Souheir al-Atassi: comment les révolutionnaires préparent la Syrie de l’après-Assad – Par Caroline Donati

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 janvier 2012

Sa voix porte dans toute la Syrie, de Homs, la capitale de la révolution dont sa famille est originaire, à Damas, sa ville natale. Mais aussi à Dera’a, au sud, à Deir Ezzor à l’est, et au-delà même des frontières du pays. Souheir al-Atassi est une figure clé de la révolution syrienne.

Les jeunes révolutionnaires, dont elle vante le courage « historique » et la « maturité politique », la considèrent un peu comme leur mère. Elle est devenue leur icône, leur porte-parole. Peu nombreux sont ceux qui l’ont rencontrée, mais tous se reconnaissent dans ses messages. Condamnée à mort par le régime et traquée par ses services de renseignement, la militante a dû se résoudre à vivre en clandestinité, dès le mois d’avril 2011, changeant en permanence de cachette. C’est depuis ces abris de fortune, pas même connus de ses proches, qu’elle n’a eu de cesse d’encourager les Syriens dans « leur combat pour la dignité », depuis sa page Facebook ou Twitter, alertant les siens et les médias des offensives des forces de sécurité.

Souheir al-Atassi a joué un rôle actif dans la structuration du soulèvement, à partir de l’Union des comités de coordination locale, l’un des premiers réseaux de contestation. Aux côtés de ces jeunes Syriens, qui défient depuis maintenant plus de dix mois le régime de Bachar al-Assad et sa machine répressive et milicienne, elle a participé à la création de la Syrian Revolution General Commission (SRGG), qui regroupe le plus grand nombre de comités de coordinations et de structures mis en place par les révolutionnaires.

La SRGC organise la mobilisation nationale sur le terrain, des actions civiles et médiatiques à l’entraide, et gère la vie quotidienne dans les territoires de la contestation. Cela a créé un embryon du nouvel Etat de la Syrie libre que les révolutionnaires appellent de leurs vœux. « Il n’y a pas que des voix dans cette révolution, il y a aussi des cerveaux », rappelle Souheir al-Atassi.

Lorsqu’elle raconte le travail accompli, les documents politiques élaborés, « bien plus importants que tout ce que l’opposition syrienne a pu produire jusque-là », c’est souvent à la première personne du pluriel qu’elle parle, dans un souci de rendre hommage à ces chevilles ouvrières de la révolution qui n’ont pas de visibilité. Elle n’oublie pas les militaires libres, ces soldats qui ont fait défection et se « libèrent de l’armée d’Assad » : ils constituent, avec les médias, la seule protection des civils. Elle les a rencontrés personnellement.

La militante de 40 ans est aussi habituée à frayer avec les dinosaures de l’opposition syrienne. Son nom n’est pas inconnu de la scène politique : elle est la fille du Dr Jamal Atassi,opposant nationaliste arabe respecté, fondateur du Parti de l’Union socialiste arabe démocratique  (PUSAD). Pendant des années, elle a accueilli à son domicile les réunions du « Forum Jamal al-Atassi pour le dialogue démocratique », un cercle d’opposition initié en 2000 par les socialistes arabes, partisans de l’Union arabe. Autant dire qu’elle sait naviguer dans les méandres de l’opposition syrienne. Elle a continué à accueillir le « forum Atassi » sur sa page Facebook après que le pouvoir a ordonné sa fermeture en 2005.

Souheir al-Atassi est aujourd’hui décidée à mettre fin à plus de sept mois de vie clandestine. A la demande des révolutionnaires et des militants, elle a quitté la Syrie. Non pas en raison des menaces qui pesaient sur sa vie, mais parce que la poursuite du combat nécessitait qu’elle retrouve sa liberté de mouvement.

Dans un entretien exclusif à Mediapart, elle décrit la réalité de la révolution et détaille la stratégie des révolutionnaires, le rôle du Conseil national syrien et de l’Armée syrienne libre.« Le régime syrien, dit-elle, est un navire qui sombre dans le sang des Syriens qui réclament la liberté. » Elle appelle « la communauté internationale à soutenir la révolution, réellement et concrètement ».

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Pourquoi avez-vous décidé de quitter la Syrie après avoir vécu sept mois en clandestinité ?

