Comité Syrie-Europe, après Alep: bulletin d’information n°4 Avril 2018

Article  •  Publié sur Souria Houria le 5 mai 2018

Syrie : Un printemps meurtrier
BULLETIN D’INFORMATION N°4 D’AVRIL 2018

Communiqué du Comité Syrie-Europe, après Alep, rédigé au lendemain des frappes en Syrie effectuées par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France dans la nuit du 13 au 14 avril 2018.

En l’état actuel des informations, des frappes significatives, mesurées et ciblées ont été effectuées en Syrie par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France dans la nuit du 13 au 14 avril 2018, visant des objectifs militaires vidés au préalable de leurs habitants : des centres militaires et industriels de fabrication d’armes chimiques. Parmi les sites ciblés : la brigade 105 de la garde républicaine près de Damas, l’aéroport militaire d’Al-Mazzeh à Damas, l’aéroport militaire d’Al-Dumeir à l’est de Damas, le centre de recherche CERS de Barzeh à Damas, le centre de recherche CERS de Jomrayah près de Damas, le site de fabrication et de stockage d’armes chimiques dans la province de Homs, le site de prolifération de Masyaf dans la province de Hama.
Aux dernières nouvelles, les alliés du pouvoir syrien ont été prévenus et il n’y a pas de pertes en vies humaines. Le Comité salue ces frappes qui défendent des engagements vitaux du droit international.
Depuis le début du conflit, le régime syrien a mené 214 attaques chimiques, dont onze après l’attentat de Khan Cheikhoun, sans aucune sanction. Il fallait bien que la violation de la « ligne rouge » soit enfin sanctionnée : cela clarifie les positions. On a connu en 2013 le désastre moral et politique d’une ligne rouge brandie avec fierté en amont et sournoisement oubliée en aval : le trait rouge devient alors fossé rempli de sang et la laideur des promesses trahies enfonce les victimes dans le désespoir et la solitude.
Le Comité tient néanmoins à souligner l’effet pervers du dessin d’une « ligne rouge », c’est-à- dire la permission tacite en amont et en aval de commettre tous les crimes pensables contre les populations civiles, excepté ceux qui sont dessinés en rouge…

A la suite de cette opération, le Comité demande :
 l’exclusion aérienne au-dessus des régions encore menacées par des frappes du régime, comme à Idlib et Hama.
 l’ouverture de couloirs humanitaires, dans toutes les régions martyrisées, sécurisés par des forces internationales (mais ni russes ni iraniennes ni syriennes).
 l’arrêt immédiat des fonds internationaux pour la reconstruction (Europe, ONU, ONG) versés au pouvoir syrien, principal destructeur des sites et cités et exterminateur de sa propre population, et le versement de l’aide humanitaire aux victimes elles-mêmes par l’intermédiaire d’ONG impartiales et reconnues internationalement comme fiables (Amnesty international, Human Rights Watch, Médecins du monde, Médecins sans frontières …)

 la condamnation au plus haut niveau des crimes de guerre et crimes contre l’humanité du pouvoir syrien et de ses complices, avec les conséquences diplomatiques et économiques liées à cette condamnation : gel des avoirs bancaires, fin des accords économiques, mise au ban de la communauté internationale, etc.

Sommaire
I- Résistance et société civile à Idlib
II- Les zones de désescalade qui alimentent la guerre
III- La situation diplomatique, militaire et humanitaire

