Comment les rebelles syriens se sont affirmés – Benjamin Barthe

Article  •  Publié sur Souria Houria le 22 juillet 2012

On la disait mal équipée, peu structurée et inexpérimentée. Engagée depuis lundi 16 juillet dans une bataille frontale contre le régime du président Bachar Al-Assad, l’Armée syrienne libre (ASL) a fait mentir sa réputation. Si nul ne peut garantir que la victoire leur tend les bras, les combattants de l’opposition ont démontré, à la surprise générale, que cette issue n’est plus du domaine de l’impossible.
Forte de l’audace manifestée par ses hommes dans les combats de Damas, galvanisée par l’attentat de mercredi 18 juillet, qui a coûté la vie à quatre hauts responsables sécuritaires (Hicham Bekhtyar, le chef de la sécurité nationale, a succombé vendredi à ses blessures) et qui a poussé des centaines de déserteurs à rejoindre ses rangs, l’ASL exhibe une assurance jusque-là inédite. « Les jours de Bachar Al-Assad sont comptés, soutient Fahad Al-Masri, le chef du service de presse du Commandement conjoint de l’ASL à l’intérieur, installé à Paris. On pourrait bien fêter la fin du Ramadan [prévue le 20août] et la fin de Bachar en même temps. »

La montée en régime de l’ASL est apparue au grand jour mardi 17 juillet. Ce jour-là, obéissant à un plan prédéterminé, les insurgés passent à l’attaque. Des dizaines de check-points de l’armée syrienne, de bureaux des services de sécurité et de postes-frontière sont attaqués de façon simultanée. L’opération est baptisée « Volcan de Damas et séisme de Syrie ».

Les projecteurs se concentrent sur les affrontements de Damas, dans les quartiers sud, comme Tadamon et Midan. Mais les combats font rage dans tout le pays, comme à Azzaz, une localité du nord d’Alep, où les insurgés syriens s’emparent d’un centre des renseignements militaires, faisant prisonniers trois hauts responsables, dont un proche de Bachar Al-Assad, détenteur de nombreux secrets du régime, Qiffah Mulhem. A Homs, Qassem Saadeddine, le porte-parole de l’ASL l’assure : la bataille pour la libération du pays est lancée.

LENTE STRUCTURATION

Surprenante, l’attaque est en fait le résultat de la lente structuration des rangs de l’ASL et de son autonomisation vis-à-vis des officiers qui l’ont fondée, en juillet2011. Ceux-ci sont pour la plupart réfugiés en Turquie, à l’instar du colonel Riad Al-Assaad, dont le contrôle sur les groupes armés dispersés sur le terrain n’a jamais paru aussi lâche.

Au mois de mai, les insurgés de l’intérieur avaient définitivement rompu avec lui, en refusant de respecter le cessez-le-feu, auquel il s’était engagé, dans le cadre du plan de sortie de crise de Kofi Annan, l’émissaire des Nations unies et de la Ligue arabe. Après quelques jours passés l’arme au pied, les combattants avaient choisi de relever le défi militaire imposé par le régime syrien, en violation des consignes de leur lointaine hiérarchie. « Qui souhaite devenir un chef, doit entrer sur le terrain, clame Fahad Al-Masri, en référence au colonel Riad Al-Assaad. L’influence des officiers qui restent en Turquie ne dépasse pas le cadre de leur campement. »

Cette rupture avait entraîné à la même époque la création du Commandement conjoint de l’ASL à l’intérieur. Composé de dix conseils militaires régionaux, qui regroupent, chacun à leur niveau, plusieurs katibas (brigades), cette structure collégiale se veut la réponse au désordre qui a longtemps régné entre les groupes armés labellisés ASL. « Il y a eu une forme de pronunciamento, de coup de force des gens de l’intérieur qui ont compris qu’ils devaient unir leurs forces, décrypte l’ancien diplomate lgnace Leverrier, qui fut en poste à Damas. Ils se veulent apolitiques et areligieux et sur cette base, ils sont parvenus à rallier beaucoup de katibas. »

Les attaques simultanées lancées depuis mardi sont le produit de cette réorganisation. Elle a permis par exemple d’acheminer à Damas des centaines de combattants originaires de Deraa, de façon à doper la force de frappe de la rébellion dans la capitale. « Il y a des progrès, une accélération dans l’organisation et la stratégie, mais elle ne va pas à la même vitesse partout, tempère l’opposant Haytham Al-Manna, chef du Comité de coordination pour le changement démocratique. Certains groupes bénéficient de l’expérience des déserteurs, d’autres restent encore très primitifs. Il n’y a pas une ASL mais des ASL. » Du point de vue de l’armement, les progrès sont également sensibles.

LIVRAISONS D’ARMES DE L’ÉTRANGER

Une vidéo mise en ligne sur Internet, qui montre une dizaine de chars immobilisés et à demi-calcinés dans les rues de Azzaz, ne laisse guère de doute sur le fait que les rebelles disposent désormais d’armes antitank. Celles-ci peuvent provenir de stocks de l’armée syrienne, pillés par des déserteurs, mais il semble également acquis que des livraisons arrivent de l’étranger.

« Avec l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite, une filière d’approvisionnement en armes s’est mise en place à la frontière avec la Turquie, indique un analyste bien au fait des questions de défense. Depuis un mois et demi, le rythme des arrivages s’est accéléré. » Selon cette source, l’incident aérien ayant opposé Ankara à Damas (un avion turc, possiblement abattu par la défense antiaérienne syrienne, s’était écrasé en mer, le 22juin) aurait incité la Turquie à faciliter cette contrebande.

Par ailleurs, le phénomène des désertions ne cesse de s’amplifier. Trois généraux ont fait défection depuis jeudi, qui ont rejoint la vingtaine déjà présent en Turquie, réunis au sein d’un Commandement conjoint militaire de la révolution syrienne, au rôle consultatif. « Il est probable que le Qatar contribue financièrement à ces défections », fait remarquer l’analyste. Sans compter que L’ASL bénéficie aussi du soutien silencieux de nombreux officiers, à qui elle a demandé de rester en poste, pour mieux l’informer des plans du régime Assad.

Les rebelles sont désormais capables de percer le glacis sécuritaire du régime Assad. Mais il est peu probable qu’ils puissent résister à une contre-offensive généralisée des forces régulières. « Le conflit reste fondamentalement asymétrique », reconnaît M. Leverrier. Damas a-t-il encore les forces nécessaires pour entreprendre cette reconquête? Les prochains jours le diront.

Source: http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/21/comment-les-rebelles-syriens-se-sont-affirmes_1736639_3218.html#xtatc=INT-17