informations, on crée un compte Twitter. Pour communiquer avec d’autres activistes, on utilise Skype. Pour montrer la manifestation au monde, on a recours à YouTube. Sur certains panneaux, on peut même lire “Merci, YouTube”. Si tout cela n’avait pas existé, la révolution aurait été immédiatement écrasée. Il y aurait eu un autre massacre de Hama [répression massive ordonnée par le président Hafez El-Assad en 1982], mais le régime s’en serait tiré impunément. Regardez comment le gouvernement se comporte. Regardez à quel point il se plaint des médias. Il critique plus les médias que les manifestations elles-mêmes !

source: http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/25/sans-internet-la-revolution-aurait-ete-immediatement-ecrasee