Bachar Al Assad prêt à tout pour s’assurer le soutien de la communauté alaouite – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 novembre 2012

"Non au confessionnalisme"

Chacun à leur manière mais de façon complémentaire, les chabbiha et leur chef suprême, le chef de l’Etat syrien, viennent de donner raison au journaliste Maher Charafeddin. Interpellant Bachar Al Assad, suite à une interview à la chaine de télévision Russia Today au cours de laquelle celui-ci avait présenté la Syrie comme le « dernier bastion de la laïcité dans la région », il le mettait au défi de justifier un certain nombre de décisions et d’agissements, de lui-même et de ses partisans, profondément marqués de relents confessionnels. Il n’en attendait pas vraiment une réponse. Mais l’actualité vient de confirmer la réalité de ce qu’il dénonçait : loin d’être laïc, le régime syrien traite de manières différentes les diverses minorités, favorisant la communauté alaouite d’où sont issus les véritables décideurs, mais sanctionnant aussi avec une sévérité particulière ceux de ses membres qui se refusent à hurler avec les loups.

Le scénariste Fouad Hamira a tout d’abord révélé avoir reçu des menaces provenant de partisans du chef de l’Etat. La campagne avait été lancée par des soutiens du régime, qui s’étaient déchainés contre lui sur leur page Facebook après l’attentat de Mezzeh (5 novembre 2012), le qualifiant de « traitre » et de « provocateur ». Ils lui reprochaient d’avoir « inspiré » ces explosions. Quelques jours plus tôt (28 octobre), il avait adressé un appel aux membres de la communauté alaouite, à laquelle il est fier d’appartenir, pour les inviter à constater que, « si l’Armée syrienne libre avait voulu nous tuer, nous les alaouites, comme le régime ne cesse de le colporter, elle aurait utilisé contre nous ses mortiers lorsqu’elle était en situation de le faire ». Il n’entendait évidemment pas suggérer quoi que ce soit à l’ASL, mais inciter ses frères alaouites à ne pas tomber dans le piège de la division et de la guerre interconfessionnelle que leur tendait Bachar Al Assad.

Cela avait suffi pour provoquer l’ire des appareils de sécurité. Ils avaient lâché contre lui leurs chiens enragés, qui tournaient désormais autour de sa personne, de sa famille et de sa maison. La reprise sur Internet des mêmes accusations et des mêmes formules menaçantes par les menhebbakjis, les « adorateurs de Bachar », montrait qu’il s’agissait d’une campagne orchestrée d’en haut. Elle visait à susciter contre le scénariste la colère des hommes et des femmes de sa confession, et peut-être à provoquer son assassinat.

Suite à l’attentat du quartier de Mezzeh 86, qui avait été suivi le lendemain d’une triple explosion à Hay al Wouroud, autre quartier alaouite de la banlieue damascène,Fouad Hamira a de nouveau écrit sur sa page : « Je condamne et réprouve de la manière la plus ferme les attentats de Mezzeh, qui constituent des actes criminels ». Mais il a poursuivi, réprouvant le double standard en vigueur parmi les partisans du régime : « Vous avez été affectés dans vos sentiments humains par cet attentat. Mais où sont ces sentiments lorsque les avions de combat bombardent les environs de Damas, Idlib, Alep, Hama et Homs ? Pourquoi n’avons-nous pas entendu un seul mot de votre part condamnant le meurtre de civils à Baba Amer et à Treimseh, et les centaines de massacres commis ailleurs ? Serait-ce que, pour vous, votre sang est si précieux et le nôtre si insignifiant qu’il ne mérite aucune condamnation ? L’humanité, selon vous, se diviserait-elle en deux ? Et pourquoi pas en dix ? »

Il leur a donc enjoint de se prononcer contre tous les attentats, écrivant : « Voilà. J’ai condamné l’attentat de Mezzeh et dénoncé ceux qui l’ont planifié. C’est maintenant à votre tour. Allez-y, défenseurs de l’humanité, condamnez le massacre d’Idlib qui s’est déroulé hier. Dites au moins un mot en faveur des martyrs d’Idlib, de Damas et de ses environs, d’Alep et de ses alentours. Je ferai alors confiance à votre imposture et à votre hypocrisie. Vous serez bientôt contraints de prendre avec vous vos horreurs et de dégager. Mais attention : c’est une promesse. Ce n’est pas une menace ».

Maan Aqel

Signalons en passant que, selon le journaliste syrien Maan Aqel, qui est lui aussi alaouite et qui a été contraint à fuir son pays où sa vie et celle de ses proches étaient en danger, « l’attentat » de Mezzeh (40 morts et des dizaines de blessés) est loin d’avoir livré tous ses secrets. De sources propres, il écrivait, le 9 novembre, qu’en fait d’engin explosif, les dégâts humains et matériels paraissaient avoir été provoqués dans ce quartier par la chute d’un « obus de mortier, tiré intentionnellement ou par mégarde par l’armée régulière ». Il citait à ce propos des activistes qui « accusaient le régime d’avoir monté l’affaire de toute pièce, après l’apparition d’indices de mécontentement au sein de la communauté alaouite. Celle-ci était troublée par la multiplication du nombre des morts dans les rangs des combattants pro-régimes et par la constatation que les « gangs terroristes armés », auxquels le pouvoir imputait tous les meurtres, ne se livraient en réalité à leurs actions terroristes que loin des quartiers dont la fidélité lui était assurée »… Bizarrement, les pages électroniques qui avaient revendiqué l’opération de Mezzeh avaient été créées la veille de « l’attentat » et certaines d’entre elles avaient été clôturées le même jour. Ces détails laissaient suspecter une machination du régime, dont les médias avaient évidemment profité des circonstances pour renouveler leurs accusations contre les « bandes de terroristes radicaux ».