I-Résistance et société civile, le cas d’Idlib

A- La société civile syrienne en première ligne

La région d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie était peuplée d’1,3 millions d’habitants avant- guerre (évaluation 2010). Elle accueille aujourd’hui un grand nombre de déplacés de l’intérieur estimés à 700 000 personnes par certaines sources. Elle est dominée par les djihadistes. Mais la résistance prend de nombreuses formes et les structures civiles apparaissent comme une arme efficace dans la lutte contre le terrorisme. Haid Haid, chercheur syrien, qui travaille entre autres pour le groupe d’études britannique Chattam House, a publié plusieurs travaux sur ce thème. Dans l’étude exhaustive à laquelle renvoie le site Adopt a revolution, sous le titre Combattre les djihadistes avec des armes inhabituelles, il détaille les tactiques utilisées par les groupes de la société civile pour résister au groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-front al-Nosra, ancienne branche syrienne d’Al-Qaida, en les comparant à celles qui étaient utilisées contre Daech [acronyme arabe du groupe État islamique, EI] et contre le régime d’Assad. Ces tactiques subtiles nécessitent une meilleure connaissance. Les structures civiles à Idlib sont multiples et ceux qui travaillent à les renforcer attaquent le terrorisme non pas comme un symptôme, mais à ses racines mêmes, alors que le régime lui ne fait que le renforcer.

Civil society resistance against extremism


L’analyse montre que si la volonté politique existe, les stratégies non-violentes de transformation de conflits pourraient au moins servir à contenir l’expansion des milices extrémistes.
La journaliste allemande Kristin Helberg reprend à son compte les conclusions de Haïd Haïd (et jusqu’au titre de son étude !) dans un article de janvier 2018 pour le magazine en ligne Qantara.de. La coopération entre les autorités locales, les organisations non gouvernementales et les associations de femmes est primordiale. Ceux qui veulent combattre les djihadistes doivent offrir une meilleure alternative, souligne-t- elle à son tour, dans les domaines clés de l’éducation, du travail et des soins médicaux.

https://en.qantara.de/content/civil-war- in-syria- fighting-the- jihadists-with- unusual-weapons

B- Comment la ville d’Atarib l’a emporté contre Daech

Selon Haïd Haïd, la stratégie pour vaincre Daech – et les autres groupes extrémistes similaires – ne peut réussir que si elle est entreprise en coopération avec les communautés locales pour identifier et résoudre les problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels profondément enracinés qui ont permis à ces groupes radicaux d’exister et de s’épanouir. Ainsi la communauté locale d’Atarib, dont Haïd Haïd est originaire, fut en mesure d’élaborer ses propres solutions. Dans un article confié à Middle East Eye, le chercheur indique que, après l’expulsion de Daech, un processus de réconciliation pour intégrer les combattants locaux a pu commencer. Trois ans plus tard, Atarib est toujours sous le contrôle de la rébellion démocratique.
http://www.middleeasteye.net/essays/how-my- syrian-hometown- fought-islamic- state-and-
won-2083666410
Déjà, en 2017, Haïd Haïd avait mis en garde sur le fait que la défaite militaire de l’EI risquait de profiter à al-Nosra, alors en mesure d’exploiter le vide laissé par l’effondrement de son rival. Afin que les progrès réalisés par la Coalition militaire internationale perdurent, il est essentiel d’engager les communautés locales dans le processus et de forger une stratégie globale qui tienne compte des dynamiques communautaires spécifiques et fasse de la protection des civils une priorité.
https://www.chathamhouse.org/publication/local-community- resistance-extremist- groups-
syria-lessons- atarib

C- Le secteur médical doit continuer d’échapper aux groupes armés
Hasan Arfeh, le responsable des médias pour la Société médicale syro-américaine (SAMS), basée en Turquie, rappelle, début mars, l’opposition des ONG humanitaires syriennes de la région d’Idlib à toute interférence des groupes armés – notamment le groupe HTS – dans leurs actions. La vigilance incombera en grande partie à l’opposition syrienne et aux Conseils locaux de coordination jusqu’à la fin des batailles en cours. Personne ne sait encore qui contrôlera ces zones et quelle sera leur orientation.
http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/sawa-id- al-khair- interferes-with-
humanitarian-work- in-idlib …

