Anti et pro-Assad : “Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur.”

Article  •  Publié sur Souria Houria le 8 juin 2012

Al-Achouch, tué par les sbires de Bachar pour avoir chanté pour la Liberté.

De tous les arguments (sic) des partisans des Assad pour défendre son régime, il y en a un qui surpasse les autres en absurdité et stupidité : Bachar Al-Assad a un soutien parmi la population syrienne. Fichtre!

Ecrire un billet sur ce sujet est déjà une insulte à l’intelligence. En effet, clarifier la supercherie de la résistance des Assad face à Israël fut un travail nécessaire pour démontrer que les discours de résistance ne sont bien que des discours. Expliquer la nature du régime syrien fut éclairant pour ceux qui ne connaissaient pas ce clan qui gouverne la Syrie depuis plus de quatre décennies. Publier des extraits de “La Coquille”, où transparaît la barbarie du régime syrien est d’autant plus indispensable que la torture syrienne dépasse l’entendement de nous autres qui appartenons à l’espèce humaine…

Mais nous voilà contraints, devant la récurrence de cet argument (Al-Assad a des soutiens) dans la bouche des défenseurs du régime criminel des Assad, à rappeler quelques évidences.

 “Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur.”

“Min hibbak”, “On t’aime!”, c’est ce qu’on peut lire sur les pancartes des pro-Assad, avec en fond, une belle photo de leur bien-aimé : Bachar. Mais quelle valeur peut-on accorder à cette parole, la seule autorisée dans la dictature syrienne? La seule entendue depuis l’arrivée du “leader éternel”, Hafez Al-Assad. A peine son fils au pouvoir, que les syriens l’aimaient déjà! Un amour sincère, c’est évident…

La capacité d’organisation de manifestations en faveur du régime est connue : baathistes, fonctionnaires, employés et même Chabihas et soldats (habillés en civils pour l’occasion) sont priés de venir manifester leur soutien au président. C’est ce qui se fait depuis des décennies. Beaucoup sont contraints de grossir les statistiques des manifestations pro-régime. La vidéo montre que même un opposant est forcé d’aller aux manifestations… alors que son père se trouve dans les geôles du régime !!! Evidemment, d’autres viennent de plein gré comme ce soi-disant détenu libéré par le régime… qui se retrouve dans une manifestation pour Bachar !

Parce qu’elles sont organisées, certaines manifestations pro-régime se sont naturellement muées en manifestations anti-régime…avant de subir la répression par ceux là-même qui étaient censés les protéger. Et quand le pouvoir ne mobilise pas ses réseaux pour forcer les syriens à descendre dans la rue, il n’y a, en fait, pas grand monde (article à lire).

Comme l’a écrit Beaumarchais, “Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur”. Tant que les syriens n’auront pas la liberté de proférer le contraire de leur amour pour Bachar, l’honnêteté des pro-Assad sera compromise et il est légitime de douter de leur sincérité. Ceci d’autant plus que, connaissant la nature de l’Homme, un nombre important de syriens font le choix du plus fort… et n’hésiteront pas à retourner leur veste après la chute du régime.

A l’inverse, le courage incroyable qu’il faut pour participer à des manifestations anti-régime est un gage de l’authenticité du message des contestataires. Chaque manifestant représente des centaines d’anti-Assad qui n’ont pas son courage. Et vu la barbarie des sbires d’Assad, personne au monde ne peut leur en vouloir.

Les apparitions de Bachar

Dans les conditions que nous avons vu (rassemblements où les syriens sont contraints de venir), il n’est pas étonnant de ne pas voir Bachar dans ces grandes manifestations où même lui doit douter de la sincérité de ses fans ! De fait, les apparitions de Bachar Al-Assad sont rarissimes.

– À Al-Raqqa, avec quelques centaines de syriens soigneusement choisis, sans compter la somme dépensée pour garantir l’absence de contestataires (lien). Depuis, la population d’Al-Raqqa a montré qu’elle soutenait la contestation (lien).

