À Beyrouth, « beaucoup pensent que la Syrie attise volontairement les tensions au Liban » – par Rayan Skaff

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 mai 2012
Après Tripoli, dans le nord du Liban, Beyrouth, la capitale, a été le théâtre de violents affrontements entre partisans et opposants au président syrien Bachar al-Assad. Au moins deux personnes ont été tuées dimanche soir, au cours d’échanges de tirs. Sur place, les Libanais suspectent le régime syrien d’attiser les violences dans leur pays.
Les violences ont éclaté après l’annonce de la mort du cheikh Ahmed Abdul Wahid. Ce dignitaire sunnite syrien opposé au régime de Bachar al-Assad a été abattu dimanche par des militaires libanais. D’après les médias officiels, le convoi de Wahid a été attaqué après avoir refusé de s’arrêter à un poste de contrôle dans le nord-Liban. L’armée libanaise a tenté d’apaiser les tensions en présentant ses excuses et en promettant de diligenter une enquête. En vain : des affrontements entre sunnites, partisans et adversaires du régime syrien, ont éclaté quelques heures après l’attaque, dans le quartier de Tareek el-Jdideh, dans l’ouest de Beyrouth. Le siège d’un parti soutenant le régime syrien a notamment été incendié pendant les combats.
Une semaine auparavant, la ville de Tripoli, au nord du Liban, était quant à elle le terrain de violents affrontements confessionnels entre des sunnites soutenant la révolution syrienne et des alaouites (communauté chiite), partisans du président syrien Bachar el-Assad, lui même alaouite.
La situation à Beyrouth était calme en début de semaine, mais les affrontements alimentent la crainte d’une propagation du conflit syrien au Liban. Le pays du Cèdre a été sous tutelle syrienne pendant 30 ans avant que les troupes de Damas ne soient contraintes de s’en retirer en 2005. Aujourd’hui, la classe politique libanaise reste divisée entre pro et anti-Assad. L’opposition accuse le pouvoir syrien de vouloir semer le chaos au Liban. De son côté, le Hezbollah libanais, allié du régime de Damas à la tête de la coalition au pouvoir, a accusé l’opposition d’avoir « transformé le pays en base pour les (rebelles) armés syriens ».

« La plupart des gens ici sont persuadés que la Syrie est derrière la mort du dignitaire religieux »

Rayan Skaff habite Beyrouth. Il est étudiant en management.
Les combats ont éclaté là où j’habite, entre les quartiers de Kass-kass et Tayouneh. C’est une zone sunnite, où la plupart des habitants soutiennent le parti de l’ancien Premier ministre Saad Hariri qui a pris fait et cause pour la révolution syrienne [après la mort de Wahid, Saad Hariri a déclaré dans un communiqué : « Nous ne blâmons pas l’armée libanaise pour [la] mort [de Wahid]. Mais il est clair qu’il y a des personnes infiltrées impliquées dans sa mort qui veulent se servir de l’institution [militaire] et de ses symboles pour importer la crise syrienne au Liban dans une tentative désespérée d’empêcher l’inévitable chute du régime d’Assad », ndlr]. Beaucoup de gens ici partagent le point de vue de Hariri, et pensent que la Syrie est en quelque sorte derrière la mort de Wahid. Ce qui est sûr, c’est que le conflit en Syrie alimente les troubles au Liban.

Depuis mon balcon, j’ai vu des manifestants, pour la plupart des jeunes hommes de mon quartier, bloquer la route avec des pneus auxquels ils ont mis le feu. Au début, ils n’utilisaient pas d’armes ; ils voulaient simplement empêcher les voitures de passer. Mais vers 23 heures, ils se sont rendus dans le quartier voisin de Tareek el-Djideh [également majoritairement sunnite, ndlr], où ils ont attaqué le siège d’un parti qui soutient le régime syrien. J’ai entendu des bruits de fusils-mitrailleurs et de roquettes tard dans la nuit, vers 3 ou 4 heures du matin. L’armée a essayé d’intervenir, mais elle n’est pas assez forte pour contrôler la population libanaise. Ici, tout le monde possède une arme. Il y a énormément de kalachnikovs et de M16 en circulation.
« Il est probable que les combats reprennent »
J’ai discuté avec certains des hommes qui sont descendus dans la rue dimanche. Ce ne sont pas de jeunes hooligans désœuvrés, mais de vrais partisans de Saad Hariri [chef du mouvement du Futur, ndlr]. Même s’ils se sont battus contre d’autres sunnites qui soutiennent le régime syrien [notamment des membres du Parti du courant Arabe, ndlr], je crains tout de même que ce conflit prenne une tournure confessionnelle en définitive, puisque les hommes politiques sunnites pro-Assad sont soutenus par le Hezbollah, qui lui est chiite.
Aujourd’hui [lundi, ndlr] tout semble être rentré dans l’ordre à Beyrouth. Les magasins sont ouverts, mes professeurs font cours. Cependant, il est probable que les combats reprennent, parce que les manifestants à qui j’ai parlé m’ont dit qu’ils comptaient continuer à exprimer leur colère durant les trois prochains jours, qui correspondent à la période de deuil pour la mort de Wahid.