A Treimseh, après Houla, le régime syrien persiste… et nie par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 17 juillet 2012

Qu’il s’agisse de la situation de son pays, des aspirations de la population syrienne ou de son propre compte, il est peu dire que Bachar Al-Assad n’a jamais fait preuve d’une grande lucidité. Président-héritier imposé à la tête de l’Etat syrien – avec la participation active, et selon lui déterminante, il n’est pas inutile de le rappeler en ces jours, du général Moustapha Tlass, serviteur aussi fidèle qu’intéressé du « président à vie » puis du « chef éternel » Hafez Al-Assad -, celui qui aspirait à devenir médecin avant de s’en prendre à son peuple avec une rare sauvagerie a amplement démontré, depuis le 15 mars 2011, qu’un ophtalmologue n’est pas nécessairement clairvoyant. Ceux qui n’avaient pas eu l’occasion de s’en apercevoir, faute de s’être jamais, auparavant, intéressés à la Syrie et au peuple syrien, ont eu depuis lors tout le loisir de le faire, à condition, bien évidemment, d’ouvrir les yeux et de renoncer aux cadres tout faits qui dispensent de penser.

Treimseh

Alors que les défections de membres de son entourage civil et militaire s’accélèrent, alors que son régime s’enfonce chaque jour plus profondément dans l’impasse faute de répondre autrement que par la violence et la mort aux légitimes revendications de liberté et de dignité d’une partie de la population, et alors que la fermeté de la Russie – beaucoup moins intéressée par la Syrie, son peuple, son régime et son président que par l’opportunité de montrer qu’elle est de retour sur la scène internationale – lui donne de faux espoirs de survie, Bachar Al-Assad vient une nouvelle fois de démontrer son aveuglement en lâchant ses sicaires sur les habitants d’un village du gouvernorat de Hama. Son acharnement est incompréhensible : le déroulement des événements, au cours des 16 mois écoulés, a en effet confirmé que le mur de la peur bâti par son père et consolidé par lui-même autour de la population était définitivement renversé en Syrie et que la voie sécuritaire, au lieu de convaincre les Syriens d’abandonner la lutte, les incitait au contraire à exiger son départ et, de plus en plus, sa traduction en justice et son exécution.

Dégage Bachar. Nous ne t'aimons pas

 

Après Taldo, dans la région de Houla, après Qbeir, après Al Haffeh, après Salma, après Souran… c’est le village de Treimseh qui a été la cible, le jeudi 12 juillet, d’une opération d’épuration programmée. Conduite par l’armée du régime, elle a été réalisée avec l’assistance de mercenaires recrutés en grande partie parmi les membres de la communauté minoritaire alaouite. Le pouvoir sait depuis longtemps jouer sur leur peur d’un changement de régime en Syrie, sur la crainte des représailles qu’il leur inspire au cas où leur allégeance faiblirait, comme sur la pauvreté dans laquelle il les a intentionnellement maintenus de manière à les laisser dépendants et tributaires du système en place.

Selon des témoins appartenant à diverses structures de la révolution, Treimseh a été encerclé de tous côtés, jeudi 12 juillet, entre 5 h 30 et 6 heures du matin, par des unités de l’armée positionnées dans la région depuis près de 4 mois, à la fois pour maintenir une certaine pression sur les agglomérations sunnites et pour rassurer les villages alaouites disséminés dans les alentours. Comme c’est toujours le cas lors dans ce genre d’opérations, qualifiées avec cynisme par le pouvoir syrien de « rétablissement de l’ordre », les communications (téléphone fixe, téléphone portable et internet) et l’électricité, comme les voies d’accès au village, avaient préalablement été coupés.

Situation de Treimseh

 Avant d’aller plus loin, il convient de rappeler que, comme Taldo et la plupart des villages non alaouites des gouvernorats de Homs, Hama, Idlib et Lattaquié précédemment victimes d’agressions, Treimseh s’était engagée dès la première heure avec détermination dans le soutien au mouvement de contestation. Peuplé de 10 000 habitants environ, Treimseh n’avait pas tardé à se doter d’une coordination. Depuis le 11 juillet 2011, celle-ci diffuse sur sa page Facebook le compte-rendu régulier des activités et des manifestations qu’elle organise. On constate que, depuis cette date au moins, si la protestation n’a pas connu là de répit, elle n’a jamais entraîné non plus de comportement de la population susceptible de menacer la stabilité du village et de ses habitants, à plus forte raison la survie du régime et la simple existence de ses suppôts.

