08/12/2012 Paris : Les Rêves de la ville – Ahlam al-Madina – de Mohamed Malas

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 décembre 2012

Mohamad Malas

Dans les années 50, à la mort de son père, Dib part vivre avec sa mère et son frère à Damas. Une description douce-amère de la ville, de la famille, et du passé politique tumultueux de la Syrie.

Fiction   Syrie / vostf   1982   Couleur   130 min   ( Vidéo )

Lieu : Forum des Images (www.forumdesimages.fr)

Heure : 19h00

Séance présentée par Ziad Majed, politologue

Portrait

Le cinéaste Mohamad Malas est connu comme le rénovateur
du cinéma syrien. Engagé et rebelle tout au long de ses 30 ans de carrière, son œuvre fait fi des diktats de l’Organisme national

Le réalisateur des rêves possibles

(Dans les locaux du Festival d’Alexandrie, au quartier de Smouha, le réalisateur débordait d’activité. Membre du jury et également l’un des honorés arabes du festival, il était quasiment présent à tous les colloques de la dernière édition. « C’est ma première expérience avec le Festival d’Alexandrie auquel je dois tout mon respect comme l’une des manifestations cinématographiques arabes, visant à promouvoir le septième art et cultiver le grand public. Participer au jury constitue une belle occasion de regarder des films représentatifs des diverses écoles cinématographiques de la Méditerranée ». Réputé pour son courage et son sens révolutionnaire, ses œuvres n’ont pas pour but de divertir, mais plutôt de réfléchir et débattre. « Depuis que j’étais tout petit, je me suis habitué à méditer et à observer tout ce qui m’entoure. Une méditation qui se trouve aujourd’hui à l’origine de mon style artistique, à savoir exprimer les gens en révélant leur for intérieur au lieu de s’attarder uniquement sur leurs apparences ». En fait, Malas évite souvent d’évoquer les sources de cette profondeur dont les racines reviennent à l’enfance, loin d’être aisée. Affecté par la mort précoce de son père et la destruction de sa ville natale Qonaïtera par les Israéliens en 1974, il a subi, malgré lui, le politique. « En Syrie, j’ai eu une jeunesse marquée par l’instabilité politique et sécuritaire, due au conflit arabo-israélien. A l’époque, comme partout dans le monde arabe, nous avons vécu la défaite de 1967 avec tous ses maux, jusqu’à la guerre de 1973 ». Sans doute avoir été témoin de cette ère, avec toutes les mutations politiques qu’elle comporte, a dû forger sa manière de voir. Agrégé de Dar Al-Moallemine (Ecole normale de la Syrie), Mohamad Malas a été professeur de philosophie entre 1965 et 1968. « Une période durant laquelle je me sentais chargé de transmettre ce que j’avais étudié aux nouvelles générations afin de les aider à mieux comprendre ce que l’on vit », dit-il. Il accomplissait cette tâche avec un succès considérable, lui procurant une satisfaction personnelle, mais son amour pour le cinéma l’obsédait et l’appelait sans cesse à se lancer dans le monde magique de l’écran.