D- La guerre des récits
Avant le septième anniversaire de la révolution, début 2018, la journaliste Mina Al-Oraibi abordait un autre « front », celui de l’écriture de l’histoire de la guerre. Mettant en garde sur le risque qu’elle ne soit réécrite par ceux qui ont imposé leur puissance militaire, elle insiste sur l’importance de bien documenter et relater les faits. Nous ne pouvons pas, souligne-t- elle, laisser 1,5 million de civils syriens être exterminés en tant que « terroristes ». Médias sociaux et témoignages ont contribué à faire connaître la réalité vécue par les Syriens. Mais ces récits sont fragiles comme la version de la guerre émanant de l’opposition, sans cesse en butte au négationnisme du régime.
https://www.thenational.ae/opinion/comment/the-story- of-idlib- is-being- rewritten-by- the-
syrian-regime- but-facts- matter-1.693849

E- « La révolution syrienne est toujours vivante », estimait Jawad Abu Hatab, le Premier ministre du gouvernement de transition syrien, dans une interview publiée par Le Figaro à la mi-février : il existe encore 350 Conseils locaux à travers le pays qui incarnent les valeurs de la révolution. Nous avons quelques 23.000 étudiants qui suivent notre cursus et supervisons 3200 écoles à travers le pays. Nous comptons aussi sur la protection de 150.000 combattants rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL). Les forces extrémistes sont minoritaires, et nous sommes déterminés à les combattre jusqu’au bout.
#syrie http://www.lefigaro.fr/international/2018/02/12/01003-20180212ARTFIG00169- jawad-
abu-hatab- la-revolution- syrienne-est- toujours-vivante.php …

F-« Les civils syriens ne veulent pas laisser mourir les idéaux de la révolution », écrit, à la même période, Bahia Mardini, journaliste et militante des droits de l’homme, réfugiée en Angleterre. Elle constate que les résidents d’Idlib continuent à se réunir, et de plus en plus ils n’hésitent pas à le faire publiquement, pour rejeter les extrémistes. À ses yeux, c’est la preuve que l’extrémisme peut être vaincu de l’intérieur. Le fait que les militants d’Idlib ont continué à rejeter ceux qui les oppriment et défendent la liberté et les valeurs démocratiques est étonnant à bien des égards. La révolution a commencé par un simple appel à la démocratie et, sept ans après, les Syriens ordinaires y croient encore. « Pour des gens
comme moi qui ont milité pour le changement pendant tant d’années, conclut-elle, nous n’abandonnerons pas tant que les civils ne seront pas en sécurité. La dernière chose que ces gens veulent ou méritent est la spirale de la violence. C’est pourquoi la sauvegarde la vie des civils innocents doit continuer à être notre priorité. C’est aussi pourquoi la démocratie doit rester l’objectif ultime pour quiconque se soucie de la Syrie. »
https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2018/02/idlib- syrian-civilians- refuse-let-
ideals-revolution- die …,
Le reportage réalisé à Sarakeb par Majid Al Halabi sur la collaboration entre les résidents et les combattants rebelles afin de préparer la ville contre les offensives du régime va dans le même sens :« Ce qui se passe maintenant ici restitue à la révolution ce qu’elle avait perdu » fait valoir l’un des habitants.
http://syrianobserver.com/EN/Features/33807

Toutes ces contributions – reportages, études, témoignages – convergent vers la même certitude : « nous ne pouvons pas abandonner ». La journaliste et activiste Ameena Sawsan en est intimement convaincue. « Tout ce que nous pouvons faire contre cette barbarie compte, même les toutes petites choses. Qu’il s’agisse d’essayer d’alléger la crise humanitaire ou de faire en sorte qu’il y ait un tribunal capable de juger les crimes commis en Syrie, nous serons un jour fiers du fait que nous n’avons pas abandonné ». « Même si Assad gagne la guerre, il n’y a que nous qui pouvons gagner la paix. »
https://www.adoptrevolution.org/en/only-we- can-bring- peace-to- syria/

