A Alep, «on a puisé dans les stocks, il ne reste plus grand-chose» – par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 7 août 2016

Abou Ayham, 48 ans, un ancien salarié de l’administration père de dix enfants, vit dans le quartier de Bustan al-Qasr, sur la ligne de front qui traverse la ville.

«On ne croyait plus que le siège d’Alep deviendrait réalité tant il a été retardé. Cela faisait plus d’un an que la menace était brandie et qu’on le disait imminent, et puis chaque fois les offensives du régime sur la route du Castello [la dernière voie de ravitaillement des quartiers orientaux de la ville, aux mains de l’insurrection depuis l’été 2012, ndlr] étaient repoussées. On s’est préparés plusieurs fois aux coupures et aux pénuries en faisant des réserves de riz, de sucre, d’olives et d’autres produits non périssables. Quand le risque d’encerclement s’éloignait, on puisait dans les stocks pour faire des économies. Maintenant il ne nous reste plus grand-chose.

«Je ne pensais pas que les prix allaient flamber autant et si vite. Trois jours après le début du siège, mi-juillet, le prix de la bonbonne de gaz pour la cuisine a triplé, passant de 5 000 à 15 000 livres syriennes [10 à 30 euros], et ce matin, elle est à 40 000 [75 euros]. C’est l’équivalent du salaire d’un fonctionnaire moyen, celui que j’aurais gagné si j’avais continué à travailler à la direction de l’éducation. On a des revenus aujourd’hui grâce au salaire de ma fille aînée de 23 ans, institutrice payée par une ONG extérieure, et la solde de mon fils qui s’occupe de la logistique pour un groupe combattant local. On dispose de l’équivalent de 200 euros par mois mais notre pouvoir d’achat ne fait que baisser.

«Le problème ne vient pas du manque de denrées alimentaires à Alep, mais de la cupidité invétérée des commerçants. Ils ont monopolisé et stocké les denrées avant le siège, organisant la pénurie pour faire monter les prix. Ils ont commencé à le faire pour les produits frais qui sont devenus inabordables dès les premiers jours du siège. C’était du gain rapide et à court terme, puisque maintenant il n’y a plus du tout de légumes ou de fruits sur les marchés. Je continue d’y aller tous les matins juste pour voir et passer le temps en discutant avec les uns ou les autres. On va sans doute faire comme certains de nos voisins qui plantent des courgettes, des concombres et des tomates dans des caisses sur leurs balcons. Il faut bien trouver des solutions pour survivre, le temps que le siège d’Alep soit brisé. Dans quelques jours, quand les combattants réussiront à ouvrir une autre route de ravitaillement.»

Des combattants rebelles montent la garde alors que des gens font la queue pour du pain dans le quartier Al-Shaar, à Alep, le 14 juillet. Photo Abdalrhman Ismail. Reuters