Après le 13-Novembre, les rebelles syriens craignent d’être abandonnés à leur sort – texte par Amara Makhoul-Yatim

Article  •  Publié sur Souria Houria le 29 novembre 2015

Depuis les frappes russes, les rebelles syriens sont en mauvaise posture. Et les attentats de Paris ont changé la donne : le départ de Bachar al-Assad, contre lequel ils luttent depuis quatre ans, ne semble plus être la priorité des Occidentaux.

Les rebelles syriens sont inquiets. Les attentats de Paris ont provoqué un virage de la diplomatie française et internationale. Ce qui était inenvisageable il y a quelques mois encore semble l’être aujourd’hui devenu : le chef de la diplomatie française, l’un des plus farouches opposants à Bachar al-Assad que compte l’Occident a laissé entendre vendredi 27 novembre que les forces du régime syrien pourraient être associées à la lutte contre l’Organisation de l’État islamique (EI).

© Zein Al-Rifai, AFP | Le drapeau adopté par les rebelles syriens au début du soulèvement.

Pour combattre l’EI, « il y a deux séries de mesures : les bombardements […] et des forces au sol, qui ne peuvent pas être les nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne libre [opposition], des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime et des Kurdes également », a déclaré Laurent Fabius sur la radio RTL, précisant toutefois que la participation des forces du régime devait se faire dans le cadre d’une transition politique.

« C’est d’ailleurs bien parce que nous aurons besoin d’une alliance entre toutes les forces qui, sur le terrain, veulent lutter contre Daech [autre appellation de l’organisation État islamique en arabe] que la transition politique à Damas est urgente et indispensable », a-t-il ajouté.

Former une grande coalition contre l’EI s’est donc désormais imposé comme l’objectif prioritaire de Paris depuis les attentats du 13 novembre. François Hollande s’est rendu à Moscou jeudi 26 novembre pour conclure une forme d’alliance avec la Russie, malgré les différends qui opposaient jusqu’ici les deux pays, notamment sur la question syrienne. Français et Russes ont convenu de « coordonner » leurs frappes contre l’EI et de renforcer leur « échange d’informations ».

Le départ de Bachar al-Assad relégué au second plan

La lutte contre l’EI a ainsi relégué au second plan le départ tant de fois réclamé de Bachar al-Assad. Pire, il n’est désormais plus évoqué comme préalable à toute solution au conflit par de nombreux Occidentaux. Certaines capitales européennes et arabes pensent même qu’il peut faire partie d’une éventuelle transition, au grand dam des opposants syriens et des rebelles non jihadistes qui se battent sur le terrain depuis plus de quatre ans à la fois contre les forces du régime et contre l’EI, dans un conflit sanglant qui a fait plus de 250 000 morts. Alors qu’ils pouvaient compter sur le soutien idéologique et matériel de l’Occident dans leur lutte contre Assad, désormais rien n’est moins sûr.

La rébellion syrienne est « dans une passe extrêmement difficile », observe François Burgat, directeur de recherches à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam) à Aix-en-Provence. « Les attentats de Paris accentuent une tendance déjà latente de l’opinion publique occidentale à faire l’amalgame entre les jihadistes et le reste de l’opposition, dont le caractère islamiste, mais non jihadiste, est indiscutable », remarque-t-il, n’hésitant pas à dire que « cette composante importante de la résistance syrienne, islamiste, mais néanmoins clairement républicaine, vit les pages les plus noires de son existence ».

L’intervention russe en Syrie, lancée il y a plus d’un mois, l’avait déjà mise en grande difficulté. Moscou se cachait à peine de prendre des positions rebelles pour cibles. Désespérés, certains ont même tenté de s’adresser directement aux forces russes. La correspondante de RFI en Jordanie rapporte ainsi qu’un groupe du Front du Sud, une brigade de l’Armée syrienne libre (ASL), a demandé à l’armée russe, de cesser de les bombarder, via une vidéo publiée sur YouTube, arguant qu’eux aussi luttaient contre le même ennemi : l’EI. Pour être sûrs d’être compris, ils avaient même prononcé leur message en russe.

Rendre le Front al-Nosra fréquentable

Même si Paris et Washington restent fermes sur leur position, refusant toute solution qui maintiendrait au pouvoir Bachar al-Assad, fournir un soutien en armes aux rebelles syriens devient de plus en plus problématique. A la suite des attentats de Paris, certains ont de nouveau dénoncé les livraisons faites par la France, laissant entendre que certaines de ces armes tombaient entre les mains du Front al-Nosra, devenu officiellement la branche syrienne d’Al-Qaïda depuis avril 2013. Dans un tel contexte, difficile pour les Occidentaux de déterminer qui soutenir, ou de savoir s’il reste encore des rebelles dits « modérés » en Syrie.

Signe des difficultés que rencontrent les rebelles, mais aussi de l’importance que prend Al-Nosra dans le conflit, le chef de la Coalition nationale syrienne, Khaled Khoja a lancé le 23 novembre un appel à l’organisation jihadiste, l’exhortant à rompre ses liens avec Al-Qaïda. « J’appelle les respectables révolutionnaires syriens dans ce groupe [Al-Nosra, NDLR] à revenir sous les étendards de la révolution syrienne afin d’épargner au pays de nouvelles destructions ».

 » Respectables révolutionnaires »… Des termes qui ont de quoi surprendre s’agissant d’une filière d’Al-Qaïda. « Le statut d’Al-Nosra est très paradoxal », observe François Burgat. « Il a un comportement sur le terrain, vis à vis de la population, qui en a fait, aux yeux de nombreux observateurs internationaux – y compris d’ailleurs, jusqu’à une date récente, le chef de la diplomatie française – un allié considéré comme fréquentable », poursuit-il.

Il se trouve qu’Al-Nosra est également l’une des principales composantes de « l’Armée de la conquête », un regroupement de diverses factions rebelles, qui a remporté plusieurs victoires dans le nord du pays au début de l’année 2015. La formation est considérée par de nombreux groupes rebelles comme un allié contre le régime de Bachar al-Assad car il se concentre sur la lutte armée et n’a pas cherché à établir un « califat », comme l’a fait l’EI en 2014 sur un territoire à cheval entre la Syrie et l’Irak. « Seule sa filiation historique avec Al-Qaïda empêche de l’associer aux efforts de l’opposition républicaine. Il n’est donc pas surprenant que le chef de cette opposition républicaine lui demande de faire cet effort de communication consistant à rompre avec sa ‘maison mère’, ce qui le rendrait acceptable par les soutiens arabes ou occidentaux », estime François Burgat.

Ainsi, si une issue au conflit sans Bachar al-Assad est envisagée, c’est sur la rébellion syrienne qu’il faudra prendre appui. « En revanche, si cette option du “sans Bachar” devait être mise en minorité sur la scène internationale, comme le réclament certaines voix, en France notamment, le destin de cette résistance syrienne s’assombrirait un peu plus encore », estime le chercheur.

source : http://www.france24.com/fr/20151127-syrie-rebelles-armee-syrienne-libre-asl-rebellion-nosra-jihadistes-ei-russie

date : 27/11/2015