Une banlieue de Damas menacée d’un nouveau bain de sang – par Jean-Pierre Filiu

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 juillet 2016

Le régime Assad impose depuis quatre longues années un siège rigoureux à la banlieue de Daraya, qui ose lui résister aux portes de Damas. Les quelque huit mille habitants de la localité assiégée avaient découvert avec stupeur que le convoi d’aide humanitaire, finalement admis le 1er juin dernier (photo ci-dessous), ne contenait pas de nourriture… mais des milliers de dose de shampooing. Le scandale avait été tel que l’ONU avait enfin acheminé une aide alimentaire à Daraya dans la nuit du 10 juin. Mais la distribution de cette aide avait été interdite par les pilonnages du régime, ce qui avait conduit le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, à dénoncer depuis New York la « duplicité » du régime Assad et à qualifier Daraya de « ville martyre ».

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L’aide alimentaire avait été calculée par l’ONU sur la base d’une population de 4000 habitants, alors que le comité local affirme traiter avec deux fois plus de résidents. En tout état de cause, cette aide, prévue pour assister 4000 personnes durant un mois, est désormais totalement épuisée. A cela s’ajoutent les bombardements à l’arme incendiaire des champs environnants, car ils ont privé les civils de Daraya du complément alimentaire en légumes ou en céréales qu’ils pouvaient encore cultiver dans des conditions extrêmes.

Enfin, le régime a depuis quelques jours intensifié la cadence de ses bombardements, avec le lâchage quotidien de dizaines de « barils » (ces containers bourrés de TNT et de grenaille, balancés à basse altitude, en l’absence de défense anti-aérienne dans les rangs de l’opposition, ont un impact destructeur maximal). Ces raids sont opérés sous couvert d’une « trêve » proclamée par Assad et ses soutiens internationaux. C’est en écho d’une « trêve » aussi systématiquement violée que les troupes pro-Assad sont parvenues à parachever l’encerclement des quartiers révolutionnaires d’Alep.

Les militants assiégés de Daraya sont conscients de l’épuisement de la population et du rapport de forces écrasant en leur défaveur. Ils sont hantés par la menace d’un assaut généralisé et du bain de sang qui s’ensuivrait immanquablement (plusieurs centaines de civils avaient été massacrés par les militaires et miliciens pro-Assad à Daraya en août 2012). Les combattants seraient prêts à quitter Daraya pour éviter de nouvelles souffrances à la population, selon des modalités comparables à celles qui avaient mis un terme aux deux années de siège de la vieille ville de Homs, en mai 2014. Ils refusent en revanche catégoriquement de hisser le drapeau du régime Assad, comme cela a été la règle dans les précédents accords de reddition imposés à des populations aussi affamées qu’encerclées dans d’autres banlieues de Damas.

Pourquoi mettre en avant le sort des milliers de civils de Daraya, à l’heure où deux cent mille habitants sont désormais assiégés dans les quartiers révolutionnaires d’Alep? D’abord parce que Daraya est étroitement associée à une tradition de protestation non-violente dont la liquidation complète ne ferait qu’aggraver le calvaire syrien. Ensuite, parce que le comité local vient de s’adresser en ce 14 juillet au Président François Hollande « pour que Daraya la pacifiste ne devienne pas un nouveau Guernica syrien » (texte intégral ci-dessous).

« Monsieur le Président de la République, Au moment où vous célébrez la prise de la Bastille, symbole de la victoire contre le despotisme, nous, habitants de Daraya, qui luttons aujourd’hui pour gagner notre liberté, vous écrivons pour vous alerter de la menace qui pèse sur notre ville. Plus de 8.000 habitants vivent assiégés depuis 2012, aux portes de Damas, dans des conditions extrêmement difficiles. L’électricité, l’eau, les communications y sont totalement coupées. Cette situation s’est brutalement détériorée avec l’intensification des bombardements du régime ces dernières semaines en flagrante violation de l’accord de cessation des hostilités conclu à Vienne en décembre 2015. Le “corridor humanitaire” aménagé par les forces révolutionnaires entre Daraya et la banlieue contiguë de Moadamiye a été détruit ; ainsi que les terrains agricoles de la ville, privant la population de ses dernières ressources. Les habitants qui y avaient trouvé refuge, ont été contraints de se retrancher dans les immeubles d’habitation en ruines du centre de la ville. En 4 ans, plus de 8.000 barils explosifs ont été largués sur la ville. Nous craignons que les dernières avancées des forces d’Assad et de leurs alliés ne soient le prélude à un assaut majeur qui verrait le massacre des derniers habitants de Daraya et la destruction totale du berceau du pacifisme syrien. Daraya, qui a résisté au régime et aux extrémistes de Daech risque de subir un nouveau massacre, similaire à celui d’août 2012. En deux jours, plus de 641 civils avaient été tués par les forces loyalistes. Ce qui se passe aujourd’hui est en réalité le résultat d’une stratégie de reconquête de Bachar al-Assad mise en œuvre avec l’appui logistique de Moscou. Les combats et les bombardements se sont arrêtés pendant deux mois au moment de l’application du cessez-le-feu le 27 février 2016. Il est à noter qu’en dépit des violations répétées de la trêve par le régime, les forces révolutionnaires se sont tenues au respect de l’accord. Elles se sont toujours prononcées en faveur d’une solution politique à l’instar des responsables civils dont elles sont sous le contrôle. De leur côté, les forces du régime ont totalement mis fin à la trêve au mois de mai. Elles progressent désormais vers le centre où sont piégés les derniers habitants.Monsieur le Président, pour que Daraya la pacifiste ne devienne pas un nouveau Guernica syrien, les pays de la Task force sur le cessez-le-feu doivent prendre leurs responsabilités. Nous demandons une intervention urgente pour contraindre le régime à appliquer la résolution 2254 du Conseil de Sécurité et l’accord de Vienne de décembre 2015. En plus d’un cessez-le-feu, nous demandons l’établissement d’un corridor humanitaire, l’évacuation des victimes et leur protection et enfin la levée du blocus.La France, qui a toujours été au côté du peuple syrien doit user de son influence pour empêcher un massacre à Daraya, dont elle porterait la responsabilité au même titre que tous les acteurs qui ont parrainé l’accord sur la trêve. En dépit d’une situation humaine et militaire dramatique, la ville de Daraya continuera à résister et à lutter en faveur d’une solution politique et pacifiste, comme elle le fait depuis 4 ans. Mais aujourd’hui seule une intervention de la communauté internationale, des forces politiques et révolutionnaires, permettra d’empêcher l’annihilation totale de Daraya et de ses habitants. Vive la Révolution, la dignité et la liberté.Le Conseil local de Daraya – représentants élus des habitants de Daraya »