Analyse : des signes d’une économie chancelante en Syrie

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 octobre 2011

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

Beyrouth / Alep, 27 octobre 2011 (IRIN [1]) – La petite affaire manufacturière de Mufid (nom de famille caché), située dans un quartier pauvre des abords d’Alep, la capitale économique de la Syrie, avait l’habitude de fonctionner sur la confiance, parce qu’il recevait des marchandises et les payait plus tard – un système de commerce que les gens du pays nomment « khamisat ».

Dérivé du mot arabe pour « vendredi », « khamisat » signifiait que Mufid pouvait attendre la fin de la semaine pour payer ses textiles, ce qui lui donnait ainsi une chance de percevoir l’argent des détaillants pour cette semaine de ventes. Pour une entreprise employant 50 ouvriers, mais ayant des marges faibles et peu de capital, ce système basé sur la confiance offrait une bouffée d’oxygène vitale.

Mais une décennie de gestion rapide des affaires a pris fin lorsqu’un soulèvement contre le gouvernement du président Bashar al-Assad a commencé à la mi-mars. Les hommes d’affaires à Alep, comme Mufid, ont réalisé que l’ancien système de « khamisat » n’était désormais plus valable.

Craignant que la livre syrienne ne perde sa valeur alors que la consommation des ménages chutait face aux mesures de répression d’Assad sur les opposants, les importateurs d’Alep ont perdu confiance en leur marché. La confiance qui permettait au « khamisat » de fonctionner s’est évaporée et le paiement comptant est devenu roi.

« Ils ont dit qu’il n’y avait aucun moyen d’avoir ne serais-ce qu’un mètre de tissu sans argent », a dit Mufid à l’IRIN. « Je ne pouvais pas assumer de payer au comptant pour obtenir des matières premières et d’attendre ensuite des semaines pour récupérer l’argent auprès des détaillants. J’ai épuisé toutes mes économies, puis j’ai dit à mes ouvriers, avec des larmes dans les yeux : « Vous n’avez pas de travail. S’il y a de bonnes nouvelles, je vous téléphonerai. »

Il n’y a eu aucun besoin d’appeler.

Mufid, a musulman sunnite, comme la majorité des Alépins et des Syriens, a affirmé qu’il connaissait des douzaines d’autres propriétaires de petites entreprises à Alep qui ont été forcés aussi de licencier le personnel et de fermer.

Il a dit qu’il était furieux que le régime, dirigé depuis le dernier demi-siècle par les membres de la secte minoritaire alaouite, ait pris ses impôts mais se soit révélé incapable de lui garantir la stabilité économique nécessaire pour qu’il puisse assurer la subsistance de sa famille – le pacte qui assurait depuis longtemps la loyauté de la communauté d’affaires d’Alep envers la famille Assad au pouvoir.

Une économie fragile

L’histoire de Mufid est juste un exemple des souffrances endurées par les syriens ordinaires, confrontés à une économie fragile – luttant déjà avec des réformes de marché après les décennies de planification centralisée de l’ère soviétique – et qui est maintenant en sérieux déclin.

Après avoir progressé d’environ 3,5 % en 2010, le Fonds monétaire international (FMI) estime que l’économie syrienne va se contracter de 2 % cette année. Un économiste syrien majeur prédit cependant que les choses pourraient être bien pires.

 

Le PIB [2] va se contracter de 10-20 % cette année. La seule chose qui évitera que le PIB ne chute davantage c’est le fait que le pétrole et l’agriculture, qui représentent 40 % du PIB, n’ont pas encore été affectés par le soulèvement », affirme Jihad Yazigi, éditeur de Syria Report, la principale lettre d’information économique mensuelle du pays.

Les chiffres officiels de la première moitié de 2011 ont montré que le gouvernement a suspendu l’intégralité de son budget d’investissement, qui constitue 43 % du budget annuel de 16,7 milliards de dollars américains.

Les sanctions de l’Union Européenne et des Etats-Unis, ainsi que les mauvaises relations et la baisse du commerce avec la Turquie voisine, n’aident pas.

Dans un pays où l’extrême pauvreté pourrait avoir augmenté durant la période de cinq ans depuis 2005 – en grande partie à cause de la mauvaise gestion d’une sécheresse chronique – et où le taux de chômage atteint les 15-25 %, le budget d’investissement était essentiel au projet de l’Etat pour créer des emplois et de la richesse.

