À Paris, les Syriens s’activent

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 mai 2011

Face à la répression féroce de la rébellion dans leur pays natal, les exilés commencent à sortir du silence auquel ils s’astreignaient.

Même ici, en France, il faut surmonter sa peur. Surveiller ses e-mails, son compte Facebook. Apprendre à s’organiser, surtout. Comme un effet miroir, la diaspora syrienne de Paris bascule dans un possible avenir. Comme au pays, les jeunes s’éveillent à la politique et bousculent leurs aînés. Manifestations, pétitions, réunions… Ils multiplient les actions pour soutenir la révolution syrienne. C’est encore un peu brouillon, mais « il y a deux mois, ceux qui se frottaient à la politique, surtout de “vieux” opposants, se comptaient sur les doigts de la main, rappelle Burhan Ghalioun, professeur de sociologie politique à l’université de Paris-III et figure respectée de la diaspora. Les autres vivaient dans le silence. Il ne leur venait pas à l’esprit de prendre position sur le régime. Quelle que soit l’issue de ce conflit violent, la psychologie des jeunes générations a changé ».

Lina en fait partie. La jeune femme de 33 ans vit en France depuis sept ans. Comme une majorité de ses compatriotes, sa famille est en Syrie. Ses parents vivent à Damas. Pour les protéger, elle préfère masquer son identité. Le 25 mars, drapeau syrien à la main, Lina est allée manifester place de la République à Paris. La veille, avec sept autres copines, elle cousait les drapeaux. « Ce soir-là, on essayait de se souvenir des chansons pro-régime qu’on nous forçait à chanter quand on était à l’école là-bas, se souvient-elle dans un sourire. J’étais heureuse de pouvoir manifester. J’étais fière. Je n’avais jamais ressenti ça avant. »

« Un hommage aux martyrs »

Avec d’autres, Lina a déposé la semaine dernière les statuts d’une nouvelle association, Souria Houria (« Syrie liberté »). Leur site Internet relaye des informations sur la répression sanglante qui frappe à huis clos leur pays. Demain, à 18h30, ils organisent à Paris un rassemblement en « hommage aux martyrs de la liberté en Syrie ». À la même heure, il y aura un rassemblement à Damas, le premier autorisé par le régime. Pas de slogans politiques, pas de banderoles. Juste des fleurs et des bougies pour tous les morts de ce printemps révolutionnaire. Au moins 850, selon des organisations des droits de l’homme. Vendredi, 21 heures. Lina a rejoint un appartement du quartier de la Bastille à Paris. La table de la cuisine a été rallongée pour accueillir les douze participants. Étudiants, ingénieur, réalisateur, informaticien… ils préparent un concert de rue. Les discussions durent jusqu’à minuit et demi, débordent du sujet principal. Faut-il demander à des intellectuels, comme Stéphane Hessel, de prendre position dans la presse ? Faut-il créer une coordination pour être plus visibles et améliorer la communication entre les différents groupes qui se mobilisent ? Comment soutenir « ceux de l’intérieur » sans aller trop loin et donner le sentiment de leur dicter leurs actions ?

« Ces réunions nous aident à mieux comprendre ce qui se passe là-bas, explique Anmar Hijazi, étudiante en cinéma. Elles nous permettent aussi de nous rassembler. » Après des années de dictature, ils se découvrent citoyens d’un même pays, d’une même nation avec ses différences confessionnelles sur lesquelles les autorités tentent de jouer pour faire déraper la révolution. Au bout de la table, Mohamad Al-Roumi écoute, émet son avis. À 66 ans, ce réalisateur a participé il y a quelques semaines à une autre réunion. Avec des gens de sa génération : « On a enfin pu lâcher ensemble ce qu’on ressentait. » Une sorte de thérapie collective pour exorciser la peur qui les tenaille. Lina aussi s’interroge. Ses actions mettent-elles en danger sa famille ? Pourtant, pas question d’arrêter. D’ailleurs, sa mère a décidé d’aller demain au rassemblement en hommage aux martyrs. La mère à Damas, la fille à Paris, à la même heure. Deux visages d’un même mouvement pour la dignité.

Source : Garance Le Caisne – Le Journal du Dimanche
Date : 22/05/2011
http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Actualite/A-Paris-aussi-la-jeunesse-syrienne-se-mobilise.-318121/