Enfin, une étude émanant du laboratoire d’idées International Crisis Group Comment prévenir un désastre dans la région d’Idlib propose des idées concrètes d’alternatives possibles dans les mois à venir afin de renforcer l’opposition modérée, contribuer à limiter l‘influence des groupes radicaux, éloigner la menace du régime et de ses alliés et éviter ainsi la catastrophe humanitaire qui se prépare.
https://www.crisisgroup.org/middle-east- north-africa/eastern- mediterranean/syria/b56-
averting-disaster- syrias-idlib- province

À lire également
– Le sort d’Idlib et de ses djihadistes dicté par la stratégie d’Ankara
http://www.liberation.fr/planete/2018/03/29/syrie-le- sort-d- idleb-et- de-ses- jihadistes-dicte- par-
la-strategie- d-ankara_1639777 …
– L’Observatoire syrien des droits de l’homme confirme que l’escalade des frappes aériennes
se poursuit dans la campagne d’Idlib et de Hama.
http://www.syriahr.com/en/?p=88469

II- Les zones de désescalade qui alimentent la guerre

A- Mohammed Alaa Ghanem, universitaire et activiste des droits de l’homme, s’interroge sur la perversion de « cessez le feu » qu’Assad et ses alliés ont instrumentalisés. Les prétendues « zones de désescalade » et « zones de gel des combats » n’ont finalement servi qu’à engranger de nouveaux gains militaires et à poursuivre la politique de changement démographique en augmentant encore un peu plus la souffrance des civils.
Premièrement, les cessez-le- feu locaux permettent aux forces du régime de ne pas se disperser sur tous les fronts à la fois et de palier la faiblesse du régime. Les zones de désescalade constituent en réalité une série de cessez-le- feu locaux déconnectés les uns des autres, permettant au régime de redéployer des combattants de tout le pays sur un site spécifique.
Une des raisons pour lesquelles l’assaut de la Ghouta par le régime est si dévastateur, écrit- il en mars avant la reddition des derniers bastions, est qu’il est mené par des milices de la Force du Tigre, unité d’élite du nord de la Syrie, des combattants tribaux favorables au régime originaire de l’Est, et des unités de la quatrième division du régime.
Deuxièmement, les cessez-le- feu locaux ont souvent un effet négatif qui s’aggrave progressivement : en figeant les sièges, ils réduisent les capacités à repousser les assauts futurs. Les populations assiégées ne disposent pratiquement d’aucun levier d’action propre.
Troisièmement, les cessez-le- feu locaux paralysent la communauté internationale et introduisent une illusion de progrès alors qu’en réalité ils permettent des attaques féroces contre les civils.
Le régime d’Assad a montré à maintes reprises qu’il considère les cessez-le- feu comme des outils militaires et non comme un pas vers la paix. Un futur cessez-le- feu, sans garder cela à l’esprit, n’est qu’une invitation à la capitulation des populations civiles, et ne fera que pousser le président Assad, la Russie et l’Iran à poursuivre leur stratégie brutale.
https://syria.chathamhouse.org/research/stop-falling- for-assads- bogus-ceasefires
Le dernier rapport de l’ONG Siege Watch documente aussi cette instrumentalisation des zones de désescalade.
https://siegewatch.org/wp-content/uploads/2015/10/pax- tsi-siegewatch- 9.pdf

