À Paris, un jeune Libanais enseigne le français aux réfugiés syriens

Article  •  Publié sur Souria Houria le 12 janvier 2014

« Ce n’est pas toujours évident de leur apprendre à conjuguer le verbe avoir alors que leur cœur est resté à Damas. »

Ghassan Nader donnant un cours de français à des réfugiés syriens dans un restaurant KFC parisien. Photo Nadim Bahsoun.

Deux fois par semaine, après ses huit heures de travail passées devant l’écran d’un ordinateur, Ghassan Nader troque son costume d’ingénieur informatique pour celui d’enseignant amateur et bénévole. Depuis août 2012, ce jeune Libanais installé à Paris enseigne le français à des réfugiés syriens tout juste arrivés dans la capitale française.
« À la fin des 3 heures ou 3 heures et demie de cours, j’ai plus d’énergie qu’au début, assure-t-il, car ce sont des gens beaux humainement, qui parviennent à sourire malgré les difficultés, et ça, c’est contagieux. »
Si rien ne destinait l’informaticien à l’enseignement, Ghassan Nader, 36 ans, est depuis longtemps un homme engagé. Il est notamment l’un des organisateurs de la Laïque Pride, cette manifestation pour un Liban laïc qui se tient à Beyrouth chaque printemps.
Installé à Paris depuis 2002 après être passé par Dubaï et les États-Unis, Ghassan Nader se dit choqué par « l’ampleur des horreurs en Syrie et le caractère binaire des pensées des différents clans qui s’affrontent ». « Chaque camp cherche à déshumaniser l’autre, à le détruire complètement », regrette-t-il.
À Paris, le jeune Libanais participe à des sit-in pour la Syrie. Lors d’un de ces rassemblements, il rencontre un groupe de jeunes Syriens, qui lui font part de leur volonté de mettre en place des cours de français pour les refugiés nouvellement arrivés. Ghassan Nader se porte volontaire immédiatement. En août 2012, il donne ses premiers cours, le vendredi soir. De cinq élèves, sa classe s’étoffe rapidement grâce au bouche-à-oreille. « Certains sont venus après avoir été dirigés vers ma classe par les services de l’Immigration et la Croix-Rouge à leur arrivée à Roissy », se souvient-il.
Aujourd’hui, il a 55 élèves assidus et réguliers, des Syriens majoritairement, et 15 % d’Égyptiens. Ils sont ouvriers du bâtiment, artistes, écrivains, intellectuels… Ils ont de 17 à plus de 60 ans. La plupart viennent d’arriver en France. « Ce ne sont pas des illettrés, explique le jeune enseignant. Ils veulent trouver du travail en France ou y étudier. Mais ce n’est pas toujours évident de leur apprendre à conjuguer le verbe avoir alors que leur cœur est resté à Damas ou au Caire, et que leur esprit est obnubilé par les événements qu’ils suivent avec anxiété. »
Ghassan Nader ne demande jamais à ses élèves leur opinion vis-à-vis de la guerre en Syrie. « Les Syriens de tous bords vivent un traumatisme, ils perdent tout du jour au lendemain, sont déracinés, voient leur vie détruite. À titre personnel, le conflit syrien m’a fait comprendre à quel point nos peuples sont liés. La distance entre Beyrouth et Damas est la même que celle entre Paris et Beauvais, vous vous rendez compte ! Les mariages mixtes, la façon de vivre, de manger, la culture… Oui, il peut exister des tensions entre nous, mais avec un peu de recul, objectivement, nous formons un même peuple. »
Pour répondre à la demande croissante de cours de français, deux amis libanais, Nadim Bahsoun, danseur, et Krystel Khoury, anthropologue, prêtent main forte à Ghassan Nader depuis août 2013. Chacun donne deux cours par semaine.
« Aujourd’hui, nous nous interrogeons sur la poursuite des cours. Nous sommes motivés, mais nous avons désormais beaucoup d’élèves. Il ne s’agit plus d’un petit cours bénévole, mais presque d’une école ! » souligne Ghassan Nader.
Autre problème, celui du local. « Nous donnions les cours dans un centre partagé par plusieurs associations dans le 10e arrondissement de Paris. Mais à la mi-décembre, un vendredi, quand nous sommes arrivés au centre pour le cours, nous avons découvert que la serrure avait été cassée. Nous nous sommes retrouvés à la rue et avons dû faire cours dans le KFC d’à côté. Le lundi suivant, le centre était définitivement fermé en réaction aux plaintes des voisins et locataires irrités par les allers et venues dans les locaux. »
Nader et ses élèves ont depuis été accueillis dans les locaux d’une autre association. Mais cette solution n’étant que provisoire, ils sont toujours à la recherche de deux salles de classe.

Source : http://www.lorientlejour.com/article/849756/a-paris-un-jeune-libanais-enseigne-le-francais-aux-refugies-syriens.html