– À Damas, et contrairement à ce qu’ont voulu faire croire les caméras de télévisions syriennes et Bachar lui même, seuls quelques centaines de personnes étaient présentes! (cf. vidéo)

– À Baba Amr, où Bachar Al-Assad a fait une apparition surprise. Les homsiotes se sont étonnés de ne pas avoir été prévenus, ne serait-ce que quelques heures avant, afin de recevoir ce “président aimé”! Ils auraient pu lui dire ce qu’il se refuse à entendre depuis plus d’un an. Malgré tout, les caméras du régime ont dû interrompre la diffusion des images, puisque Bachar a essuyé quelques tirs. Et, là aussi, ceux qui forment la petite foule entourant Bachar Al-Assad sont des syriens choisis pour leur allégeance absolue et pour qui le mensonge est naturel.
À titre d’illustration, ces deux femmes qui témoignent une fois à Baba Amr (Homs) et une autre fois à l’autre bout de la ville, tout en prétendant être du quartier  (vidéo en français)

C’est un fait, Bachar ne peut se permettre d’apparaître au milieu du peuple syrien, car il sait pertinemment qu’une grande partie lui est hostile. Quand une partie du peuple est hostile au dirigeant, il ne suffit pas que celui-ci ait le soutien d’une autre partie du peuple pour qu’il soit légitime. Avis aux pro-Assad.

Manifs Pro-Assad et anti

Pour participer à une manifestation pro-Assad, rien n’est plus facile! Suivez, en toute sécurité, la foule qui se dirige vers une des grandes places de la ville, vous y trouverez des syriens chantant joyeusement sur des musiques “patriotiques”, à la gloire de Bachar. Ne vous inquiétez pas des hélicoptères dans le ciel, ils sont là pour capturer ce moment “historique” avec de beaux plans aériens. En plus de grossir les rangs des manifestants, les nombreux policiers civils et les chabihas sont là pour veiller sur votre sécurité, au cas où un syrien serait tenté, par pure traîtrise, de ne pas crier assez fort son amour pour Assad.
Employés et fonctionnaires auront été cordialement invités à exprimer leur soutien au dictateur, sous peine, entre autre, de perdre leur emploi, dans le meilleur des cas.

Participer à une manifestation anti-Assad est une tout autre histoire, faite de courage et bravoure. Dans les villes assiégées, la manifestation à laquelle vous assisterez sera celle de votre quartier. Le pouvoir, en les réprimant, a atomisé les manifestations des contestataires, qui ne rassemblent pas plus de plusieurs milliers de personnes, mais sur des centaines de points de rassemblement sur l’ensemble du pays

Avant de sortir, faites vos adieux à vos proches, vous risquez de ne pas rentrer. Arrivé au point de rendez-vous (petites ruelles pour éviter les tirs du régime, ou petite place dont l’accès est contrôlé par des membres de l’ASL), vous chanterez votre recherche de Liberté et Dignité, qui passent par la chute du régime criminel des Assad. Filmé par un téléphone portable, le monde sera témoin de votre courage quand il verra la vidéo sur Youtube ou les chaînes satellitaires. Vous ne passerez pas sur les médias syriens, sauf pour entendre dire que vous êtes un traitre ou que la vidéo a été tournée au Qatar! Par ailleurs, les tirs  des forces du régime vous obligeront à interrompre vos chants, et à chercher refuge avant qu’une balle ne vous atteigne. Attendez-vous enfin à des représailles destinées à punir les quartiers qui ont osé défier le régime : tirs aveugles, enlèvements, arrestations arbitraires, bombardement…
Ce qu’il faut de courage pour manifester contre le clan au pouvoir force le respect. Ce sont eux qui risquent leur vie et, pire encore, la torture syrienne. Ce sont eux qui nous font entendre un son de cloche différent des seuls slogans autorisés (et terriblement insipides…) entendus depuis des décennies. Ils sont LE CHANGEMENT.

Damas et Alep

Un mot sur Alep et Damas, les deux plus grandes villes de Syrie qui, d’après la propagande du régime, ne se sont pas soulevées. D’une part, comme nous l’avons vu, cet argument ne peut être acceptable tant qu’une répression terrible est promise aux contestataires. Il n’est pas difficile d’imaginer le genre de pression que le régime exerce sur la bourgeoisie alépine non seulement pour les dissuader de rejoindre la contestation, mais même pour aider le régime.

Il est pourtant évident que sans les services de sécurités postés partout, à chaque coin de rue, les syriens pourraient exprimer leur refus du système assadien.