Les révolutionnaires font preuve d’un courage extraordinaire, qui est historique. Ils ne peuvent pas faire plus, ils ont donné tout ce qu’ils pouvaient donner. Nous sommes maintenant à un autre niveau, une nouvelle étape de la Révolution. A nous, activistes, de faire notre part de travail, nous avons cette responsabilité. Les révolutionnaires nous le demandent.

C’est la raison pour laquelle je suis sortie de Syrie, de la clandestinité, à la demande des révolutionnaires, ceux de la « Hay’at al-‘Amat lil Thaoura al-Souriya » (Syrian Revolution General Commission – SRGC), de Syrie et de l’extérieur, mais aussi d’autres révolutionnaires et militants. Au sein de la SRGC, nous ne sommes pas fermés, nous parlons avec tout le monde. Je ne représente pas l’ensemble des révolutionnaires, je parle au nom d’une partie importante du mouvement et j’ai leur confiance. Je n’ai donc pas quitté la Syrie en raison du danger – je suis menacée de mort depuis le 2 février et en danger depuis le 25 avril –, mais pour réaliser ce projet. A l’étranger, je peux avoir une liberté de mouvement pour mener à bien cette nouvelle étape, à un moment critique.

Quelle est cette nouvelle étape ?

Au départ, les civils ont filmé les manifestations et rapporté les exactions de manière spontanée, sans organisation. Ils se sont ensuite organisés en comités locaux, pour coordonner les actions, l’aide et la vie quotidienne, au niveau local, par quartier, puis par région : ce sont les Tansiqiyat (comités de coordination locale). Dans une deuxième étape, ils ont créé des unions de comité de coordination pour coordonner l’action des différents comités et ils ont constitué un réseau national de coordination avec des conseils révolutionnaires élus.

C’est ainsi que l’on a formé « al-Ayhat al-‘Amat », la SRGC, qui est le plus important réseau national de ces coordinations locales et régionales. La SRGC est placée sous la haute autorité du Majliss al-Thaouri, un Conseil révolutionnaire élu. Il regroupe les représentants des coordinations : dans chaque province, les forces sur le terrain ont tenu à élire leurs représentants (lire ici la composition de la SRGC et sa déclaration constituante, et découvrir ici la structure du conseil révolutionnaire et également le site srgcommission.org).

Les révolutionnaires ont ensuite poussé à la formation du Conseil national syrien (CNS). Parallèlement, des militaires ont fait défection et ont constitué des brigades dans toute la Syrie. Nous devons donc maintenant organiser le travail et la coordination entre tous ces acteurs. Ils sont les quatre piliers de la révolution : le mouvement révolutionnaire pacifiste, le CNS, qui est son visage politique et diplomatique, l’ASL et les soldats qui ont fait défection et enfin les médias qui ont joué et continuent de jouer un rôle important dans la révolution, en particulier le réseau d’information Sham (Shabakat Sham al-Akhbarriyat, SNN).

Manifestation à Binnish, région d’Idlib, nord-est, le 19 janvier.© (dr)

 Quels sont les liens entre le mouvement révolutionnaire et le CNS ?

La manière dont nous sommes arrivés à la création du CNS donne une idée de la maturité politique des révolutionnaires. A l’été, nous étions parvenus à un haut niveau de coordination, avec la SRGC. A la même époque, on a vu apparaître plusieurs conseils politiques à la suite de nombreuses conférences et congrès de l’opposition. Il fallait donc résoudre ce problème très rapidement pour que la rue – que le régime n’avait pas réussi à diviser – ne le soit pas par l’opposition et la multiplication de ses conseils.

Ce sont donc les révolutionnaires, les forces sur le terrain, qui ont fait pression pour aboutir à la formation du Conseil national syrien actuel. Les révolutionnaires ont été 24 heures sur 24 en communication, par Skype, avec les différents conseils, les opposants de toutes les tendances, les islamistes, les indépendants, la Déclaration de Damas et les personnalités, pour unifier l’opposition et ses différents conseils. Ce qui était pour nous important, c’était qu’il y ait un seul conseil, et surtout que sa ligne politique soit en accord avec le mouvement révolutionnaire.

Quelle est cette ligne politique ?

Qu’il n’y ait aucun compromis sur la révolution et son objectif : le renversement du régime, de sa tête, Bachar al-Assad, de tous ses piliers, les appareils sécuritaires, la classe dirigeante et ses ramifications économiques, c’est-à-dire Rami Makhlouf (cousin du président) et ses alliés. C’était pour nous essentiel : nous avons insisté pour que cela figure dans leur déclaration constituante. Le deuxième point concernait la protection des civils.

