Chronique du délitement. 5 / Damas réplique à une agression israélienne… en bombardant un car en Syrie – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 2 février 2013

Quoi qu’en dise Bachar Al Assad, les choses peu à peu se gâtent pour lui. Pour reculer l’échéance et prévenir la débandade, il veille à dissimuler les failles et les faiblesses de son régime. Ce sont elles qui font l’objet de ces chroniques. Elles sont destinées à soutenir ceux qui souffrent et perdent patience et à montrer que leur victoire est inéluctable. Le chef de l’Etat continuera à manoeuvrer, à mentir et à tuer, puisque c’est ce qu’il sait faire. Mais il ne pourra rétablir avec l’ensemble des Syriens les relations qu’il n’aurait jamais perdues s’il avait accepté d’entendre les cris des jeunes, des femmes et des hommes, qui sont sortis dans les rues, en mars 2011, pour réclamer le respect, la justice et la liberté auxquels ils avaient droit, mais dont ils avaient été privés par son père et lui-même durant près de 50 ans.

Précédemment mis en ligne :
– Syrie. Chroniques du délitement du régime
– 1 / La famille Al Assad entame son auto-nettoyage
– 2 / Règlement de comptes à Qardaha, antre de la famille Al Assad
– 3 / L’armée syrienne, colosse aux pieds d’argile
– 4 / Dans la famille Al Assad, après la fille, la mère…

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Le site syrien d’information en ligne Kullu-nâ Churakâ / All4Syria, se moque de la célérité tout à fait inhabituelle avec laquelle l’armée syrienne a « répliqué » ce jour à une agression aérienne israélienne, qui avait pris pour cible, le 30 janvier à l’aube, le site du Centre d’Etudes et de Recherches Scientifiques de Jamraya.

Emplacement du CERS à Jamraya

Selon les autorités militaires syriennes, des appareils israéliens avaient attaqué ce Centre dépendant du ministère de la Défense. Dédié aux recherches dans les domaines chimique, biologique, nucléaire et balistique, le CERS dispose de multiples implantations en Syrie. Celui de Jamraya est situés en bordure de la voie rapide qui, contournant Damas par le nord, rejoint près d’Al Hameh l’ancienne route de Beyrouth. Ses activités, sans être anodines, ne méritaient pas un tel traitement, puisqu’il s’agissait – aux dires de ces mêmes autorités – d’un « centre de recherche sur l’amélioration de la résistance et l’auto-défense »… Selon la logorrhée officielle, cet acte de malveillance n’étonnait pas de la part d’un Etat « ayant épuisé, en collaboration avec les pays hostiles au peuple syrien, tous les agents dont il disposait à l’intérieur de la Syrie ». Il s’agissait évidemment d’une « tentative visant à affaiblir le rôle de Damas dans le soutien à la résistance et aux droits légitimes dans la région ». Le recours aux avions de guerre n’était que « le prolongement des opérations menées au sol, depuis près de deux ans, par des gangs armés et des mouvements obscurantistes, qui s’acharnaient contre les bases et les moyens de défense anti-aériens du pays ».

L’affirmation que la plupart de ces sites avaient échappé aux entreprises des terroristes permettait de leur imputer implicitement l’incapacité une nouvelle fois manifestée par les forces armées syriennes à s’opposer à une agression israélienne. Un autre élément avait joué en défaveur de la défense anti-aérienne : l’attaque avait été « menée à très basse altitude par des appareils qui avaient pénétré au-dessus du territoire syrien en provenance du Mont Hermon ». Le communiqué militaire déniait en revanche toute réalité à « l’attaque d’une colonne se dirigeant de la Syrie vers le Liban », présentée par plusieurs médias comme l’objectif du raid. Les Israéliens avaient en effet menacé, deux jours plus tôt, d’intervenir militairement au cas où les Syriens s’aviseraient de procéder à un déplacement de certains de leurs matériels.

Prétendant se référer à une « source militaire », un partisan du régime a aussitôt prétendu sur sa page Facebook que « le commandement avait ordonné de ne pas s’opposer aux appareils israéliens, afin de pouvoir observer les mouvements des terroristes sur le terrain et de leur tendre un piège ». Celui-ci avait bien fonctionné et « la mission s’était terminée avec succès »… Effectivement, renonçant pour une fois à son « droit de répondre à cette agression au moment opportun par tous les moyens appropriés », un refrain utilisé depuis des années pour justifier son inaction face à un adversaire autrement plus puissant que le Liban, l’armée syrienne a riposté là où ne l’attendait pas : des avions de guerre ont attaqué, jeudi 31 janvier au matin, un car de tourisme qui faisait route… non pas de Tel Aviv, mais de Hassakeh à Beyrouth, via Damas. En fait de terroristes, le véhicule n’avait à son bord que des membres de la communauté chrétienne assyrienne. Une jeune fille avait été tuée et la plupart des autres voyageurs blessés plus ou moins grièvement.