Le plan quinquennal à venir du parti Baath requiert un investissement de 100 milliards de dollars, dont la moitié devait venir du secteur privé. Mais, selon les propos d’un économiste de Damas cité par l’AFP, tout ceci est parti en fumée.

Le tourisme, qui représente normalement 12 % du PIB, a été décimé.

« J’ai travaillé ici pendant 10 ans et ceci est le pire pour moi », dit Ammar, un serveur kurde de 35 ans issu d’un village de l’extérieur d’Alep, contemplant son café vide. « Aujourd’hui nous avons moins de revenus, mais nous payons davantage pour le coût de la vie. Habituellement, les jeunes gens riches viennent ici pour fumer le narguilé et passer des heures à jouer aux cartes. Maintenant je ne vois que peu d’entre eux parce qu’ils ne veulent pas dépenser d’argent. »

Ammar a déclaré que son salaire mensuel de 143 dollars était autrefois multiplié par deux ou trois par les pourboires des clients, l’aidant à subvenir aux besoins de sa femme, de ses quatre enfants et de son père âgé. Maintenant les pourboires couvrent à peine ses frais de transport et ses cigarettes.

Son parquet de cigarettes coûte à présent 1,53 dollars, il a augmenté d’un dollar il y a deux mois. Le sucre dans son thé a également augmenté, triplant presque de 51 cents américains le kilo à 1,43 dollars en seulement trois mois.

Les observateurs affirment que ce qui a commencé dans une large mesure comme un soulèvement politique – des bannières de protestations ornées d’appels à la liberté contre l’oppression, pas de demandes de fin des politiques de libéralisation du marché – pourrait bientôt commencer à se tourner vers le coût économique de la répression de ce mouvement.

Selon le « Conflict Intensity Index » annuel, diffusé par la compagnie d’analyse de risque et de cartographie  Maplecroft le 12 octobre dernier, la Syrie a glissé de pays à « risque moyen » à celui de « risque extrême » sur une échelle qui aide les sociétés multinationales à évaluer les menaces actuelles de conflits et les risques potentiels pour les opérations et les investissements.

« Un conflit augmente exponentiellement le risque de faire affaire avec un pays, alors que les opérations sont perturbées et que les employés et les capitaux sont en danger », a observé l’analyste de Maplecroft Jordan Perry.

 

Inflation

Malgré une réserve de devises importante que la plupart des économistes situent autour de 17-18 milliards de dollars, en plus de la réserve de 5 milliards destinée à défendre la livre syrienne, le coût du maintien de l’inflation à distance depuis 6 mois a clairement commencé à laisser des traces sur les finances de la Syrie.

Le 24 septembre, le gouvernement a annoncé un embargo sur l’importation de toutes les marchandises dont les taxes douanières étaient supérieures à 5%, une initiative dont le ministre de l’économie et du commerce reconnaît qu’elle était destinée à « protéger les réserves étrangères ».

Le café et la farine sont montés en flèche de 50 % tandis que les prix des voitures, déjà prohibitivement élevés en Syrie avec une moyenne de taxes douanières d’importation de 60 %, augmentait de 10-20%, alors que les vendeurs vidaient leurs salles d’exposition dans l’attende de hausses de prix supplémentaires.

Fait décisif, on s’attend à ce que le prix du fuel, subventionné par l’Etat et utilisé par la majorité des syriens pour chauffer leur logement durant les hivers froids, augmente de plus du double de 31 à 78 cents américains le litre, selon Mohammed Khaled, un ancien homme d’affaires aisé, doté de liens solides avec le gouvernement, qui est passé du côté de l’opposition. Il est à présent « le représentant économique » pour le Conseil Suprême de la Révolution syrienne.

Un diplomate Occidental à Damas n’a pas pu confirmer cette hausse des prix, mais a précisé que les pénuries de fuel avaient déjà poussé les prix à monter jusqu’à 51 cents américains le litre, une hausse de 65%.

Le 4 octobre Nidal al-Shaar, ministre de l’économie et du commerce, a annoncé que le gouvernement avait levé l’embargo sur l’importation « à cause des demandes légitimes des citoyens, parce qu’il y avait davantage de répercussions négatives que prévu ».

[1] IRIN : nouvelles et analyses humanitaires. Un service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (note de la traduction).

[2] GDP dans le texte d’origine: gross domestic product. L’équivalent français est le PIB (Produit Intérieur Brut). (note de la traduction)

source: http://www.irinnews.org/report.aspx?reportid=94077