Au Liban, les bébés de réfugiés syriens « n’existent pas » – par Chloé Domat

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 novembre 2015

Le pays du Cèdre ne reconnaissant pas le droit du sol, plus de 42 000 enfants nés de parents réfugiés syriens depuis 2011, sont sans papiers d’identité.

La procédure d’enregistrement des enfants est dissuasive. Apatrides, ils ne peuvent être inscrits à l’école, être admis à l’hôpital ou sortir du pays.

Fatmeh a le regard vide. Assise dans une pièce insalubre au cœur du bidonville de Sabra et Chatila, à Beyrouth, cette réfugiée syrienne passe ses journées à bercer ses jeunes enfants dans ses bras, en regardant d’un air distrait les plus grands qui jouent au loin dans les ordures.

Quand elle a traversé la frontière pour fuir les bombardements d’Idleb en Syrie, il y a trois ans, elle était enceinte de son sixième enfant. Depuis, une petite septième est née. Fatmeh les a appelés Aboudi et Safa. Mais aux yeux de la loi, ils n’existent pas.

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Au Liban, dans la ville d’Arsal, proche de la frontière avec la Syrie, ces femmes portant leurs bébés font la queue pour obtenir de l’aide. © MOHAMED AZAKIR / REUTERS

 

Ils sont plus de 60 000 enfants à être nés au Liban depuis 2011, de parents réfugiés syriens. Le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) estime que 70 % de ces naissances n’ont pas été enregistrées. Sans papiers d’identité, ce sont donc 42 000 enfants qui sont déjà, ou risquent de devenir, apatrides.

DES OBSTACLES DIFFICILEMENT SURMONTABLES

« Pour les réfugiés syriens, la procédure d’enregistrement des enfants est dissuasive », confirme Dana Sleiman, porte-parole du HCR. Car le Liban ne reconnaît pas le droit du sol. Les enfants nés de parents syriens sur son territoire ne pourront être que syriens. Mais il faudra pour cela franchir une série d’obstacles difficilement surmontables.

Tout d’abord, il faut que le père puisse reconnaître l’enfant, car dans les pays de la région, la nationalité se transmet par la lignée masculine. Hors exception, c’est inenvisageable quand il est resté en Syrie, par exemple pour combattre. Ou qu’il est mort.

Ensuite, la mère doit accoucher en présence d’une personne habilitée à délivrer un certificat de naissance : médecin ou sage-femme. Ce n’est pas toujours le cas. Beaucoup de femmes syriennes accouchent hors de toute structure médicalisée.

 

UNE PROCÉDURE TRÈS COMPLEXE

Si ces deux conditions sont réunies, les parents doivent suivre une procédure très complexe pour obtenir des papiers. Tout d’abord faire certifier dans les douze mois le certificat de naissance par les autorités locales, puis par le ministère de l’Intérieur libanais – ce qui garantit ad vitam aeternam la filiation et le droit à la nationalité.

> À lire : Au Liban, les Syriens veulent émigrer pour leurs enfants

Il faudra ensuite, sans obligation de délai, faire valider la démarche au ministère des affaires étrangères libanais, puis à l’ambassade de Syrie – ce que de nombreux réfugiés craignent de faire…

Fatmeh n’a pas réussi à aller au bout. « J’avais un certificat de naissance, mais ensuite les autorités m’ont demandé mes papiers d’identité et le livret de famille. Je les ai perdus alors ils n’ont pas voulu enregistrer mes enfants », se désole-t-elle.

C’est d’autant plus rageant qu’elle disposait d’un permis de séjour au Liban – ce qui n’est pas le cas de nombre de ses compatriotes. Notamment en raison du coût et des contraintes de la démarche : « Dans le cas des réfugiés enregistrés auprès du HCR, le permis de séjour coûte 200 dollars (180 €) par an et nécessite de présenter tous les six mois un document certifié d’un notaire libanais prouvant qu’ils ne travaillent pas », détaille Dana Sleiman.

NI ÉCOLE, NI HÔPITAL

Aboudi a maintenant 3 ans. Seule une décision de la justice syrienne, pourra peut-être, un jour, lui octroyer la nationalité syrienne moyennant des frais prohibitifs. En attendant, c’est comme s’il n’était jamais né. Il ne peut pas s’inscrire à l’école, ni être admis à l’hôpital. Il ne peut pas rentrer en Syrie ou voyager ailleurs. Plus tard, il n’aura pas accès à un emploi légal et si un jour il a des enfants, il leur transmettra son statut de fantôme…

« Ces enfants n’existent pas. Ils n’ont donc aucun droit, confirme Abir Abi Khalil, spécialiste de la protection de l’enfant à l’Unicef. Plus le temps passe et plus le risque de voir grandir une nouvelle génération d’apatrides est inquiétant. »

Car au Liban, la question des réfugiés syriens fait écho au précédent des Palestiniens installés dans le pays à la suite de la création de l’État d’Israël, qui ont fini, au fil du temps, par obtenir des papiers par les Nations unies.

 

UN SUJET DE CRISPATION POLITIQUE

Résultat, le cas des enfants syriens nés au Liban est devenu un sujet de crispations politiques. N’hésitant pas à parler de deux millions de réfugiés syriens dans son pays – ils sont 1,2 million selon le HCR –, le ministre des affaires étrangères libanais, Gebran Bassil, a déclaré en juillet dernier que l’enregistrement des nouveau-nés à « l’état civil est le signe précurseur (…) d’une implantation que nous rejetons dans le fond et dans la forme ».

En attendant, à Beyrouth, Fatmeh est inquiète. « Je veux retourner en Syrie dès que la situation se calmera. Mais sans papiers pour mes deux derniers enfants, que je vais faire d’eux ? »

source : http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Au-Liban-les-bebes-de-refugies-syriens-n-existent-pas-2015-11-03-1375984

date : 03/11/2015