Ammar Abd Rabbo, photoreporter : « la Syrie, une guerre médiatique »

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 octobre 2013

Invité à l’occasion des Tribunes de la presse le 19 octobre dernier, le photojournaliste franco-syrien Ammar Abd Rabbo raconte son expérience de reporter au cœur du conflit syrien : les dangers, les tentatives de manipulation du régime et les erreurs des médias.

Atmosphère sur la ligne de front au moment du deuxième anniversaire de la révolution syrienne, Alep le 15 mars 2013. - Ammar Abd Rabbo/ABACAPRESS.COM

Depuis le début du conflit en mars 2011, Ammar Abd Rabbo s’est rendu à quatre reprises en Syrie. Une entreprise d’autant plus périlleuse qu’il part de son propre chef, sans être ni financé ni assuré par des médias, la plupart d’entre eux refusant d’envoyer des journalistes sur le terrain, en raison des dangers courus.

Après avoir franchi la frontière turque et passé les multiples barrages ponctuant les quelque 50 km de route qui mènent à Alep pour se rendre du côté des rebelles, Ammar Abd Rabbo est avant tout frappé par la lassitude de ces jeunes révolutionnaires : “Ils pensent que nos reportages ne vont rien changer, que c’est inutile.” Pour autant, “même s’ils sont parfois méfiants, ils restent bienveillants et reconnaissent notre prise de risques”.

Une partie importante de la population syrienne est encore “dans un déni total”, poursuit le photojournaliste. Soit parce qu’elle ne veut pas affronter l’effroyable réalité, soit parce qu’elle soutient le régime et accuse les médias d’exagérer les faits. C’est pourquoi “le conflit syrien est aussi une guerre médiatique”.

COPYRIGHT:Ammar Abd Rabbo

Les hommes de Bachar El-Assad “manipulent les médias”, explique Ammar Abd Rabbo. “Ils lancent des fausses rumeurs qu’ils font passer pour des informations” afin de discréditer le camp adverse. C’est la théorie du « cageot de fruits », “quand on met une tomate pourrie dans un cageot de beaux fruits, celui qui passe à côté va penser que tous les fruits sont pourris. C’est ce qui se passe avec les vidéos mettant en scène de faux blessés ou de faux morts, qui sont mises en circulation sur YouTube pour faire croire aux Syriens que toutes les vidéos des révolutionnaires sont fausses”. D’où l’intérêt de se rendre sur le terrain, conclut-il, afin de constater les faits par soi-même et de rétablir la vérité.

Ammar Abd Rabbo en appelle à la vigilance des journalistes qui ont une responsabilité vitale dans le traitement de ce conflit. Il s’insurge contre la tendance de certains médias à abandonner toute nuance au nom de la simplification et de la rapidité, et à chercher à tout prix le sensationnalisme pour faire vendre, en braquant leurs projecteurs aveuglants sur “les extrémistes ‘ignares’”, parce qu’ils font “beaucoup plus de bruit alors qu’ils ne sont qu’une minorité”.

COPYRIGHT:Ammar Abd Rabbo

En agissant de la sorte, Ammar Abd Rabbo soutient que ces médias alimentent la confusion établie par le régime, entre les rebelles et les djihadistes. Si bien qu’ils “desservent la révolution syrienne”, encourageant le scepticisme de l’opinion publique et la passivité de la communauté internationale, terrifiée à l’idée d’apporter son aide à des terroristes. De telle sorte que, si la couverture médiatique à l’international devrait être plutôt favorable aux rebelles et à leur idéal de liberté, “l’opinion continue à douter du bien-fondé de leur démarche”. C’est pourquoi, “pour le moment, il n’y a aucun message clair, aucun STOP à Bachar El-Assad”. L’un de ses objectifs est donc de lutter contre la désinformation qui empêche la mobilisation internationale et la marche vers la paix.

La vie plutôt que la mort

Le travail d’Ammar Abd Rabbo manifeste par ailleurs une volonté de montrer une autre image de la Syrie. Il met en lumière des aspects délaissés par la plupart des grands médias car pas assez ‘racoleurs’, comme l’art, les graffitis sur les murs d’Alep, les tentatives de sauvegarde du patrimoine de la ville. “Je m’efforce de faire des photos de la vie plutôt que de la mort”, insiste-t-il.

Comptant sur le pouvoir de la photo, ce “langage universel, capable de parler à tout le monde”, pour convaincre l’opinion publique de la “sincérité de la démarche des rebelles”, Ammar Abd Rabbo espère prouver, grâce à ses clichés, qu’il y a encore de la vie en Syrie.

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2013/10/29/ammar-abd-rabbo-photoreporter-la-syrie-une-guerre-mediatique