Philosophie, guerre, défaite, victoire, chagrins personnels et instabilité familiale, voilà les éléments d’une vie qui l’ont poussé à partir à la recherche d’un moyen d’expression qui lui est particulier, et qui n’était autre que le cinéma.
« J’appartiens à une génération de cinéastes qui croit toujours que le cinéma est l’un des moyens d’expression culturels et personnels. Le cinéma, comme le roman, cherche principalement à cultiver, à inciter à penser et à reconstruire la culture, la vision et les sentiments des gens ». A ses yeux, le cinéma est l’unique refuge, le seul remède à la souffrance personnelle.
« Le cinéma a été toujours mon foyer. Je vis dedans, il m’abrite de la solitude que je ressentais même parmi les miens », dit-il d’un air pensif. Et d’ajouter : « Le cinéma est une manière de dessiner le monde auquel j’aspire, celui de la justice, de la liberté, de la paix et de la sérénité intérieure ». Cela étant, Malas est parti en 1968 effectuer des études cinématographiques à l’Institut du cinéma de Moscou, avec le metteur en scène Igor Talankin. De retour en Syrie vers 1974, il a décidé de changer définitivement de carrière pour devenir cinéaste. Et a travaillé alors en tant que réalisateur à la télévision syrienne, précisément à la section cinéma. A cette époque, il a signé plusieurs épisodes d’une émission sur l’art plastique de par le monde. Mais il était toujours hanté par l’idée de faire du cinéma, à un moment donné où le cinéma syrien n’existait pas encore. « Ma génération a commencé à faire du cinéma sans avoir de patrimoine cinématographique national derrière elle. Il faut dire que le public syrien n’avait pas été habitué à un genre déterminé de films, vu qu’il n’y avait pas de cinéma purement syrien, doté d’un style et de caractéristiques qui lui sont propres. Il y avait plutôt une sorte d’imitation du cinéma égyptien. J’avais la conviction, comme plusieurs autres de ma génération, que si parvenais à exprimer sincèrement la société syrienne, le public accepterait mes films. C’est ce que j’ai fait d’ailleurs ». Fidèle à son besoin de s’exprimer, Malas a puisé dans son expérience personnelle et dans son autobiographie pour créer des scénarios, des courts métrages et des documentaires qui relèvent de son vécu, de ses pensées et de sa philosophie. On peut citer notamment les courts métrages Rêve d’une petite ville en 1971, Le Septième jour en 1972, Tout va bien, mon Général ! en 1974 et Qonaïtera 74 en 1974. Des films qui ont soulevé tant de polémiques de par leurs idées et leur caractère sociopolitique. « Faire des films à pensée politique n’est pas pour moi un simple genre de cinéma, mais un choix assez important. Je ne pouvais ni ne voulais choisir un autre genre de cinéma », précise-t-il. Onze ans après son agrégation, il a pu enfin sortir, en 1984, son premier long métrage, Rêves de la ville, qui lui a valu 11 prix dans divers festivals internationaux. Le film est inspiré de sa vie et relate l’histoire d’une mère et de son fils qui affrontent — seuls — le monde après la mort du père. « Rêves de la ville a été le premier film syrien vu par 500 000 spectateurs. Je lui dois mon premier grand succès. Il m’a présenté au grand public ». Mais les Rêves de la ville n’ont pas été les seuls rêves exprimés par Malas. Ses autres films Rêve d’une petite ville, Le Rêve et Al-Manam (Vision de nuit) gardent toujours le même cachet du rêve et du sommeil. « Pour toute ma génération, le rêve représente beaucoup de choses. Avoir recours au rêve dans les titres de mes films est une tentative de rapprocher mes œuvres des sentiments innés et des visions profondes, loin des idées et des sentiments éphémères. Je ne suis pas en fait le premier à inventer cette approche, mais il y a d’autres cinéastes qui cherchent cette profondeur dans leurs films, comme les Egyptiens Daoud Abdel-Sayed et Khaïri Béchara ».
