A Homs…

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 février 2012

« A Homs, j’ai été frappé par l’aspect terrifiant de la répression contre les civils »

 Compte-rendu du chat organisé mardi 14 février avec Mani, photojournaliste, de retour d’un reportage pour « Le Monde » dans la ville syrienne de Homs | LEMONDE.FR | 13.02.12 | 15h24   •  Mis à jour le 14.02.12 | 14h57

L’INTÉGRALITÉ DU DÉBAT AVEC MANI, PHOTOJOURNALISTE, DE RETOUR D’UN REPORTAGE POUR « LE MONDE » DANS LA VILLE ASSIÉGÉE, MARDI 14 FÉVRIER 2012

jamila : Dans quelles conditions avez-vous travaillé à Homs ? Pouviez-vouscirculer normalement ? Prendre les photos que vous vouliez ?

J’ai travaillé uniquement dans les quartiers tenus par l’opposition, car je suis entré clandestinement en Syrie. Le fait d’avoir travaillé avec de nombreux activistes et detravailler sur la durée m’a permis d’avoir un accès privilégié et de travailler de manière autonome. Je pouvais circuler librement au sein des quartiers tenus par l’opposition. Je prenais des mesures de précaution lorsque je me déplaçais d’un quartier à un autre.

Certains activistes essayaient de contrôler mon travail de photographe. Mais encore une fois, la multiplication des contacts et la relation établie dans la durée m’ont permis de contourner ces obstacles. Plus spécifiquement, le problème majeur était de parvenir à photographier l’Armée syrienne libre (ASL) car en réaction au discours du régime qui décrit ce mouvement de révolte comme étant animé par des « gangs armés de terroristes », certains activistes en arrivent à vouloirdissimuler toute forme de résistance armée.

Jérém : Bonjour Monsieur, vous êtes revenu de Syrie… Quelles ont été vos premières impressions en arrivant à Homs ? Que se passe t-il réellement là-bas ?

Deux choses très frappantes en arrivant à Homs. D’un côté, la montée en puissance de l’ASL et le contrôle qu’elle effectue sur les quartiers d’opposition, et de l’autre, l’aspect systématique et terrifiant de la répression du régime contre les populations civiles. Concrètement, les quartiers d’opposition sont soumis à des bombardements quotidiens et aux tirs des tireurs embusqués qui visent très spécifiquement les civils.

Chaouki : Bonjour, pouvez-vous nous donner des exemples des difficultés de la vie au quotidien actuellement à Homs ? Est-ce vrai que le pain manque par exemple ?

La distribution de la farine est un monopole de l’Etat. Et les « fours à pain » présents dans les quartiers ne sont plus approvisionnés. Seuls quelques distributeurs privés continuent à livrer quelques-uns de ces quartiers en farine. En conséquence, nombre de « fours à pain » ont fermé et le prix du pain a presque doublé. On voit des centaines de personnes faire la queue, attendant la livraison du pain.

Par ailleurs, l’électricité est coupée dans de nombreux quartiers d’opposition suite à la destruction des transformateurs par les forces loyalistes. Il existe aussi une pénurie de fuel de chauffage. Les gens, désormais, se chauffent au bois.

Zen : Les enfants vont-ils à l’école ?

Cat : Les gens vont-ils travailler ?

Les enfants ne vont plus à l’école depuis le début de l’insurrection. La situation dans les rues est trop dangereuse. Sur les toits de certaines écoles, des tireurs embusqués loyalistes ont pris position. Par ailleurs, le refus d’envoyer les enfants à l’école est une forme de résistance civile.

Nombre de personnes ont cessé leur activité professionnelle en raison des risques encourus ou par refus de collaborer de près ou de loin avec le régime. Certains continuent à travailler tant bien que mal.

Magali : Quel est le pourcentage d’habitants de Homs qui vivent encore dans la ville ?

Dans certaines zones situées au niveau de la ligne de « frottement », entre les quartiers pro-régime et ceux de l’opposition, on observe des déplacements de familles vers des zones où la population y est plus homogène. Concrètement, dans les quartiers multiconfessionnels, les allaouites fuient pour chercher refuge dans les quartiers majoritairement allaouites et les sunnites se déplacent vers les quartiers de l’opposition.

JB : Quel est le profil « type » des opposants au régime ?

A Homs, la majorité des opposants sont sunnites. Ce sont des gens pieux. Néanmoins, ils mettent régulièrement l’accent sur l’aspect non confessionnel du mouvement d’opposition. J’ai pu observer que nombre des opposants étaient d’anciens soutiens au régime et au président Bachar Al-Assad, mais que la violence de la répression a définitivement fait basculer dans la révolte.

momtaz : Quelle est l’importance des islamistes radicaux au sein de la rébellion ?

Encore une fois,la majorité des opposants sont des hommes sunnites. La société est pétrie de valeurs religieuses et ces hommes en sont le reflet. Néanmoins, je n’ai pas observé une réelle radicalité islamiste.

fe5ar : Y-a-t-il beaucoup de pertes parmi les combattants ou l’essentiel des morts concerne la population civile ?

La majorité des morts sont des civils victimes des tirs de snipers et des bombardements au mortier et à la bombe à clous, mais l’Armée syrienne libre subit aussi un certain nombre de pertes lors des actions militaires entreprises.

jeanpiledescoeurs : Bonjour, est-ce que sur place on a le sentiment que la situation peut basculer et qu’un changement de régime est vraiment possible, ou est-ce une guérilla d’usure sans perspective ?

Lors de ce deuxième reportage, par comparaison à la situation du mois d’octobre-novembre, j’ai observé une réelle montée en puissance de l’ASL et la prise de contrôle de plus en plus étendue de la ville d’Homs. De plus, le mouvement de désertion est croissant et régulier. Même si l’issue ne semble pas être imminente, le mouvement général indique un effritement et devrait conduire à un effondrement progressif du régime.

fe5ar : Quel est le niveau d’armement de l’ASL ? On entend dire qu’elle est sous-armée et que les combats sont extrêmement déséquilibrés avec l’armée régulière, qu’en est-il réellement ?

L’ASL dispose essentiellement de Kalachnikov, de mitrailleuses et de lance-roquettes RPG. Certains soldats de l’opposition utilisent même des fusils de modèles très anciens. Ils utilisent aussi quelques fusils à lunette de visée. Des bombes artisanales sont également confectionnées à base d’engrais. En revanche, ils ne disposent ni de blindés ni d’armes qui puissent bombarder à distance (mortier, canons, etc.).

Jalil : Avez-vous l’impression – ou même la certitude – que la guerre civile a déjà commencé en Syrie ?

C’est une insurrection populaire contre un régime d’oppression. Dans ce combat, certains civils ont pris position pour le régime et participent activement aux actions militaires (la milice des shabihas), mais ils agissent, semble-t-il, sous les ordres et la protection des autorités syriennes.

Philippe : La situation à Homs est-elle représentative de l’ensemble du pays ?

Homs est en rébellion ouverte comme nombre de villes dans les régions peuplées essentiellement d’arabes de confession sunnite : Deraa, campagne de Damas, Idleb, Hama, etc.

Guest : Bonjour, avez-vous eu peur pour votre propre sécurité ?

Oui, parfois. Pour travailler dans ces conditions, il faut à la fois prendre en compte la peur légitime tout en tentant de la dépasser.

Source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/chat/2012/02/13/que-se-passe-t-il-reellement-a-homs-en-syrie_1642774_3218.html