B- La campagne de terreur du régime syrien
Natasha Hall, analyste indépendante spécialisée dans les crises humanitaires, résume dans l’article ci-dessous la campagne de terreur que le régime syrien exerce sur la population en utilisant tous les moyens, y compris les armes chimiques. Elle explique comment le gaz au chlore (qui ne fait pas lui même l’objet d’une interdiction comme le sarin) fait partie de cet arsenal et devient une arme létale.
« Il y a eu au moins 198 attaques au chlore en Syrie depuis 2012, dont huit depuis le début de 2018, selon la Société médicale syro-américaine (SAMS). Plus récemment, une attaque à la roquette dans la ville de Hammoria le 4 mars émis des substances irritantes. Bien que l’attaque ait été confirmée comme n’étant pas du chlore, elle a terrifié les civils et conduit à l’évacuation de dizaines de personnes. Le gaz au chlore tue rarement parce qu’il se disperse rapidement, mais parce qu’il est plus lourd que l’air, il se répand dans les tranchées et les caves. Les civils n’ont généralement pas de masques à gaz étant donné l’utilisation intermittente de l’arme, de sorte que les directives de sensibilisation pour survivre à une attaque au chlore gazeux disent de se déplacer vers des espaces plus élevés. Cependant, ceci est en contradiction directe avec les recommandations faites pour se protéger des attaques avec des munitions conventionnelles. En 2015, une famille de six personnes qui se cachait dans un sous-sol à Sarmin a été tuée dans une attaque au gaz de chlore parce qu’elle était sous terre afin de se protéger des attaques aériennes. »
Elle rappelle un fait désormais avéré : le régime n’a pas livré toutes ses armes chimiques. Il continue à les utiliser, dans le cadre d’une guerre psychologique redoutablement efficace, comme une arme beaucoup moins chère que d’autres afin d’assurer la reddition ou la fuite des populations. « En ce sens, l’objectif du régime est de semer la peur et de détruire encore davantage le sentiment de normalité dans les zones peuplées de civils. Le manque d’une armée nationale unie, le recours à une force majoritairement composée de milices locales et étrangères et une économie dévastée vont conduire le régime et la Russie à continuer l’utilisation de ces tactiques à faible coût et à faible effectifs pour combattre les zones tenues par l’opposition avant l’invasion terrestre ».

L’analyste constate que, malgré les divers cessez-le- feu négociés – le dernier remontant au 24 février –, il n’y a eu, de la part des puissances extérieures, presqu’aucune pression pour contraindre le régime syrien au respect de ses engagements et presqu’aucune sanction ni conséquence après leur violation. Le respect des normes internationales des droits humains et humanitaires ne s’emble tenir à presque plus rien. Pourtant il est encore possible de prendre certaines mesures de rétorsion même symboliques. « Alors que la justice peut prendre des décennies, l’ONU peut prendre des mesures pour montrer que les violations flagrantes du droit international humanitaire ne seront pas totalement ignorées, y compris
son retrait complet de Damas. L’ONU ne doit plus travailler avec les organisations d’aide et les sous-traitants alliés au régime ».
http://ceip.org/2DvXHws
Plus globalement, Sam Hamad, écrivain et activiste indépendant de nationalité égyptienne et britannique, fait le bilan de l’incapacité de l’ONU à jouer un rôle sur le terrain face à la stratégie de terreur du régime, surtout dans la dernière campagne de la Ghouta.

https://www.alaraby.co.uk/english/Comment/2018/3/22/Toothless-UN- is-enabling- Assads-
brutality-in- Syria
Il ne faut pas oublier que des attaques chimiques ont été menées de manière coordonnée lors de l’offensive contre Alep, comme l’avait établi un rapport de HRW remontant à février 2017.
https://www.hrw.org/fr/news/2017/02/13/syrie-des- attaques-chimiques- ont-ete- menees-de-
maniere-coordonnee- contre-alep