En reposant sur ces deux principes, le CNS défendait les révolutionnaires. Et on a pu voir les révolutionnaires descendre dans la rue tout de suite pour dire que le CNS les représentait. Tout simplement parce que ce sont eux qui ont formé le CNS. Alors quand on parle d’unifier encore l’opposition et d’intégrer d’autres factions, je peux dire, au nom des révolutionnaires, que ce n’est pas ce que nous souhaitons. L’opposition est la plus unie possible, en nombre, au niveau de ses composantes et de sa diversité, à travers le CNS. Certaines personnes peuvent en sortir et d’autres peuvent y entrer à condition de faire corps avec les demandes de la rue, mais ce n’est pas ce qui nous importe.

Les relations avec le CNS

Le 7 octobre, Souheir al-Atassi s’adresse, de sa clandestinité, au CNS qui vient d’être formé.

Mais il semble qu’il y ait des divergences entre la rue et le CNS.

C’est naturel qu’il y ait des divergences, et que le mouvement révolutionnaire fasse pression sur le CNS, mais il n’y a pas de divorce. D’après mes contacts sur le terrain et ma propre conviction, je peux dire que le CNS représente toujours aujourd’hui le mouvement révolutionnaire : le CNS en tant que conseil me représente et représente la rue. Dans le même temps, nous voulons conserver une certaine liberté. La SRGC et moi-même ne sommes pas dans le CNS pour cette raison. Nous voulons aussi garder un certain rôle d’observateur du CNS, c’est important, c’est dans l’intérêt du Conseil et c’est plutôt sain.

Pendant des années, le régime a réussi à écraser l’opposition, la rue a donné aujourd’hui une légitimité au CNS, mais cette légitimité n’est pas sans condition et sans limites : il doit faire quelque chose de concret sur le terrain. Il joue son rôle diplomatique, il fait son travail politique mais nous avons besoin qu’il intervienne, de manière concrète, au-delà des communiqués, pour apporter une protection réelle aux révolutionnaires sur le terrain. Le temps des alliances politiques est terminé.

De quelle manière ?

Ce qui est important, c’est que les différents bureaux du CNS soient activés, en particulier le bureau de l’aide humanitaire. Cela doit se faire avec et sous le contrôle de membres du mouvement révolutionnaire. Le CNS doit accepter ce contrôle : il est en quelque sorte le pouvoir et nous, le peuple. Il est donc naturel qu’on le supervise, qu’on lui fournisse les informations sur la réalité des besoins sur place car nous la connaissons ; de même qu’il est normal qu’il nous fasse des recommandations et des remarques. Il ne doit pas agir comme le Ba’th, il doit pouvoir travailler avec des personnes qui ne sont pas membres du CNS.

Cette coordination et cette réciprocité entre le mouvement révolutionnaire et le CNS sont très importantes. C’est une des raisons pour lesquelles je suis sortie de Syrie car nous sommes à une étape critique de la Révolution. Avec d’autres activistes, nous travaillons à créer un bureau de liaison entre les activistes du mouvement révolutionnaire et le CNS, car jusqu’à présent nous n’avions que des contacts à un niveau individuel. Et je peux dire que les membres du CNS que j’ai rencontrés sont favorables à notre projet.

Le mouvement révolutionnaire a-t-il les moyens de peser sur le CNS qui semble divisé ?

Oui, il l’a fait. Ce n’est peut-être pas facile parce que c’est une génération qui ne savait ni dialoguer ni écouter. Quant aux divergences d’opinion au sein du CNS, elles sont normales. Mais les jeunes du mouvement vont pouvoir dépasser les divisions du CNS. Il ne faut pas oublier qu’ils sont partis d’un niveau zéro de l’expérience politique et qu’ils sont néanmoins parvenus à initier la formation du CNS, ils ont su réorganiser la vie politique et ont su emmener les opposants à former des alliances politiques. Maintenant, cette première phase est terminée, il faut se mettre au travail et cette collaboration avec des personnes qui ont la confiance des révolutionnaires va permettre de surmonter les divisions.

L’ASL, nouvelle armée nationale

Quel est le rôle de l’Armée syrienne libre dans la révolution ?