Mais, avec une constance dont on comprend qu’elle ait fini par devenir exaspérante pour un pouvoir incapable de supporter la moindre contestation de son autorité, les habitants de Treimseh ont manifesté tous les vendredi, et souvent d’autres jours, pour exprimer leur volonté de récupérer leurs droits et d’être traités comme des citoyens et non de simples sujets. Comme le montrent les vidéos tournées à ces occasions, les traits dominants de ces rassemblements sont toujours restés, comme ailleurs en Syrie depuis le début de la « révolution contre Bachar Al Assad », l’ordre et la discipline. En voici quelques illustrations :

– Le 5 juillet 2011, ils se réunissaient autour du slogan « l’effusion de sang des amoureux de la liberté rapproche l’heure de la libération ».
– Trois jours plus tard, le 8 juillet 2011, ils participaient massivement au grand rassemblement hebdomadaire organisé sous le slogan « Non au dialogue ».
– Le 14 novembre 2011, en revanche, ils disaient « oui au Conseil national syrien ».
– Le 14 décembre 2011, les commerçants du village s’engageaient dans la grève générale organisée dans toute la Syrie sous le slogan « Par la désobéissance civile, nous renverserons le régime du tyran. »
– Le 3 février 2012, ils s’excusaient auprès des habitants de la ville voisine de Hama, pour lesquels ils ne pouvaient pas faire grand chose et ils les incitaient à « faire preuve d’endurance parce qu’ils ont rendez-vous avec la liberté ».Le minaret bombardé de la mosquée de Treimseh (juin 2012).

Le minaret bombardé de la mosquée de Treimseh (juin 2012).

 

Après l’adoption par le régime d’une stratégie d’éradication de la contestation et, surtout, avec la mise en application du plan consistant à chasser le maximum de sunnites de la côte et de la montagne alaouites, destinées à devenir pour Bachar Al-Assad et son entourage un ultime bastion, ces manifestations, loin de faiblir, se sont intensifiées :
Le 11 mai 2012, les habitants de Treimseh ont défilé dans les rues en dépit du siège qui leur était imposé, pour affirmer qu’ils sortiraient vainqueurs de la lutte engagée, « sûrs que  la Victoire vient de Dieu ».
– Le lendemain, 12 mai, ils manifestaient à nouveau pour clamer leur conviction que « la chute du régime de Bachar Al-Assad est proche ».
– Le jour suivant, 13 mai, ils dénonçaient la parodie de démocratie qu’avaient constituée les élections législatives et faisaient connaître les noms des martyrs qu’ils auraient portés à l’Assemblée du peuple… s’ils avaient pris part au scrutin.
Le 1er juin 2012, ils exprimaient leur soutien à la population de Taldo, situé à 45 km plus au sud à vol d’oiseau, sous le slogan « les enfants de Houla sont le flambeau de la victoire ».
Le 3 juin 3012, ils sortaient par solidarité avec les villages encerclés de Kafr Zita et Al-Ouwayna,
– Le 30 juin 2012, il encourageaient les habitants des villes de Hama et de Douma à tenir bon…

Lorsque le bombardement de Treimseh a débuté, jeudi 12 juillet à l’aube, une partie des habitants a tenté de fuir les lieux pour chercher refuge dans les champs et vergers environnants. Ils étaient traumatisés par la perspective de voir se reproduire chez eux les crimes et méfaits commis ailleurs par les forces dites « de protection du régime » et les criminels à la solde de la famille présidentielle. Ils n’ignoraient pas qu’ils s’exposaient ainsi aux obus des mortiers et des blindés qui encerclaient le village, aux missiles tirés par les hélicoptères, aux balles de divers calibres des shilka et des francs-tireurs… Mais à tout prendre, ils préféraient le risque d’être abattus ou frappés en pleine rue à celui de voir leurs enfants et eux-mêmes attaqués et égorgés de sang-froid chez eux par les chabbiha.

Les bombardements ont duré près de 4 heures. Ils ont fait un nombre indéterminé de victimes et détruit sur leurs habitants plusieurs maisons. Aux environs de 10 heures, les tirs ont cessé et les soldats ont fait leur entrée dans le village. Ils se sont heurtés aux combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) qui assuraient sa protection. Les témoins ont affirmé qu’il n’y avait à Treimseh aucun de ces prétendus « terroristes » dont l’évocation sert uniquement au régime à justifier les interventions qu’il entend mener pour rétablir, quand il le veut et comme il le peut, son autorité contestée. Les défenseurs du village étaient uniquement, comme dans la plupart des agglomérations, quartiers et villes attaqués, des habitants de tous âges. La plupart étaient des déserteurs de l’armée. D’autres étaient de jeunes révolutionnaires ayant rejoint les rangs de l’ASL pour défendre leurs familles, leurs amis, leurs voisins et leurs biens. Les combats, qui ont fait des victimes dans les deux camps, ont tourné à l’avantage de la partie la plus puissamment armée.