Si l’attentat de Mezzeh 86 est malgré tout le fait de rebelles, qu’ils appartiennent ou pas à l’Armée Syrienne Libre, on pourra y voir une opération de rétorsion contre le quartier alaouite réputé fournir au régime une partie importante des chabbihasévissant dans la capitale. Dans ce cas, d’autres quartiers peuplés de membres de cette communauté ont du souci à se faire, à commencer par Somariyeh. Edifié par Rifaat Al Assad pour héberger les membres de ses Brigades de défense, et baptisé du nom de son fils aîné, il vient d’être sécurisé par l’édification d’un « mur de la honte » de 3 mètres de haut, ainsi dénommé en référence à la « barrière de sécurité » édifiée par les Israéliens entre leur territoire et la Cisjordanie. Les forces du régime y ont entassé armes et munitions, et ils bombardent de là les quartiers voisins de Daraya, au sud-est, Al Moadamiyeh et Jdaydet Artouz, au sud-ouest.

A Hay al Wouroud, il en était allé autrement. Une voiture de location avait pénétré dans ce quartier, par la route venant d’Al Safsaf. Parvenu sur la place servant de point de départ aux taxis-services, son conducteur avait déclenché une bombe sonore. Deux minutes plus tard, alors que des civils s’étaient approchés pour voir de quoi il retournait, il avait fait exploser deux autres bombes, provoquant la mort de quelque 30 personnes et en blessant plus de 80, détruisant une quinzaine de voitures, sept magasins et une demi-douzaine de maisons. Laissant libre cours à leur colère, les chabbiha locaux avaient lancé une opération de représailles, établissant des postes de contrôle sur divers accès de la ville, arrêtant et parfois exécutant sur place ceux qui avaient eu le malheur de s’y présenter.

L’attentat de Hay al Wouroud peut être interprété comme un acte de vengeance. Il est en effet intervenu quelques semaines après l’opération menée contre Qoudsaya, par des militaires, des moukhabarat et des chabbiha, particulièrement nombreux dans ce quartier qui abrite les résidences d’officiers de haut rang et les logements des hommes de la Garde républicaine. Surtout, le square devant lequel la voiture a explosé était apparu, quelques mois plus tôt, sur une vidéo montrant des révolutionnaires battus à mort par des partisans du régime…

Wa’el Al Halqi

Un autre évènement confirme l’attention très particulière qu’apporte le régime à la communauté qui fournit à la fois les agents et les cadres de ses organes de répression. Suite à l’attentat de Mezzeh 86, le Premier ministre Wa’el Al Halqi n’a pas tardé à se rendre sur les lieux. Il était évidemment en « service commandé ». Le chef de gouvernement, qui est toujours sunnite en Syrie, n’est pas autorisé à prendre ce genre d’initiative, à l’articulation entre le politique, le social… et le sécuritaire. Il s’agissait en effet, pour ceux qui contrôlent ses activités et orientent ses déplacements, de rassurer les habitants du quartier, afin de prévenir de leur part un exode vers les zones pour le moment encore sûres de la côte syrienne. Une telle éventualité serait redoutable pour le régime. Elle lui ferait perdre les bras dont il a absolument besoin pour se maintenir en place, puisqu’il a renoncé, depuis le début de la révolution, à faire usage vis-à-vis de sa population d’autre chose que la force brutale et la coercition.

On ignore si la prévenance de Wa’el Al Halqi, qui n’a jamais effectué la moindre visite dans d’autres quartiers frappés par des attentats, même et y compris à Daraa d’où il est originaire, aura suffi à convaincre les habitants des lieux qu’ils bénéficieront, en restant sur place, de toute l’attention et de la protection du pouvoir. Un mouvement de repli a en effet été entamé, en direction du territoire qui s’étend de Tartous à Lattaquié, et le pouvoir aura des difficultés à y mettre un terme autrement qu’en recourant à la contrainte ou à la séduction par l’argent. Or les ressources de l’Etat sont en voie d’épuisement, comme celle des commerçants et des hommes d’affaires, contraints malgré eux à contribuer au financement des chabbiha. Et, pour être efficaces, les menaces doivent désormais être radicales.

Samer Ghanem

Le 4 novembre, l’avocat alaouite Samer Ghanem a été assassiné dans son bureau damascène. Fils d’un ancien détenu politique ayant passé dix ans dans les geôles du régime et membre du syndicat des avocats, il travaillait secrètement pour la révolution. Il aidait en particulier les jeunes manifestants arrêtés à sortir de prison. Son exécution a été revendiquée par la brigade des « Successeurs de Dieu sur terre », qui a affirmé sur sa page Internet que la victime faisait partie des chabbiha, rédigeait des rapports sur ses collègues avocats à l’intention des moukhabarat, et portait toujours sur lui un revolver. Mais une fois encore, la page revendiquant le crime n’est restée accessible que quelques heures, avant d’être fermée… Bref, pour ses amis, l’avocat a été victime du régime du fait de ses activités.

En liquidant des alaouites et en faisant porter la responsabilité de leur mort à des « terroristes islamistes », les agents du régime veulent effrayer les membres de leur communauté en leur présentant les sunnites comme des épouvantails. Mais, comme les chrétiens, les druzes et les ismaéliens, les alaouites savent désormais à quoi s’en tenir. Pour se protéger, en s’assurant leur fidélité, le pouvoir en place n’hésite donc à assassiner ni ceux qui refusent de se laisser gagner par la peur, ni ceux qui sont tentés de prendre avec lui leur distance.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/11/13/bachar-al-assad-pret-a-tout-pour-sassurer-le-soutien-de-la-communaute-alaouite/

date : 13/11/2012