L’Armée syrienne libre est un nouvel acteur. De la même manière que les comités de coordination construisent les institutions du nouvel Etat, l’ASL tout comme les militaires qui refusent de servir sous les ordres du régime de Bachar participent à la construction de l’armée nationale. L’armée syrienne était, comme le peuple, otage du régime. Elle se libère de l’armée d’Assad, de la même manière que la Syrie se libère de la Syrie des Assad.

L’ASL et les soldats qui ont fait défection sont devenus, en complément des médias, un instrument de protection des civils. A Homs, c’est l’ASL qui protège les manifestations des attaques de l’armée du régime, dans Rif Dimachq (Damas-campagne, la périphérie de la capitale), l’ASL permet que les manifestations se tiennent et perdurent. L’ASL est la véritable armée nationale car elle protège les citoyens. Lorsque Bachar al-Assad dans son discours déclare « qu’il n’est permis de tuer que pour se défendre et pour défendre les citoyens », il est en fait en train de légitimer l’ASL qui défend les citoyens et se défend contre le régime qui tue les soldats qui quittent les rangs de l’armée « assadienne ».

© Le 19 décembre dernier, l’ASL mène cette opération contre un convoi militaire.

Vidéo : le 19 décembre dernier, l’ASL mène cette opération contre un convoi militaire qui transportait des baraques devant servir à établir des barrages militaires à Alep.Mais y a-t-il une coordination entre les différentes brigades que l’on voit apparaître sur l’ensemble du territoire ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas encore de coordination entre toutes les brigades, tous les regroupements, mais il y a une coordination entre les civils et ces groupes au niveau local. Les militaires protègent les civils quand ils manifestent et les civils aident les militaires, en les hébergeant, et en leur fournissant nourriture et vêtements. La protection réelle des civils est assurée par les militaires et les médias. Maintenant, il nous faut travailler à cette coordination, à la structuration de cette armée qui va devenir le corps de la nouvelle armée nationale. Dans la Syrie libre, ce sera notre nouvelle armée, patriotique et respectable.

Il faut donc en premier lieu une direction militaire qui soit sous un commandement politique. Le mouvement révolutionnaire pousse à faire ce lien entre ces unités qui protègent le peuple contre le régime de Bachar et le CNS qui est en réalité cette direction politique.

Vous ne redoutez pas une concurrence entre les politiques et l’aile militaire du mouvement ?

Non, parce cette aile militaire est tout à fait consciente. D’après mes rencontres, celles du CNS et de l’ASL, et ce que j’ai vu sur le terrain, les militaires qui ont fait défection acceptent de coopérer avec les civils. Même les opérations conduites par les groupes de soldats se font en coordination avec les civils et elles sont nombreuses. Ils ont ainsi pu libérer une soixantaine de prisonniers à Douma (banlieue de Damas), lors de l’attaque contre le siège des renseignements de l’armée de l’air. Et ils ont même attendu le feu vert de la population pour lancer cette opération. De cette manière, ils changent le rapport de force qui était au départ totalement en faveur du régime.

Aujourd’hui, les forces de sécurité assadiennes ont beaucoup de pertes. Avant, il ne fallait que quelques miliciens pour arrêter de nombreux activistes, aujourd’hui, ils sont obligés de préparer une opération spéciale pour arrêter un activiste et ils n’y parviennent pas toujours car l’ASL le protège. Il y a donc une coordination réelle entre les troupes de l’ASL et les civils au niveau local. Il manque maintenant une coordination entre toutes les brigades, au niveau régional et national, avec un commandement sous la responsabilité du CNS.

Toute la société syrienne n’a pas rallié la révolution.

Il y a en réalité trois catégories d’hésitants. Les premiers sont ceux qui ont peur du régime, ils sont menottés et prisonniers de cette peur. J’en ai moi-même beaucoup rencontré. Certains ont déjà fait le pas de soutenir le mouvement, d’autres n’en sont pas encore là. Mais ils voient que le rapport de force change et ils expriment de manière secrète une solidarité avec le soulèvement.