Rapportés par le même site, les récits des témoins oculaires confirment que les moyens anti-aériens syriens sont restés silencieux tout au long du raid. Ils avaient d’abord pensé que les avions de guerre qui survolaient le secteur appartenaient à leur glorieuse armée nationale. Ils avaient imaginé qu’ils avaient pour mission de détruire des bases de l’Armée Syrienne Libre. Ils avaient attribué la chute du premier missile sur le CERS à une erreur de tir, mais ils avaient rapidement compris de quoi il s’agissait, en voyant une dizaine d’autres projectiles s’abattre au même endroit. Le premier avait fait un tel bruit qu’ils avaient pensé avoir à faire à une bombe atomique. Il avait provoqué des dégâts considérables et détruit la plupart des bâtiments du site.

Ils avaient aussi noté, avec une certaine surprise, que les unités militaires situées à proximité observaient le raid comme s’il ne les concernait pas. Quand ils s’en étaient ouverts à un officier, celui-ci leur avait répondu que « les rebelles armés avaient planifié une attaque du Centre, en croyant que des éléments du Hizbollah s’y trouvaient. Les avions étaient en train de tirer sur eux afin de les empêcher d’y pénétrer »…

Un autre témoin a indiqué que les victimes étaient certainement beaucoup plus nombreuses que les deux morts et les trois blessés rapportés par le régime. Le Centre accueillait continuellement plus de 200 experts, techniciens et travailleurs.

All4Syria conclut en observant que, « si le CERS, qui a pour mission de l’aveu même des responsables militaires syriens de hausser le niveau de résistance et d’auto-défense de la Syrie, n’est pas capable de se protéger mieux qu’il l’a fait, on peut légitimement se demander ce qu’il en est du reste du pays ».

Encore une fois, l’armée syrienne a démontré, en courbant l’échine pour prévenir une escalade dangereuse pour elle, pour ses chefs et pour le régime, qu’elle n’est au service ni du peuple, ni du pays qu’elle est censée protéger, mais du seul pouvoir en place. Alors qu’elle utilise la totalité de ses moyens pour réprimer le soulèvement, sanctionner la population, détruire villes et quartiers et ravager les infrastructures économiques des zones échappant désormais à son contrôle, elle a également confirmé la justesse du slogan si souvent énoncé à son endroit : « Une bête fauve contre moi, mais face à l’ennemi une autruche »…

Dernier indice que les militaires à la solde du pouvoir ont commencé à liquider les stocks en prévision d’une possible fermeture, le quotidien saoudien Al Watan révèle, ce même 31 janvier, de sources informées dans les rangs de l’opposition syrienne, que, au cours de l’année 2012, « la direction syrienne a transféré au Hizbollah d’importantes quantités d’armes chimiques« . Il s’agissait principalement de gaz moutarde. Le transport avait été effectué « sous la supervision d’officiers totalement dévoués à Bachar Al Assad ». Parmi les matériels livrés figuraient aussi des missiles de 300 km de portée. Prélevé dans les dépôts de l’unité d’Abou Chamat, le gaz avait été acheminé au Liban, via Zabadani et Sarghaya, dans des barils de couleur bleu sur lesquels était indiqué « acide chlorhydrique ». Le réceptionniste, au sein du Parti de Dieu, était un certain Abou Talal. Les responsables syriens de l’acheminement étaient le général Ghassan Abbas, détaché au CERS pour superviser les programmes d’armes chimiques et en particulier le « projet 415 », le général Ali Wannouch, qui répartissait son temps entre le CERS et le 105ème régiment, le lieutenant-colonel de la Garde Républicaine Zouheïr Haydar, qui avait l’oeil sur les activités du CERS, et le général Abdel-Halim Sleiman, officier de sécurité du CERS.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2013/01/31/chronique-du-delitement-5-damas-replique-a-une-agression-israelienne-en-bombardant-un-car-en-syrie/

date : 31/01/2013