Conférence Sud PTT Solidarité avec le peuple syrien

Article  •  Publié sur Souria Houria le 14 octobre 2012

Intervention Martin Makinson

Discours Syrie pour la Bourse du Travail 10/10/2012 à Paris au Bourse de travail

Guerre interconfessionnelle, guerre civile, conflit sectaire, fondamentalistes, attentats suicides…. Depuis quelques, mois de nombreux médias relaient en boucle une vision déformée des événements en Syrie. Cette version est qu’Assad, afin de mieux anesthésier les opinions publiques, voudrait transmettre au monde et en particulier aux pays occidentaux. Tout le monde sait que ce régime sanguinaire et barbare se pose en défenseur des minorités chrétiennes, alaouites, druzes, minorités qu’il a prises en otage. Tout le monde sait qu’il dépeint ce qui est une révolution populaire aux quatre coins de la Syrie comme la lutte d’une poignée de terroristes, de mercenaires à la solde de l’étranger. Tout le monde sait qu’il veut faire croire qu’il s’agit d’un complot international où se sont rejoints des alliés aussi improbables qu’Israël et Arabie saoudite.

Une évidence : la révolte syrienne s’inscrit parfaitement au sein du printemps arabe. Elle en est le test ultime. Il s’agit d’une lutte de classes populaires pour une dignité citoyenne bafouée pendant quarante ans par un des régimes les plus claniques et oppressifs qui soient – et pourtant le Proche-Orient en a compté pas mal au cours de l’histoire contemporaine- Cette lutte, que j’appelle sans hésitation une révolution, est le produit d’évolutions analogues à celles ayant eu cours en Egypte ou dans d’autres pays arabes. Une différence toutefois, qui paraîtra paradoxale à nos camarades : elle est encore plus fortement enracinée au sein du peuple. C’est pourquoi il est crucial que ce régime tombe et que cette révolution arrive à survivre aux assauts permanents de ses milices et de son armée qui, en dix-huit mois, ont tué plus de 35,000 personnes. En l’occurrence, on dénombre 216,000 personnes emprisonnées et des dizaines de milliers de disparus. Le fils a fait mieux que le père en 1982. Lorsque Bashar ne sera plus en mesure de tuer et de torturer, historiens et psychologues, se pencheront sur la personnalité de celui qui, à mon sens, a toute la pathologie d’un psychopathe et d’un autiste paranoïaque.

Avant de vous parler des couches populaires du peuple syrien, qui s’est révolté de Dera’a dans le sud du Hauran, à la frontière jordanienne, d’‘Azaz à la limite de la Turquie à Abou Kemal face à l’Irak ; avant de vous parler de sa détermination et de sa témérité qui défie l’entendement, j’aimerais souligner combien il est important que cette révolution vive et triomphe. Une victoire de Bashar serait un signal à tous les dictateurs et régimes oppresseurs de la planète : la fin du soulèvement signifierait que tout tyran, s’il fait un nombre maximal de victimes et s’il comment des atrocités en permanence, peut conserver le pouvoir. Car c’est de cela qu’il s’agit, et non de la lutte d’un complot : le régime machiavélique de la familel Assad est prête à tout, au génocide, aux crimes de masses, pour ne rien perdre de sa domination. Bashar a dès le début suivi cette logique là : à l’heure où je vous parle, des bombes « barmils » de 500 kg, remplies de TNT, de fioul et de barres d’acier, sont déversées sur Homs, Alep, Membij, Azaz, Ma’aret an-Numan, Homs, Rastan, Talbiseh… Ces bombes sont aussi imprécises que celles qui ont été larguées par des bimoteurs nazis sur Guernica. Elles sont faites pour tuer un maximum de civils, pour punir les zones qui ont osé défier le pouvoir en manifestant ou en laissant opérer l’Armée Libre Syrienne, dont les soldats sont en grande majorité issus de ces mêmes couches populaires. La survie de Bashar n’est pas seulement synonyme de massacre de dizaines de milliers de personnes, mais signifierait la fin du printemps arabe. Elle serait l’enterrement d’un immense espoir qui a secoué tous les pays de l’Atlantique au Golfe.