C- Les cessez-le- feu brisés en Syrie s’expliquent par l’idéologie d’Assad
Faysal Itani, consultant à l’Atlantic Council, analyse la guerre selon la vision d’Assad et explique pourquoi aucun cessez le feu ne peut tenir ni aucune négociation ne peut aboutir. En réalité, Assad n’est prêt à reconnaître aucune opposition. Il considère tous ses adversaires comme des traîtres qu’il n’aura de cesse de détruire. Après sept ans de guerre, les décideurs politiques et les diplomates occidentaux condamnent les atrocités du régime mais semblent toujours incapables de comprendre les vérités fondamentales de la situation : « Washington et Bruxelles continuent de s’attendre à ce que le régime se comporte de manière à saper ses propres intérêts et à contredire sa compréhension de la guerre. Parallèlement à cette vision myope, l’Occident continue de faire confiance à la volonté et à la capacité de la Russie de contenir les excès du régime et de garantir des cessez-le- feu durables et significatifs, alors qu’Assad n’a rien à en faire. Il est irrationnel pour la communauté internationale de s’attendre à ce que le régime respecte les cessez-le- feu qui normaliseraient la présence de groupes d’opposition ».
« Le régime a utilisé avec succès la punition collective. Cette stratégie rend illogique qu’Assad autorise l’aide humanitaire ou évacue les malades et les blessés, comme le prescrivent souvent les accords de cessez-le- feu. Faire ces concessions lorsque le régime jouit d’un avantage militaire écrasant par rapport à ses rivaux n’aurait guère de sens. » La Russie retirerait-elle son soutien militaire, permettant ainsi à Assad d’être vaincu ?
Abandonnerait-elle toute sa plate-forme de soutien au gouvernement syrien, la raison d’être de son intervention en 2015 ? Pourquoi accepter de partager le pouvoir avec des groupes armés hostiles sans y être acculé par une menace crédible ou même l’usage de la force ?
http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/a- trail-of- broken-ceasefires- in-
syria#.WqLV_U1hkWM.twitter

Partant de ces constats, Galip Dalay, directeur de recherche au Forum al-Sharq, et chargé de recherche sur la Turquie et les affaires kurdes au Centre d’études d’Al-Jazeera, en conclut que, dans le cadre d’un processus dirigé par la Russie avec l’accord de l’ONU maintenant que les négociations de Genève ont été mises sur la touche – le plan pour la Syrie ne sera qu’un rafistolage de l’ordre ancien.
http://www.middleeasteye.net/columns/astana-sochi- what-hasn- t-changed- syria-
1381108792?utm_campaign=Brookings%20Doha%20Center&utm_source=hs_email&utm_
medium=email&utm_content=61106301

D- Leila Sibai, activiste syrienne et suisse, souligne que l’expulsion systématique et forcée des habitants de la Ghouta fait partie d’une stratégie continue de nettoyage ethnique et de changement  démographique. Présenter le déplacement forcé comme un résultat inévitable de la guerre ou, pire, comme le fait de l’irrédentisme des groupes rebelles masque la stratégie et la responsabilité du régime et de ses alliés.
Les territoires assiégés ne sont pas repris par le régime, ils sont anéantis, puis interdits d’accès et repeuplés parfois avec des milices étrangères. La politique du changement démographique du régime ne pourra que générer de nouveaux conflits entre diverses milices alliées qui se partagent ces territoires.
https://medium.com/stories-soas/ghouta- and-systematic- forced-eviction- a-strategy- of-
demographic-change- 4e1334be2a0d
La seule solution pour un équilibre démographique en faveur d’Assad entraînera l’éradication massive des zones contrôlées par l’opposition pour atteindre ce que Bachar al-Assad, lors de l’ouverture de la Foire internationale de Damas, a appelé le 20 août 2017 une « population homogène »…
http://www.sharqforum.org/wp-content/uploads/dlm_uploads/2017/09/Forced- Demographic-
Changes-in- Syria.pdf

F- Enfin Kareem Ekyakez, médecin et épidémiologiste syrien qui appartient au Centre on Global Health Security, montre comment les attaques ciblées des structures de santé servent la stratégie de déplacement forcé à la Ghouta.
https://www.chathamhouse.org/expert/comment/attacks-healthcare- syria-look- bloody-
strategy-forced-displacement utm_source=Chatham%20House&utm_medium=email&utm_campaign=92088
82_Syria%20EC&dm_i=1S3M,5HDMA,RDMZ4V,L92XF,1

III- La situation diplomatique, militaire et humanitaire

1-Un printemps meurtrier

Les rapports de mars 2018 du Réseau syrien des droits de l’homme (Syrian Network for Human Rights, SNHR) donnent le nombre de civils tués en mars 2018 et la répartition par région, en mentionnant aussi à qui incombe la responsabilité de ces morts.

