Alep ravagé par d’incessants bombardements par Hala Kodmani

Article  •  Publié sur Souria Houria le 30 décembre 2013

HALA KODMANI

Dans le quartier de Salah al-Din, à Alep, mercredi. (Photo Houssam Kattan. Reuters)

RÉCIT

Dans la deuxième ville de Syrie, l’aviation du régime vise indifféremment depuis dix jours civils et rebelles, alors que ces derniers ont progressé au sol.

La liste du Dr K. ressemble à une commande au père Noël : «1- Sérum de perfusions 2- Plâtre 3- Compresses 4- Bandes adhésives 5- Produits anesthésiants, 6- Gants chirurgicaux, etc.» Elle comprend 25 articles les plus urgents et se termine par un«PS : et puis surtout, du carburant pour les ambulances et du fioul pour le chauffage». Membre de l’Union médicale libre d’Alep et de ses environs, qui gère une trentaine d’hôpitaux de campagne, le jeune chirurgien communique «les besoins les plus urgents» à ses contacts Skype, comme une bouteille à la mer.

Le déluge de feu qui s’abat, depuis plus de dix jours, sur les quartiers contrôlés par la rébellion dans la deuxième ville du pays a fait au moins 422 morts, dont «90% de civils»,selon le Dr K.

Baril.«Dans les régions civiles évoquées par le porte-parole de la Maison Blanche, […] il n’y a en fait que des groupes de Saoudiens, de Qataris et de Tchétchènes», affirme l’agence de presse officielle Sana au lendemain de la condamnation par les Etats-Unis des «attaques aériennes par les forces gouvernementales syriennes contre des civils». Martelant le message de la guerre aux jihadistes qui continue de lui valoir l’impunité internationale, le régime Al-Assad poursuit à Alep ses «massacres au baril», comme les qualifie un site de l’opposition. 136 de ces conteneurs métalliques, qui ressemblent à de vieux chauffe-eau chargés de TNT, se sont abattus en une semaine sur Alep, en plus des obus. «Ce ne sont jamais des corps entiers que l’on récupère après la frappe, raconte un secouriste joint par Skype, même si nous tentons de rassembler des morceaux dans les décombres. Quand l’avion largue un premier baril sur un quartier, les gens fuient en courant, mais ils y retournent très vite pour tenter de retrouver des survivants. L’avion revient alors bombarder le même lieu, achevant certains et tuant ceux venus les secourir.»

Densément peuplé, y compris par des réfugiés d’autres régions, le quartier populaire de Soukkari, à la bordure sud d’Alep, a reçu mardi le lot le plus meurtrier. Six raids de l’aviation ont visé maisons, commerces et écoles, faisant 19 morts en quelques heures, dont plusieurs enfants. Les images de pères éplorés portant dans leurs bras des petits corps ensanglantés prises par les télévisions locales ont été diffusées par les chaînes d’information satellitaires arabes et internationales. La photo du visage radieux d’un garçon d’une dizaine d’années retrouvant vivante sa petite sœur portée par un secouriste a fait le tour des pages des activistes, avec pour commentaire :«Voici les terroristes visés par l’aviation de Bachar al-Assad.»

La distinction entre cibles militaires et civiles n’a pas beaucoup de sens à Alep. Ville traversée d’est en ouest par une ligne de front mouvante et plus ou moins animée depuis l’été 2012, on s’y bat d’une rue et d’un immeuble à l’autre. Dans la grande moitié sud et est de la ville, contrôlée par les rebelles, les groupes armés sont installés parmi les habitants tandis qu’en face, des hôpitaux et des mosquées occupés par les forces du régime ont été transformés en véritables casernes.

L’une des grosses batailles remportée par les rebelles la semaine dernière a été celle de l’hôpital Al-Kindi, situé sur une colline au nord de la ville et surplombant une route stratégique. Une cinquantaine de soldats et miliciens loyalistes auraient été tués dans l’attaque, selon les rebelles.

Place forte. Dans le quartier de Bustan al-Qasr, le long de la ligne de démarcation, une bataille est en cours pour le contrôle de la mosquée Huzaifah bin Yaman, également transformée en place forte par l’armée. Est-ce pour se venger de ces quelques revers au sol que l’aviation de Bachar al-Assad se déchaîne contre les quartiers d’Alep ? «On ne se demande plus pourquoi, dit le secouriste. Certains disent que c’est pour gagner des positions avant la conférence de Genève, d’autres que c’est pour vider la ville de ses habitants, qui fuient d’ailleurs par milliers vers la Turquie à la première accalmie.»

Punir la population des zones contrôlées par la rébellion est une stratégie non dissimulée du régime syrien, à Alep comme ailleurs. Dans les environs de Damas, c’est l’arme de la faim qui a révélé très brièvement son efficacité, venant momentanément à bout de la résistance de Moadamyeh, une localité assiégée et bombardée depuis un an par les forces loyalistes. L’accord pour une trêve conclue mercredi entre les deux camps prévoyait, symboliquement, de hisser le drapeau syrien régulier sur les citernes d’eau en échange de l’autorisation de laisser entrer nourriture et produits médicaux dans la ville. Les rebelles devaient également remettre leur armement lourd si l’accord était respecté. Mais, dès hier après-midi, le cessez-le-feu a volé en éclats et les combats ont repris, à l’initiative de l’armée syrienne, selon la rébellion.

Source : http://www.liberation.fr/monde/2013/12/26/alep-ravage-par-d-incessants-bombardements_969122