Syrie : le père Paolo Dall’Oglio, conscience de la révolution – par Clothilde Mraffko

Article  •  Publié sur Souria Houria le 27 septembre 2012

SYRIE - Devant le danger d'un éclatement communautaire de la Syrie, le Père jésuite Paolo Dall'Oglio en appelle à la conscience de tous, chrétiens en tête.

Fondateur du monastère de Mar Mousa, non loin de Damas, le père jésuite Paolo Dall’Oglio a été expulsé de Syrie en juin dernier. Depuis, il continue à se faire le porte-parole d’une révolution pacifique mais résolue.

 » C’est un scandale qu’un prêtre, catholique, demande d’armer une révolution et moi, j’assume ce scandale ». Le Père Paolo Dall’Oglio* n’a pas peur des mots. Il les utilise pour prendre position et défendre sa cause: le soulèvement syrien. Pour ce jésuite né en Italie, refondateur d’un monastère à Mar Mousa, à 90 km au Nord de Damas, il s’agit avant tout de dénoncer ce qu’il appelle le « mensonge d’Etat érigé en système ». « Le régime était prêt à tous les marchandages pour rester au pouvoir. Il y avait eu des échos selon lesquels Bachar Al-Assad allait quitter le pouvoir, mais la structure mafieuse, familiale du régime l’a obligé à rester. Ils sont dans une bulle idéologique et paranoïaque, une structure de peur qui provoque un sadisme sans limite. Franchement, face à un tel acharnement, je propose la formation d’un centre international de pathologie politique! »

Avec de grands gestes, il explique la structure du pouvoir syrien, qui s’appuie sur les services de sécurité. « L’Etat est un Etat-théâtre, car toutes les décisions se font dans les coulisses de l’appareil sécuritaire. Moi, quand je rencontre des gouvernements, je leur dit: n’envoyez pas vos ministres en Syrie, envoyez vos structures de sécurité, ces gens-là se comprendront! »

Mais si ses mots sont durs à l’encontre du régime de Bachar Al-Assad, ils sont encore plus violents pour dénoncer les relais du « mensonge d’Etat syrien ». Saluant les efforts de L’Express afin de dénoncer les lobbies du régime syrien en France, il évoque pêle-mêle le réseau Voltaire et les responsables écclésiastiques chrétiens ou musulmans qui, selon lui, donnent  » la parole religieuse au mensonge d’Etat, nient la révolution et la réduisent à un fait de sécurité liée au terrorisme. C’est un négationnisme incroyable, ajoute-t-il, qui est le fait d’identitaires à l’extrême-droite et d’anti-impérialistes à gauche. Ceux qui ont nié la Shoah nient la révolution syrienne! »

A l’écouter, la communauté internationale aurait pu intervenir dès l’été 2011: l’envoi d’acteurs de la société civile, affirme-t-il, aurait suffi à offrir la paix. « Mais le monde s’est divisé. On mène en Syrie une guerre par procuration au nucléaire iranien, aux intérêts géostratégiques russes et on satisfait les intérêts d’Israël, qui voit ses ennemis s’entretuer ». Il comprend les réticences de l’Occident après le désastre en Irak et la « défaite » en Afghanistan. Mais cela l’exaspère: « Il y a un devoir d’assitance au peuple en train de se défendre. Pour ma part, je reste avec un projet non-violent, et je demande aux Syriens non-violents de le rester. Mais que voulez-vous faire devant un régime qui n’a pas de ligne rouge? »

Ce jésuite attentif, qui navigue avec aisance entre l’arabe et le français, tient le discours presque classique des opposants au régime syrien. L’homme d’Eglise, cependant, n’est jamais loin: « La justice reste un devoir strict. Nous avons besoin, dès maintenant, de déposer une plainte auprès de la Cour Pénale internationale à La Haye, contre les crimes du régime et, s’ils sont importants, contre les crimes de l’opposition. Mais chacun sait qu’ils sont sans commune mesure ».

Et devant le danger d’un éclatement communautaire de la Syrie, il en appelle à la conscience de tous, chrétiens en tête. « Voilà le malheur de nos chrétiens qui restent collés à leur écrans de télé, à écouter les paroles de haine de Zakaria Boutros [téléprêcheur copte aux diatribes anti-islam]! Dans l’histoire, le monde musulman a été plutôt inclusif. Il faut donner aux Kurdes, aux Arméniens, aux Coptes une idée de l’arabité de l’accueil et de l’hospitalité ». Il salue les chrétiens entrés en résistance et réaffirme la nécessité de ne pas créer de milices chrétiennes contre le régime mais de s’incorporer à l’Armée syrienne libre (ASL). Fervent militant pour un dialogue entre les cultures, il souligne le changement des Frères musulmans, qui n’envisagent plus l’islam comme solution politique », mais « prônent un islam rationnnel et une société civile épanouie dans la démocratie ».

Pour certains Syriens, tout juste rescapés de l’enfer de la répression, ces paroles auront une résonnance étrange. Mais le Père Paolo Dall’Oglio cherche avant tout à marteler un message, sans fermer sa porte. Et à ses opposants qui l’interpellent, il rétorque : « Il faut rester avec les oreilles et le coeur ouvert ».

* Le père Paolo Dall’Oglio est l’auteur du livreAmoureux de l’Islam, croyant en Jésus, paru avec une préface de Régis Debray aux Editions de l’Atelier en 2009.
Paolo Dall'Oglio

Paolo Dall’Oglio

Photo: Carole Lozano

source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/syrie-le-pere-paolo-dall-oglio-conscience-de-la-revolution_1166815.html