1,241 Civilians Killed in Syria in March 2018


Le dernier rapport du Centre de documentation sur les violations des droits (Violation Documentation Centre, VDC), a pour titre  « Résolution de cessez-le- feu 2401, 30 jours de massacres en Syrie ». Il documente les crimes de guerre intervenus à la suite de l’échec total de cette résolution adoptée à l’unanimité pour un cessez le feu immédiat pendant trente jours. Du 26 février au 24 mars 2018, 175 000 habitants ont subi un déplacement forcé, 1911 personnes sont mortes dans les combats et les bombardements ciblés, dont 82,32 % de civils ,1 203 cas de violations de cessez le feu avec utilisation d’armes prohibées ont été recensés et l’armée gouvernementale et ses alliés ont lâché 545 barils d’explosifs sur les zones résidentielles.

https://t.co/AY6tI6GK7I

2- Spécial Ghouta
2 mars 2018–« Nous attendons la mort ». Des voix nous arrivent des abris des sous-sols de
la Ghouta via News Deeply
https://www.newsdeeply.com/syria/articles/2018/03/23/we-are- waiting-for- death-voices- from-
ghoutas-underground- bunker

27 mars 2018–Les risques que les Casques blancs prennent pour sauver des vies dans la
Ghouta orientale via Atlantic Council
http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/the-risks- the-white- helmets-in- eastern-
ghouta-take- to-save- lives …

28 mars 2018–De nombreuses villes et villages du nord de la Syrie préparent des maisons pour ceux qui ont été évacués de la campagne de Damas via Syrian Observer
http://syrianobserver.com/EN/News/34016

29 mars 2018–Comment Assad trie les opposants de la Ghouta par Philippe Martinat. Dans l’indifférence générale, les hommes sont triés, raflés, enrôlés de force ou arrêtés et torturés.
Qui peut croire que la paix peut revenir de cette façon en Syrie ?
http://www.leparisien.fr/international/syrie-comment- assad-trie- les-opposants- de-la- ghouta-
29-03- 2018-7636422.php#xtor=AD- 1481423551

30 mars 2018– AFP, après « l’enfer » de la Ghouta, les évacués au « paradis » dans le Nord
http://www.lepoint.fr/monde/syrie-apres- l-enfer- de-la- ghouta-les- evacues-au- paradis-dans- le-
nord-30- 03-2018- 2206939_24.php
Témoignage–La fuite sans retour. Photographe, Abdulmonam Eassa a largement contribué à la couverture de l’AFP dans la Ghouta orientale. Il y a vécu l’offensive des forces du régime, avant de fuir leur avancée et d’abandonner sa ville natale d’Hammouriyé.
https://making-of.afp.com/la- fuite-sans- retour

3 avril 2018–Les images de ce drone montrent l’ampleur des destructions dans la Ghouta
orientale.
https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/03/les-images- de-ce- drone-montrent- lampleur-de- la-
destruction-de- la-ghouta- orientale_a_23401417/

9 avril 2018- Carnage chimique dans la Ghouta orientale « Les symptômes rapportés indiquent que les victimes ont été asphyxiées par un produit chimique toxique, très probablement un agent organophosphoré », affirme l’ONG médicale SAMS.
http://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/04/09/carnage-chimique- dans-la- ghouta-
orientale_5282869_1618247.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_sour
ce=Twitter#link_time=1523278134

3- Afrin 
Analyse et états des lieux de l’opération militaire turque nommée « Rameau d’olivier »
http://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/operation-olive- branch-status- update …

Tribune de Sarah Kilani dans Libération, mise en ligne le 10 avril 2018 : « Afrin et la Ghouta :
la victoire de la stratégie de division ». Pourtant, à ses yeux, « s’opposer en même temps à
l’intervention à Afrin par la Turquie et à la reprise de la Ghouta par le régime n’est en aucun
cas contradictoire. »
http://www.liberation.fr/debats/2018/04/10/afrin-et- la-ghouta- la-victoire- de-la- strategie-de-
division_1642334

