Comment Donald Trump a renoué avec l’interventionnisme par Gilles Paris

Article  •  Publié sur Souria Houria le 8 avril 2017

Comment Donald Trump a renoué avec l’interventionnisme

Face à un président fonctionnant principalement à l’instinct, les ressorts de son revirement stratégique, qui a poussé la Maison Blanche à frapper la Syrie en réponse au bombardement à l’arme chimique, restent difficiles à déchiffrer.

LE MONDE | 08.04.2017 à 07h48 |Par Gilles Paris (Washington, correspondant)

 

La Maison Blanche a diffusé vendredi 7 avril une photo, retouchée pour des raisons de sécurité, montrant Donald Trump entouré de ses conseillers juste après les tirs de missiles de croisière américains, la veille, contre un aéroport militaire syrien. L’image prise dans une pièce sécurisée du club de Mar-a-Lago du président, en Floride, fait écho à celle diffusée par l’administration Obama après le raid contre Oussama Ben Laden, en mai 2011, au Pakistan.

Elle donne aussi une idée des rapports de forces internes au sein de l’administration, qui ont abouti à la décision inattendue du président américain : frapper la Syrie en réponse au bombardement à l’arme chimique imputé au régime de Bachar Al-Assad d’un village tenu par la rébellion. Le gendre du président, Jared Kushner, y figure en bonne place, face au conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster.

Cause commune

Le conseiller stratégique de la Maison Blanche, Stephen Bannon, est plus en retrait, tout comme le conseiller politique Stephen Miller. Les deux hommes sont séparés du tandem composé par deux anciens de Goldman Sachs, Gary Cohn, conseiller économique du président, et Dina Powell, une nouvelle adjointe du conseiller à la sécurité nationale, et par Michael Anton, son porte-parole.

La révélation de l’attaque chimique, mardi, avait été condamnée dans un premier temps par M. Trump dans un simple communiqué. Le chef de l’Etat y était revenu de manière de plus en plus insistante mercredi, à l’occasion d’une conférence de presse commune avec le roi de Jordanie Abdallah II, puis le lendemain à bord de l’Air Force One qui le transportait en Floride. Elle a coïncidé avec un remaniement annoncé mercredi au sein du Conseil de sécurité nationale, qui a vu le départ de M. Bannon. Sa nomination en janvier avait créé un précédent controversé car elle lui donnait la possibilité de participer de manière statutaire aux délibérations de cet organe stratégique.

Chef de file au sein de la Maison Blanche, avec M. Miller, d’un courant nationaliste et identitaire porté par des transfuges du site Breitbart News, dont il est lui-même issu, M. Bannon était, selon la presse américaine, réticent face à la perspective de frappes punitives contre le régime syrien. Ce courant n’a cependant pas été en mesure de contrer un autre camp, qui rassemblerait M. Kushner et les anciens de Goldman Sachs.

Ces derniers semblent avoir fait cause commune avec d’autres piliers de l’administration : le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, présent à Mar-a-Lago jeudi et vendredi, et le secrétaire à la défense James Mattis. En début de semaine, M. Kushner avait par ailleurs effectué une visite remarquée en Irak, à l’invitation du chef d’état-major des armées, le général Joseph Dunford, rompant avec la discrétion qu’il observait jusqu’à présent.

Un ton nouveau

Jeudi soir, M. Trump a prononcé une courte allocution pour justifier ce recours à la force unilatéral en dehors d’une résolution des Nations unies. Sur un ton nouveau par rapport à celui qui était le sien jusqu’à présent sur les affaires internationales et qui était plus proche de la rhétorique de M. Bannon. « Ce soir, j’en appelle à toutes les nations civilisées pour qu’elles nous rejoignent afin de chercher à mettre un terme au massacre et au bain de sang en Syrie, ainsi qu’à mettre fin au terrorisme de toutes sortes et de tous types », avait notamment assuré, de manière solennelle, M. Trump à la fin de son intervention. « Nous espérons qu’aussi longtemps que l’Amérique sera synonyme de justice, la paix et l’harmonie finiront par l’emporter », avait-il ajouté.

Ce bref discours a consacré, jusqu’à nouvel ordre, la conversion de M. Trump à une forme d’interventionnisme classique. Elle lui a d’ailleurs valu les félicitations de certains de ses critiques les plus acerbes, démocrates et républicains mêlés, adeptes d’une diplomatie qui considère la force comme un outil efficace. Il s’agit d’une rupture avec le relativisme observé jusque récemment par le président.

M. Trump avait, par exemple, spectaculairement douté de l’exemplarité américaine lors d’un entretien accordé le 5 février à la chaîne conservatrice Fox News. Alors que son hôte qualifiait le président russe, Vladimir Poutine, « d’assassin », le président s’était interrogé : « croyez-vous que nous soyons aussi innocents ? ». Pour autant, M. Trump a pris soin d’éviter de mettre en cause directement la Russie. Il a laissé cette tâche à son secrétaire d’Etat, qui doit se rendre à Moscou la semaine prochaine.

« Pas une réaction émotionnelle »

Cette visite, annoncée avant les frappes américaines, a changé de nature compte tenu des frappes américaines en Syrie. Elle a entraîné, outre de vigoureuses protestations russes, la suspension à l’initiative de Moscou des procédures de déconfliction visant à éviter les incidents entre les aviations des deux pays qui opèrent parallèlement dans le ciel syrien.

S’agissant d’un président fonctionnant à l’instinct, les ressorts du revirement du 6 avril restent difficiles à déchiffrer. M. Trump a longuement évoqué l’effet qu’avaient produit sur lui les images de l’attaque de mardi, en insistant sur la présence d’enfants parmi les victimes. La Maison Blanche a cependant tenu à présenter la décision d’intervenir comme la conséquence d’une analyse réfléchie, alimentée par de nombreuses réunions, entre mardi soir et jeudi après-midi. Après les frappes, M. Tillerson avait assuré qu’il ne s’agissait « pas du tout d’une réaction émotionnelle ».

Mercredi, dans les jardins de la Maison Blanche où il s’exprimait avec à ses côtés le roi de Jordanie, M. Trump avait été interrogé sur sa mise en cause, la veille, de son prédécesseur, Barack Obama, jugé coupable du pourrissement de la situation en Syrie. « J’ai une responsabilité maintenant, et je vais avoir cette responsabilité, et je vais la porter très fièrement, je vous le dis. C’est maintenant ma responsabilité », avait conclu le président.