Environs de Treimseh.

Maîtres des lieux, les militaires ont été rejoints par les chabbiha, rameutés comme lors des occasions similaires dans les villages alaouites des environs. Ensemble, ils ont attaqué certaines maisons, dont la totalité des occupants ont été assassinés. Ils ont mis le feu à plusieurs d’entre elles, dont celle du mokhtar (chef de village ou de quartier), Moustapha Al-Younes. Ils ont également détruit des écoles.Quand les forces du régime se sont retirées, à l’approche de la nuit, les habitants ont commencé à récupérer dans les rues et dans les maisons en ruine les survivants et les cadavres des victimes. Un nombre important de blessés auraient pu être sauvés, mais ils avaient péri entre temps, faute de soins. Les premiers ont été transportés dans la grande mosquée du village, transformée en centre de secours. Au total, les témoins évoquent quelque 150 martyrs. D’autres parlent de plus de 200. Près d’une cinquantaine de cadavres ont par ailleurs été récupérés dans l’Oronte. Certains étaient ceux d’habitants du village voisin de Kafr Houd. Selon des témoins, les maisons attaquées lors de l’opération appartenaient soit à des activistes connus, soit à des soldats ou officiers déserteurs…Jihad Maqdisi.

Comme il l’avait fait auparavant, le porte-parole du ministère syrien des affaires étrangères, Jihad Maqdisi, a réuni les médias, quelques heures plus tard, pour leur livrer la version officielle de ce tragique événement. Il leur a expliqué que les forces du régime avaient été appelées à l’aide par des habitants de Treimseh, qui avaient indiqué que des hommes en armes avaient pénétré au petit matin dans le village. Ils avaient tué une cinquantaine de personnes et fait sauter plusieurs maisons. Arrivées sur les lieux, les forces gouvernementales avaient affronté des « groupes terroristes », dont elles avaient tué un grand nombre d’éléments. Elles avaient par ailleurs capturé plusieurs dizaines de ces hommes et confisqué des quantités considérables d’armes, parmi lesquelles figuraient des mitraillettes et des explosifs. Certaines de ces armes étaient de fabrication israélienne. Les terroristes disposaient aussi de moyens de communication par satellite. Aucun civil n’avait, évidemment, été tué par les forces du régime. Ceux qui avaient trouvé la mort avaient été enlevés et exécutés avant l’intervention de l’armée. Cette dernière avait enfin découvert des voitures volées, des plaques de voitures falsifiées et un grand nombre de documents, parmi lesquels des pièces d’identité appartenant à des ressortissants d’autres pays, dont celle d’un citoyen turc.

Le fonctionnaire en charge de la propagande syrienne n’a pas expliqué, en revanche, pourquoi, au lieu de montrer leur reconnaissance pour ceux qui les avaient sauvés d’une catastrophe annoncée, les habitants de Treimseh se sont opposés, le lendemain de la tragédie, à l’entrée dans leur village d’une délégation d’inspecteurs de la mission onusienne, en justifiant leur refus par le fait qu’elle était accompagnée, pour sa protection bien entendu, par des unités des vaillantes forces armées syriennes qui les avaient sauvés d’un carnage annoncé…

Sépultures collectives de victimes du massacre de Treimseh

Quand il aura fourni une réponse à cette question et trouvé une explication plus originale et plus crédible au drame de Treimseh, il sera temps de prêter attention à ses propos. En attendant, on considérera que le régime est intervenu dans ce village d’irréductibles pour réduire sa résistance, pour sanctionner le refus de ses habitants de crier, avec les affidés et les obligés du pouvoir, que « notre chef pour l’éternité est Bachar Al-Assad » et pour continuer à faire place nette aux alentours immédiats du futur « ghetto alaouite »… où le chef de l’Etat syrien imagine finir ses jours de façon plus confortable qu’à Moscou ou à Caracas.

 Source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/07/16/a-treimseh-apres-al-houla-le-regime-syrien-persiste-et-nie/

Date : 16/07/2012