Ce que Bachar el-Assad n’a pas dit aux médias français…par Anthony SAMRANI

Article  •  Publié sur Souria Houria le 10 janvier 2017

Le président syrien Bachar el-Assad accordant un entretien à RTL, LCP et France Info à Damas dimanche. Photo AFP/SANA

 

DÉCRYPTAGE

Une dissection des propos du président syrien est nécessaire pour éviter d’alimenter les théories complotistes.

Anthony SAMRANI | OLJ10/01/2017

 

Il est désormais rompu à l’exercice. À chaque fois qu’un média occidental se présente face à lui, Bachar el-Assad répète le même numéro : il soigne son image, met son plus beau costume, prend un ton sobre et calme et répète les mêmes propos. Le dernier entretien en date, qu’il a accordé à RTL, LCP et France Info, dans le cadre de la visite de trois députés français à Damas, ne déroge pas à la règle. Le président syrien qualifie ses adversaires de terroristes, explique que ses troupes ont libéré la ville d’Alep et rappelle son intention – à terme – de reconquérir toute la Syrie. Le raïs sent que le vent diplomatique est en train de tourner en sa faveur, en témoigne sa main tendue au président élu Donald Trump et au candidat de la droite française François Fillon, et cherche à en profiter. C’est de bonne guerre : la propagande est sans doute sa meilleure arme. Mais cela pose sérieusement la question de l’intérêt de lui accorder une telle tribune. Ou de la meilleure façon de le faire, tout en sachant que le président syrien distille les mêmes éléments de propagande depuis maintenant plus de cinq ans.

Le conflit syrien est au cœur de l’actualité internationale et Bachar el-Assad en est le point névralgique. Vouloir recueillir ses propos, surtout après la bataille d’Alep, est tout à fait légitime sur un plan journalistique. Mais à condition de les contextualiser, de les décrypter et de rappeler tout ce qu’il n’a pas dit. À défaut de quoi les médias alimentent une vision complotiste du conflit, à un moment où ces théories sont particulièrement en vogue. Dans l’entretien en question, le président syrien encourage d’ailleurs les lecteurs français à se méfier des informations rapportées par les médias : « Je voudrais dire au peuple français que les médias principaux ont échoué dans la majorité des pays occidentaux et que la réalité avait contredit leurs histoires. Il y a des médias alternatifs par le biais desquels tout citoyen français peut chercher la réalité. »
Retour sur les principaux propos tenus par le président syrien durant le dernier entretien. Et décryptage de la propagande assadiste.

(Lire aussi : Le discours de Fillon est le « bienvenu », déclare Assad)

« Toutes les guerres provoquent des destructions, toutes les guerres provoquent des morts. (…) Vous ne pouvez pas dire qu’une guerre est bonne. Même si elle a lieu pour de bonnes raisons, pour défendre votre pays, ce n’est pas la solution. »
« C’est la guerre », dit en somme le président syrien pour se dédouaner de ses responsabilités. Mais même la guerre est soumise au respect de certaines règles, ce que Bachar el-Assad fait mine d’oublier. Les belligérants doivent normalement faire la distinction entre les civils et les combattants et ne pas cibler volontairement les premiers. Ils ne doivent pas utiliser certaines armes comme les bombes à sous-munitions, les barils d’explosifs, ou les armes chimiques. Bachar el-Assad et ses parrains russes et iraniens ont volontairement visé des hôpitaux, des écoles, des marchés publics, et ont utilisé toutes les méthodes possibles pour venir à bout de leurs opposants. Le président syrien a toujours, contrairement à ce qu’il dit, estimé que la guerre était la meilleure solution pour préserver son pouvoir. En témoigne son non-respect de chacun des cessez-le-feu depuis le début du conflit qui a fait plus de
300 000 morts et au moins 100 000 disparus. Bombarder sans discrimination sa propre population pour régler un problème politique n’est d’ailleurs pas vraiment la meilleure façon de « défendre son pays ».

« La question est la suivante : comment peut-on libérer les civils dans ces zones des terroristes ? Est-ce qu’il vaut mieux les laisser sous leur contrôle et leur oppression et les laisser à un sort qui sera déterminé par les terroristes par le biais de la décapitation et du meurtre à l’ombre de l’absence de l’État ? »
Le président syrien cherche à légitimer sa guerre selon une vieille méthode qui a déjà porté ses fruits : elle consiste à qualifier tous ses adversaires de terroristes et de présenter ses opérations militaires comme une guerre de libération. M. Assad ne précise toutefois pas ce qu’il entend par « terroristes ». Des groupes islamistes qui prétendent se battre au nom de Dieu et qui n’adhèrent pas aux valeurs démocratiques ? Si tel est le cas, la définition pourrait en effet correspondre à une partie des forces rebelles. Mais elle correspond également aux milices chiites, libanaises, afghanes, irakiennes et pakistanaises, encadrées par les pasdarans, qui lui ont permis de « libérer » Alep. Le président syrien est, bien sûr, beaucoup moins éloquent à ce sujet.

(Pour mémoire : Trois députés français en Syrie pour le Noël arménien et une « probable » rencontre avec Assad)

Le terme « libération » est tout aussi sujet à critique. Comment parler de libération quand des dizaines de milliers de civils, selon les estimations les plus basses, ont dû fuir, devant l’offensive du régime et de ses alliés à Alep ? Comment parler de « libération » quand une partie de la ville multimillénaire a été transformée en un cimetière à ciel ouvert ? Les images des dizaines de bus verts remplis de civils quittant les quartiers orientaux d’Alep ne sont pas vraiment celles d’une ville libérée. Cela n’empêche pas qu’une partie, difficilement estimable, des habitants d’Alep-Ouest aient pu vivre cet épilogue comme une libération. Et cela ne dédouane pas non plus une partie des forces rebelles de leur comportement vis-à-vis des populations civiles dans les quartiers orientaux.

« Tout est permis lorsqu’on parle des négociations sur l’arrêt du conflit en Syrie ou sur l’avenir de la Syrie. Il n’y a pas de limites à ces négociations. Mais, on ne sait pas jusqu’à présent quelle sera l’autre partie. Est-ce qu’il y aura une opposition syrienne réelle qui a des bases populaires en Syrie ? Il faut qu’il y ait une opposition syrienne pour examiner les questions syriennes, car le succès de cette conférence dépend de ce point. »
Une fois de plus, le président syrien cherche à décrédibiliser l’opposition politique et l’accuse d’être responsable de la non-avancée des négociations. Depuis le début du conflit, même dans les moments où il était au plus mal, M. Assad a pourtant toujours refusé de négocier quoi que ce soit avec cette même opposition. Le succès de la conférence d’Astana repose en fait essentiellement sur un point : la capacité des Russes et des Iraniens à forcer M. Assad à accepter un compromis politique avec l’opposition.

« Si je sens que le peuple syrien ne me veut pas, je ne serai plus président. Donc la question ne dépend pas de moi d’une manière principale, mais du peuple syrien qui me veut ou pas. »
M. Assad n’aurait pas pu rester au pouvoir s’il ne pouvait pas s’appuyer sur le soutien, ou sur la passivité, d’une partie de la population syrienne. Mais après des mois de manifestations pacifiques réclamant son départ, presque six ans de conflit, et avec plus de la moitié de la population syrienne constituée de déplacés internes ou de réfugiés, il est difficile de croire que la majorité du peuple syrien « veut » M. Assad. Ce peuple syrien n’ayant jamais été consulté démocratiquement depuis que Hafez el-Assad, le père du président actuel, a pris le pouvoir en 1970, les propos du président en place peuvent de toute façon difficilement être vérifiés.