Il y a ensuite ceux qui sont liés au régime par des intérêts matériels, comme les fonctionnaires qui redoutent de perdre leur source de revenus ou encore les commerçants et la bourgeoisie d’affaires. Ces derniers sont peu à peu en train de prendre leur distance car le régime les a contraints à le soutenir financièrement. Il les a rackettés, ce qui montre la bêtise du régime qui s’aliène ses soutiens. Il y a enfin ceux qui ont peur des révolutionnaires et qui collaborent avec le gouvernement de peur d’être tués après la chute du régime de Bachar al-Assad. Comment les rassurer et les convaincre qu’ils ne seront pas la cible d’actes de vengeance ? Nous multiplions les messages politiques, et nous les appelons à nous rejoindre en leur disant : « Vous êtes sur un navire qui sombre, il est temps de vous jeter à l’eau. »

Aujourd’hui, la très grande majorité de la société syrienne soutient le mouvement. On le voit dans les quartiers où ceux qui ne manifestent pas sont en réalité solidaires. En Egypte, le régime est tombé après que 8,5 % de la population est descendue dans la rue ; en Syrie, certains jours c’est près de 18 % de la population qui manifestent et combien le souhaitent mais ne le font pas par peur ? Les Syriens qui ne sont pas du côté de la révolution sont en réalité isolés.

Vous avez été reçu par les autorités françaises, le Parlement européen, quel est le soutien de la communauté internationale ?

La communauté internationale fait des déclarations, mais nous avons besoin d’une aide concrète. Les déclarations ne suffisent plus. Après avoir soutenu la dictature dans un souci de stabilité régionale, c’est pour cette même raison qu’elle doit aujourd’hui soutenir la révolution. La Chine, la Russie et l’Iran aident déjà le régime, en fournissant par exemple des moyens d’écoute des communications. C’est déjà une intervention étrangère, une intervention contre nous.

La communauté internationale doit apporter un soutien politique et logistique à la Révolution. Elle doit reconnaître le CNS, elle doit étendre la liste des sanctions à l’encontre des membres du régime pour préparer le transfert de leur dossier à la CPI, elle doit enfin apporter un soutien logistique à l’ASL. La communauté internationale a aussi pris du retard : après les déclarations, nous avons besoin de soutien concret pour que le régime comprenne qu’il n’y a plus de retour possible. Qu’attendent-ils pour reconnaître le CNS ? Faut-il qu’il y ait plus de victimes encore pour que les Nations unies se saisissent du dossier ? Aujourd’hui, nous en sommes à plus de 5.000 morts, des blessés innombrables, et probablement des dizaines de milliers de détenus.

Qu’attendez-vous de la France en particulier ?

La France a multiplié les déclarations appelant au départ du président syrien. Nous souhaiterions qu’elle passe désormais des déclarations aux actes, en soutenant, au niveau financier et humanitaire la révolution, pour que l’on puisse par exemple construire des hôpitaux mobiles dans toutes les provinces. Les autorités françaises savent très bien ce qui se passe sur le terrain. Elles ont aujourd’hui une opportunité d’entrer en contact avec le CNS et le mouvement révolutionnaire puisque ses représentants se trouvent en France. Elles doivent reconnaître officiellement le CNS comme seul interlocuteur, ce qui signifierait clairement un point de non-retour au niveau diplomatique envers le régime.

Les révolutionnaires construisent l’alternative

La France et la communauté internationale, d’une manière générale, estiment que l’opposition n’est pas assez unifiée et n’est pas en mesure de proposer une alternative.

L’opposition est aujourd’hui largement unifiée et structurée. Au moment de la constitution du CNS, on nous a demandé d’accorder une plus grande place aux femmes et aux minorités. La France a-t-elle une représentation parlementaire équilibrée ? Surtout, nous refusons le communautarisme : nous ne voulons pas d’un système confessionnel à la libanaise dont on connaît les dangers.

La communauté internationale nous demande de préparer une alternative. Elle redoute un effondrement des institutions, une anarchie. La Syrie des Assad n’a jamais été un Etat avec des institutions. Il n’y a donc aucune raison de craindre l’effondrement de ce système, bien au contraire. Aujourd’hui, ce sont les Tansiqiyat qui bâtissent l’Etat. Peut-on protéger un Etat criminel par crainte de l’alternative ? Mais de quelle alternative parle-t-on ? Il ne s’agit pas de remplacer Bachar al-Assad par un nouveau dirigeant comme lui. Ceux qui sont dans la rue ont démontré leur capacité à se structurer et à s’organiser ; ils ont une conscience politique bien plus forte que les dirigeants, à commencer par le président syrien. Les révolutionnaires sont en train de construire eux-mêmes cette alternative que l’on nous réclame.

Mais ils n’ont aucune expérience politique.

