Syrie : «Derrière chacune de ces clés, il y a une vie brisée» – par Cordélia Bonal

Article  •  Publié sur Souria Houria le 20 avril 2014

 

Syrie : «Derrière chacune de ces clés, il y a une vie brisée»

 

Photographe britannique basé à Istanbul, Bradley Secker a commencé à l’été 2013 à photographier ses premières «clés syriennes», alors qu’il couvrait la situation des réfugiés dans un camp proche d’Antakya, dans le sud de la Turquie. Sa série de photos baptisée «Syrian Nabka», toujours en cours, suit une idée simple : photographier uniquement des mains d’hommes, femmes et enfants syriens tenant la clé de leur maison perdue. Le fond est noir, la lumière naturelle. Quelques éléments de légende, toujours les mêmes : le prénom, l’âge, la ville, le temps écoulé depuis que la personne photographiée a dû quitter son toit et, en quelques mots, ce que représente pour elle l’idée de «maison».

«J’ai cherché comment donner à voir cette catastrophe humanitaire d’une façon plus intimiste, mais aussi plus digne, moins victimisante pour les personnes photographiées», explique le photographe. Il pense alors à la nakba et à ces Palestiniens qui, expulsés en 1948 des territoires contrôlés par Israël, ont longtemps conservé la clé de leur maison perdue. Ces clés sont devenues le symbole de l’exode. «En parlant avec des Syriens, j’ai compris que beaucoup avaient gardé la clé de chez eux. La plupart ont vu leur maison détruite dans les bombardements. Ces clés, qui bien souvent n’ouvrent plus aucune porte, c’est tout ce qui leur reste.»

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Se concentrer sur les mains, poursuit Bradley Secker, permettait aussi de respecter le souhait de ces réfugiés qui, pour beaucoup, tiennent à protéger leur identité. «Et les mains disent beaucoup. De même que les clés elles-mêmes, selon ce qui y est accroché. L’anonymat m’a paru important pour faire comprendre que cette guerre affecte absolument tout le monde en Syrie, quels que soient la région d’origine, le milieu social, la religion ou le bord politique.»

Par la suite, la plupart des photos de la série ont été prises non plus dans des camps de réfugiés, mais dans les villes turques du Sud et à Istanbul, au fil des rencontres. Que disent ces gens ?«Certains ont bon espoir de retourner en Syrie, d’autres non. Ils parlent de la difficulté de la vie de « réfugié urbain » dans un pays où ils ne connaissent personne, dont ils ne parlent pas la langue, où ils ne peuvent pas travailler dans la légalité. Ils parlent de leur ville, de leur village, de leur maison, de la Syrie.»

La série compte aujourd’hui une centaine de photos. Bradley Secker entend la continuer pour créer un effet de nombre. «Derrière chacune de ces photos, il y a une vie brisée. Des millions de Syriens [plus de 2,5 millions selon l’ONU, ndlr] ont été forcés de quitter leur maison et beaucoup n’ont plus même d’endroit où revenir un jour. Tous les jours, des centaines de Syriens quittent leur pays pour la Jordanie, le Liban, l’Irak, la Turquie… Tant que ça continuera, je continuerai à photographier ces clés.»

source : http://www.liberation.fr/photographie/2014/04/18/syrie-derriere-chacune-de-ces-cles-il-y-a-une-vie-brisee_1000218

date : 18/04/2014