4- Politique
15 mars 2018–Déclaration de Federica Mogherini, vice-présidente de l’Union européenne.
L’UE condamne le gouvernement syrien, soutenu par la Russie et l’Iran, pour le ciblage délibéré des civils et des infrastructures médicales et l’entrave à l’accès à l’aide humanitaire.
http://dsms.consilium.europa.eu/952/Actions/Newsletter.aspx?messageid=20099&customeri
d=47293&password=enc_473531347831615732613131_enc

20 mars 2018–Vers un triple protectorat en Syrie par Gilles Dorronsoro.
http://www.liberation.fr/debats/2018/03/20/syrie-vers- un-triple- protectorat_1637617 …

30 mars 2018–Les négociations entre le groupe salafiste Jaïch al-Islam (l’Armée de l’islam) et les Russes sur le sort de Douma dans la Ghouta où vivent encore 150 000 personnes environ n’ont pas abouti.
https://www.la-croix.com/Monde/Moyen- Orient/En-Syrie- Ghouta-bastion- rebelle-point-
tomber-2018- 03-30- 1200927938

3 avril 2018–Les Kurdes syriens, la France, la Turquie et Trump. Vers un affrontement mais lequel ? Un éclairage de Michel Duclos, ancien ambassadeur de France à Damas, aujourd’hui conseiller spécial à l’Institut Montaigne
http://www.institutmontaigne.org/blog/la-bataille- pour-le- kurdistan-syrien- une-delegation-
lelysee-m- erdogan-loffensive- et-m- trump-en

5- ONU
L’ONU a remisé les réformes recommandées en 2017 visant à améliorer les négociations avec le régime concernant l’aide humanitaire. L’accès accordé par le régime pour l’aide est désormais une transaction obéissant à un agenda politique.
https://www.irinnews.org/feature/2018/02/26/exclusive-un- shelved-2017- reforms-syria- aid-
response …
Le rapport complet de l’ONU sur la violence sexuelle en Syrie publié en mars 2018
http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoISyria/A-HRC- 37-CRP-
3.pdf?platform=hootsuite …

Marc Hakim et Claire A. Poinsignon pour le Comité Syrie-Europe, après Alep

Nous avons arrêté la collecte des informations au 10 avril 2018

POUR ALLER PLUS LOIN
Rémy Ourdan, grand reporter et auteur du film Le siège (2016) a publié un article dans Le
Monde, intitulé Stratégie de guerre : le siège, une arme fatale, mis en ligne le 8 avril 2018
où il consacre plusieurs développements au cas syrien: « Bachar Al-Assad et ses alliés
utilisent cette tactique d’encerclement de façon systématique contre les rebelles et les
populations en Syrie. Employée depuis l’Antiquité, elle a, pour la première fois, été
considérée comme un “crime contre l’humanité” après le siège de Sarajevo. »http://www.lemonde.fr/international/article/2018/04/08/strategie-de- guerre-le- siege-une- arme-
fatale_5282387_3210.html#KkmL1rBrGjzTUlmG.99

Les enjeux de l’apocalypse : rébellion armée et civile, classe et islam. La perte de la Ghouta,
une perte énorme pour les perspectives démocratiques par Michael Karadjis, écrivain et
conférencier à l’université de Sydney (Australie)
https://mkaradjis.wordpress.com/2018/03/21/ghouta-issues- behind-the- apocalypse-armed-
and-civil- rebellion-class- and-islam/

Accepter la domination d’Assad ne mettra pas fin aux souffrances des Syriens par Rifaie
Tammas, militant syrien et doctorant à l’Université Macquarie à Sydney via Middle East Eye
http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/accepter-la- domination-dassad- ne-mettra- pas-fin-
aux-souffrances- des-syriens- 507680354#sthash.H2WzFflz.uxfs …