Ils ont une maturité et conscience politique bien plus grande que ceux qui ont une expérience politique. Il ne faut pas oublier qu’il y a dans notre révolution des penseurs, des technocrates. On ne peut citer leurs noms pour des raisons de sécurité évidentes, mais ils pourront exercer des responsabilités au sein de l’Etat au lendemain de la chute de Bachar al-Assad. Les documents que les comités de coordination ont élaborés sur la situation actuelle et la Syrie de demain sont à mon avis bien plus importants que tout ce que l’opposition syrienne a pu produire jusque-là.

Et ce sont des révolutionnaires qui élaborent ces documents politiques. Donc, nous n’avons pas de crainte. Les comités révolutionnaires ont établi des règles, ils ont aussi signé un pacte d’honneur commun, qui vise à mettre en place une Commission de réconciliation nationale, les mécanismes de pardon ont été posés clairement. Ils s’adressent à ceux qui sont encore avec le régime dans l’administration, y compris les éléments de la sécurité, à condition qu’ils n’aient pas de sang sur leur main.

Nous leur disons que nous défendons aussi leurs libertés et que demain le pays sera autant le leur que le nôtre, qu’ils y seront libres, donc qu’il est temps de se comporter en tant qu’homme et de soutenir la révolution. Ce qui démontre le haut niveau de conscience politique des révolutionnaires. Il n’y a pas que des voix dans cette révolution, il y a aussi des cerveaux. La communauté internationale ne devrait donc avoir aucune crainte de soutenir de manière concrète la révolution.

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La communauté internationale redoute de plus en plus une guerre civile ?

Ils redoutent une guerre civile ? Mais leur silence et leur attitude poussent à la guerre civile ! Car plus ils attendent, plus Bachar al-Assad pousse le jeu du communautarisme augmentant d’autant le risque réel de guerre civile. Nous résistons aux provocations, nous continuons d’appeler à l’unité, nous multiplions les messages pour qu’il n’y ait pas de vengeance, mais devant une telle violence, l’homme ne peut pas résister indéfiniment. Aujourd’hui, ils ont tué un enfant de 4 mois qui avait été arrêté avec sa mère et son père. Son corps a été rendu et portait des marques de torture et le sort de ses parents n’est toujours pas connu. Il faut aider l’ASL à se restructurer en une armée nationale, en lui apportant une aide logistique, des moyens de communication et en lui donnant les moyens de défendre les civils.

Ce soutien ne risque-t-il pas de pousser à la militarisation de la révolution, une guerre ?

Il vaut mieux soutenir l’ASL pour l’aider à se structurer en armée nationale que de laisser pourrir la situation et que cela devienne des milices financées par des parties ou factions étrangères à la révolution. Il faut leur fournir une aide logistique, technique. Nous comptons sur notre propre armée pour défendre les manifestants, mais nous demandons le soutien de la communauté internationale pour lui donner les moyens d’agir.

L’attitude de la communauté internationale s’explique aussi par le bouleversement régional que représenterait la chute du régime. N’êtes-vous pas prisonnier en quelque sorte de ces enjeux stratégiques ?

Le régime de Bachar al-Assad va tomber, c’est inévitable. La Syrie libre qui va naître va bâtir des alliances. Et il est certain qu’elle va créer des alliances avec les Etats qui auront soutenu la Syrie dans son combat contre cette répression inouïe. Nous sommes prêts à discuter point par point des intérêts de la Russie, mais il faudrait pour cela qu’elle apporte son soutien à la Révolution. Les Etats qui disent avoir peur du futur de la Syrie devraient plutôt s’intéresser à la Syrie de demain.

Mais comment allez-vous parvenir à renverser le régime s’il compte encore des alliés comme la Russie ?

Le régime de Bachar al-Assad tombera lorsque nous parviendrons à cette organisation et cette coordination entre l’ASL, les différents groupes de soldats ayant fait défection, les blocs révolutionnaires et le CNS. Ce niveau de coordination va conduire au délitement des structures du régime et de l’armée « assadienne » : ils n’auront plus de ressources. Nous démontons le système, bout par bout. La révolution continue, nous avons une stratégie qui fonctionne, le processus de désagrégation du système est en cours, notre seul problème est le temps. Nous sommes engagés aujourd’hui dans une course contre la montre :  plus le temps passe et plus la facture que nous payons en victimes sera élevée. La communauté internationale doit intervenir de manière concrète pour soutenir la Révolution. Plus elle tarde, plus elle entraîne la Syrie vers l’inconnu.

Mediapart publiera dans les jours qui viennent le deuxième volet de cet entretien

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