Passant sans encombre de la fresque historique au fantastique et à l’humain, Mohammad Malas a toujours fait preuve d’une imagination fertile et d’une insatiable puissance créatrice. Il a écrit deux romans : Annonciations pour une ville qui vivait avant la guerre, publié aux éditions Ibn Rochd, à Beyrouth en 1979, et réédité aux éditions Al-Ahali, à Damas en 1990, et Le Rêve, publié aux éditions Al-Adab, à Beyrouth, en 1990. Ce, sans compter plusieurs articles publiés dans la presse arabe. Il s’agit pour lui d’un autre moyen d’expression, notamment durant les longues années de préparation d’un film. Problèmes financiers obligent. Le réalisateur a également signé des scénarios à l’attention d’autres réalisateurs comme Les Qarameta en 1983, en collaboration avec le réalisateur syrien Omar Amiralay et le romancier égyptien Sonaallah Ibrahim. Toutefois, en 30 ans de carrière, Malas n’a légué que deux longs métrages, privilégiant la qualité au détriment de la quantité. « Mes longs et courts métrages ont été tous bien accueillis par le public et par les critiques, ce qui m’encourage à demeurer fidèle à mon but, celui de tourner des films différents et de valeur, au lieu de devenir un simple exécuteur d’idées et de demandes commerciales. Ce que je refuse catégoriquement ». Au fur et à mesure de la conversation, on se sent face à un cinéphile jusqu’aux bouts des ongles. Le cinéma est comme un mot de passe. C’est le seul moyen de faire percer ses idées ou de le faire parler ; sinon il se contente d’écouter les autres parler de leurs intérêts, en leur accordant un sourire affable et un regard attentif. Par ailleurs, il ne peut s’empêcher de critiquer la production cinématographique syrienne, le nombre restreint des productions et la qualité médiocre des films « fabriqués en Syrie ». « Il n’y a pas ce qu’on peut appeler effectivement cinéma syrien. L’ambiance est maétouffante. L’Organisme national du cinéma en Syrie monopolise la production et la distribution des films pour le bien de ses dirigeants ». En désaccord depuis des années avec cette institution nationale de cinéma, Malas ne laisse passer aucune occasion de critiquer et d’attaquer les responsables du cinéma dans son pays. « Depuis le début de ma carrière, je me heurte toujours à des mentalités qui ne pensent jamais à servir le cinéma, mais plutôt à faire de la propagande ». C’est d’ailleurs ce conflit avec la seule entité cinématographique en Syrie qui l’a poussé à faire son troisième long métrage qu’il vient de parachever, loin de la tutelle de l’Organisme du cinéma. « Il est le premier film produit hors de cette institution », affirme-t-il sur un ton plein de fierté et d’obstination. Ce troisième long métrage intitulé Bab Al-Maqam (La Porte du Mausolée) est le fruit d’une coproduction franco-syrienne, lui permettant de rester fidèle à ses idées. « Les événements du film se déroulent lors de la période des préparatifs américains de la guerre contre l’Iraq en 2003, regroupant des acteurs tous syriens, pas très connus pour le public égyptien ». Ayant laissé passer onze ans avant de sortir son premier film, huit ans pour le deuxième et douze autres pour le troisième, Malas est néanmoins fier et satisfait de ses accomplissements. Même s’il n’a pu exprimer jusqu’ici que 10 % de ses idées.
Sa principale préoccupation est de transmettre de la chaleur humaine, de faire des films engagés tout en étant proches des gens, en les faisant se pencher sur leur existence. Et pour ce faire, il conjugue le passé au présent. Du coup, d’aucuns le surnomment le cinéaste révolutionnaire. Et à lui de s’insurger : « Je ne suis pas du tout révolutionnaire, j’essaie de présenter quelque chose de différent. Je suis rebelle contre le gel de notre cinéma national, à la recherche d’une nouvelle chance cinématographique ». Et d’ajouter : « Je ne fais que des rêves accessibles et je ne cherche qu’à réaliser mes rêves d’aujourd’hui. Peut-être demain apportera-t-il des rêves encore plus beaux. Ce sera au profit des générations à venir. »

945 : Naissance à Qonaïtera (Syrie occupée).
1965 : Diplôme de l’Ecole normale de Damas.
1968 : Etudes de cinéma à Moscou.
1984 : La « Tanite d’or » du Festival de Carthage pour son premier long métrage Rêves de la ville.
1994 : Prix du public à la Biennale du cinéma arabe à Paris, organisée par l’IMA.
2004 : Tournage de son troisième long métrage Bab Al-Maqam.

source : http://www.forumdesimages.fr/fdi/Festivals-et-evenements/Un-etat-du-monde-et-du-cinema/Les-Reves-de-la-ville