A défaut, les alépins et damascènes montrent leur soutien à la Révolution par des actes symboliques (cf. vidéo) ainsi que des “moudhaharat tayyara”, des manifestations éclairs. Les syriens se retrouvent à un point de rendez-vous, manifestent pendant 10/15 minutes, avant de se disperser, ne laissant pas le temps aux milices du régime d’intervenir. A l’Université d’Alep, les étudiants manifestent même dans les escaliers…

D’autre part, comme le montre la vidéo, certains quartiers d’Alep et de Damas connaissent des manifestations assez importantes. Enfin, beaucoup de la classe moyenne de Damas et d’Alep ont dû partir vivre en banlieue suite à la hausse vertigineuse des loyers (hausse artificiel entretenue par la classe d’affairistes, dont le cousin de Bachar). En fait, une grande partie des damascènes vit en banlieue, et en banlieue, la contestation est extrêmement importante.

Et alors? – Quand une dictature use des arguments démocratiques

En dépit des différences qu’il y a entre les manifestations pro-Assad et anti-Assad, certains se plaisent encore à “compter” les soutiens à Bachar et la contestation sans jamais corriger les biais qui existent. Combien sont contraints à manifester pour Bachar, de peur de représailles? Combien sont avec le plus fort, et changeront aussi rapidement leur soutien qu’on change de veste (voir cet article qui montre que le régime n’est pas fort parce qu’il a des soutiens, mais qu’il a des soutiens parce qu’il est fort : lien)?

A l’inverse, combien aimeraient manifester avec les contestataires, mais ne peuvent les rejoindre physiquement, à cause des nombreux chekpoints? Combien aimeraient chanter avec eux, mais manquent de courage? Combien ne peuvent plus, parce qu’ils sont en exil, morts, ou pire, dans les prisons syriennes????

Sans surprise, les calculs des uns et des autres divergent largement. Nous ne nous risquerons pas à une quelconque estimation mais ferons remarquer que l’absence de consensus suffit comme preuve pour démontrer que la Syrie vit sous une dictature. Et c’est très certainement là le comble : quand bien même Bachar Al-Assad serait soutenu par 80% de la population, en quoi cela justifie-t-il qu’il réprime les 20% restants ? Qu’il bombarde des quartiers civils? Que la torture soit monnaie courante en Syrie? Que l’ont arrache des ongles à des enfants?

Il ne faudrait tout de même pas pousser l’argument démocratique trop loin.La contestation est suffisamment importante pour que Bachar, s’il était réellement patriotique, démissionne ; et que ses partisans le lui demandent, au lieu d’imposer leur « amour » au reste de la population. Malheureusement, les pro-Assad agissent comme de véritables petits dictateurs qui n’ont que faire du sort des autres syriens. En réalité, les pro-Assad n’ont pas leur mot à dire, ils ne savent que répéter la propagande du régime. Quand les a-t-on entendu exprimer une quelconque revendication au régime? Les pro-Assad savent pertinemment que le régime n’accepte aucunement les critiques et qu’il n’a besoin que de béni-oui-oui. A l’inverse, les anti-Assad ont un message qui leur est propre, ils influent du mieux qu’ils peuvent sur les différentes forces de l’opposition, et des désaccords existent entre eux… Les anti-Assad sont moteurs, les pro-Assad ne sont que de bruyants suiveurs.

Et pour être moteur, et facteur de changement pour la Syrie de demain, il existe de nombreux moyens. Manifester n’est que l’un d’entre eux. Beaucoup travaillent pour la Révolution sans participer aux manifestations, parce qu’ils considèrent qu’ils seront plus utiles ainsi.

La Révolution syrienne est une vraie révolution en cela qu’elle est l’oeuvre d’un pan important de la société syrienne, où chacun y contribue à sa manière : financement, récoltes de dons, sensibilisation et information, travail politique, aide aux blessés, défense des civils au sein de l’ASL, grèves, manifestations, etc.  Quant aux pro-Assad, ils disparaîtront de la scène syrienne en même temps que le régime qu’ils soutiennent. C’est la différence entre se battre pour une Syrie libre et digne, et la Syrie des Assad.

Finalement, il est difficile de trouver meilleur conclusion que ce qu’a chanté Al-Qachouch -que Dieu ait son âme- dans le chant révolutionnaire le plus connu des syriens (sauf de Bachar qui a dit ne pas connaître cet homme que ses chabihas ont pourtant tué) :
“Ya Bachar, toz fik, ou toz lali bi7ayyik!” soit :  ”Toi Bachar, je te dis prout à toi et à ceux qui te saluent!”

Source : http://syrianfacts.wordpress.com/2012/06/06/anti-et-pro-assad-sans-la-liberte-de-blamer-il-nest-pas-deloge-flatteur/#more-685