Un médecin syrien témoigne : « A Raqqa, nous vivions jour et nuit avec les frappes aériennes »

Article  •  Publié sur Souria Houria le 4 janvier 2016
Le Dr Marwan après son arrivée à Amsterdam

Le Dr Marwan après son arrivée à Amsterdam © MSF

Le Dr Marwan a travaillé avec MSF à Tal Abyad, dans le nord de la Syrie. Pour avoir refusé un travail proposé par l’Etat Islamique, sa vie était menacée. Il a alors pris la décision de partir pour l’Europe. Il témoigne.

« En Syrie, j’étais pédiatre, marié avec deux enfants. Nous vivions à Raqqa, aujourd’hui connue comme étant le bastion de l’Etat Islamique (EI). Je dirigeais une clinique, située dans une zone défavorisée de la ville, qui proposait aussi des soins aux personnes déplacées ayant fui Homs et Alep.

En avril 2013, j’étais devant ma clinique avec un voisin quand il a été abattu devant mes yeux. C’est là que j’ai décidé de fermer cette structure ; c’était trop dangereux. Puis, j’ai entendu dire que MSF recrutait en vue d’une campagne de vaccination à Tal Abyad (à 100 kilomètres au nord de Raqqa). J’ai postulé et obtenu le travail.

A la fin de l’année 2013, l’EI a pris le contrôle de la zone. Quelques mois plus tard, ils ont décidé de contrôler les hôpitaux et les cliniques de Raqqa. La plupart des organisations internationales ont alors quitté la ville et beaucoup de médecins syriens ont fui la région.

J’ai décidé d’ouvrir une clinique au sein de ma maison afin de continuer à fournir des soins. Rapidement, des membres de l’EI sont venus chez moi pour être soignés. Je n’étais pas à l’aise avec cela, mais j’agissais en accord avec mon éthique médicale : traiter tous les patients sans tenir compte de leur ethnie, religion ou appartenance politique.

Quelques mois plus tard, quand la coalition conduite par le Etats-Unis a commencé à bombarder l’EI, ils sont venus, la nuit, et m’ont forcé à venir avec eux pour soigner leurs blessés. Ma famille avait peur que je ne revienne pas. J’ai cru moi aussi que j’allais mourir du fait des frappes aériennes ou tué par l’EI.

Un jour, ils sont venus me voir et m’ont « demandé » de venir travailler à l’hôpital qu’ils contrôlaient dans la ville. J’ai refusé. J’ai commencé à recevoir des menaces et j’ai réalisé que le seul moyen de m’en sortir était de quitter la Syrie.

La vie à Raqqa était terrifiante. La journée, nous vivions avec les frappes aériennes menées par le gouvernement ; la nuit avec celles de la coalition.

Il fallait que je sauve ma famille. J’ai commencé à préparer notre départ. Ma femme était au 9ème mois de sa grossesse. Nous attendions notre troisième enfant. Elle était tellement épuisée qu’il était très difficile pour elle de voyager. Nous avons décidé que je partirais devant, avec un ami, et une fois les papiers d’immigration obtenus, ma famille me rejoindrait.

La dernière nuit, j’ai dormi avec mes enfants. Même s’ils ne savaient pas que je m’en allais, ils l’ont ressenti je crois. J’aurais tellement aimé pouvoir les emmener avec moi…

Quitter Raqqa n’a pas été facile, je devais passer trois postes de contrôle – c’était comme devoir traverser trois pays. Quand je suis arrivé en Turquie, j’ai entendu dire que le gouvernement turc arrêtait les personnes qui se rendaient à Izmir. Au fond de moi, j’espérais que ce voyage échoue et que je sois obligé de retourner en Syrie.

A Izmir, des gens dormaient dans les rues, mourraient de faim. Nous avons entendu plusieurs histoires de bateaux ayant coulé. Le moment venu, il a été très difficile de se décider à prendre place sur le canot surpeuplé. Certains pleuraient, d’autres priaient – chacun gérait sa peur à sa façon. Nous avons voyagé de la Grèce à la Macédoine, puis à travers la Serbie. Je n’ai pratiquement pas dormi pendant sept jours. Je rêvais d’un oreiller pour me coucher dessus, d’eau pour prendre une douche et d’un téléphone pour appeler ma famille.

A Belgrade, j’ai finalement réussi à me procurer une carte SIM pour pouvoir appeler à la maison. J’ai discuté avec ma femme et ma fille, mais mon fils a refusé de me parler. Il pensait que je l’avais abandonné. Ca m’a brisé le cœur. De Belgrade, nous avons traversé des champs de maïs et avons payé 450€ à un passeur pour qu’il nous emmène en Autriche. Nous avons passé la nuit dans un parc de Vienne et, le lendemain matin, nous avons acheté un billet de train pour Amsterdam.

Ma femme a accouché en octobre, peu après que je sois arrivé aux Pays Bas. Je parle à ma famille chaque jour, mais mon fils refuse toujours de m’adresser la parole. C’est très difficile d’entendre les avions de guerre en arrière-fond au téléphone, sachant qu’à n’importe quel instant ils peuvent lâcher leurs bombes, sachant que ma famille est terrifiée mais que je ne peux pas les protéger. »

Les noms ont été modifiés.