Qui se révolte en Syrie ? Qui appuie cette révolution qui dure miraculeusement depuis 19 mois. Comment tient-elle face aux balles réelles, aux obus de chars et d’artillerie, aux des missiles et bientôt, staghfar Allah, à Dieu ne plaise, comme on dit en arabe, à des armes chimiques comme celles que Saddam Hussein a lancées sur la population kurde de la ville d’Halabja en Irak, en 1988 ? Qui est ce peuple qui continue sa lutte contre le régime, contre ses alliés cyniques russes, iraniens, l’Iran et la garde prétorienne de Nouri al-Maliki et Moqtada Sadr. Qui est cette population des villes, des campagnes, qui se bat dans l’indifférence des gouvernements et des opinions occidentales ? Les débuts de la révolte, en février et mars 2011, illustrent parfaitement à la fois la base et l’avant-garde de ce soulèvement populaire. Au tsunami des jeunes à qui on n’a offert d’autre perspective que d’être au chômage dans 55% des cas et de se taire sous peine d’arrestation, de disparition et de torture, s’est jointe la marche inexorable des travailleurs et des paysans du pays, toute communautés confondues. Une marche pour la liberté, pour la dignité, la liberté, pour un avenir autre que celui fait de barreaux de cellule, de répression et de concussion affairiste.

Février 2011. Un policier fait subir, dans le souk al-Hariqa de Damas (le nom est lui-même symbole de libération : il découle de la révolte de 1925 contre le Mandat Français, qui s’est achevée par l’incendie de ce quartier). Le tabassage en règle d’un commerçant ambulant. Les petits vendeurs du souq en ont eu assez en voyant cette scène des avanies, des humiliations, de l’arbitraire à tous les échelons bureaucratiques. Un rassemblement spontané de mille personnes crie : « shaab souri ma binzel ; le peuple syrien ne sera pas humilié ». L’arrivée du Ministre de l’Intérieur éteint pour quelques jours ce début d’incendie.

15 mars 2011. A l’instar des élèves d’Egypte et suite à la chute de Hosni Mubarak, des enfants de 13 ans de Deraa écrivent sur les murs de leur ville : « ash-shaab yourid isqat an-nizam » (« le peuple veut la chute du régime ») et « ijak ad-dor, ya doctor » (« ton tour est venu, docteur », faisant référence à l’ophtalmologue Bashar). Le résultat : une arrestation immédiate par les mukhabarates, la police secrète. Tortures, tabassages et ongles arrachés. Une manifestation de leurs parents dispersée à coup de balles. Bashar et son cousin Atef Najib, gouverneur de Dera’a, pensent qu’un massacre sera à même de calmer les esprits échaudés par l’élan révolutionnaire. Résultat : des dizaines de morts en quelques jours, le blocus de la ville et le fauchage à coup de mitrailleuse de la population paysanne des environs venue apporter des vivres aux habitants assiégés. La suite, vous la connaissez… Même scénario dans d’autres villes du Hauran, à Tafas, à Ezraa, ville à moitié chrétienne où les services de sécurité du régime ont mitraillé en avril 2011des colonnes entières de paysans qui tentaient d’entrer dans l’agglomération.

Mais qui sont ces habitants de Dera’a, ces gens du Hauran, du grenier à blé de Damas depuis l’Antiquité ? Qui sont ceux qui ont décidé de se révolter contre ce régime gangréné par la corruption et qui conçoit les relations avec l’autre uniquement comme un rapport de force ? Mon propos va peut-être surprendre : Dera’a est une mohafaza, une province de Syrie qui, dans les années 1970 et 1980, était acquise au parti Baath. Ce parti incarnait dans les années 1960 un socialisme d’Etat, une politique de valorisation des campagnes, une redistribution agraire. Les méthodes de ce parti venu au pouvoir suite à des coups d’états successifs, en 1963, en 1966 et en 1970, étaient totalitaires et très contestables, mais ce mouvement incarné par des officiers issus de la paysannerie était porteur d’un projet social. En 1970, le régime, pour anti-démocratique qu’il soit, avait une réelle assise sociale. Cette assise sociale est allé en s’amenuisant lors des années de « fin de règne » de Hafez al-Assad, à partir des années 1985, lorsque la Syrie occupait le Liban et était plongée dans des crises politiques et économiques sans précédent. C’est là que la classe affairiste – à l’époque Osman Aidi, propriétaire de la chaîne d’hotels Cham, en est un exemple parfait – prospère à l’ombre de Hafez al-Assad.

Que pouvaient voir ceux qui le voulaient bien de la Syrie de Bashar après dix ans de règne (je parle de règne car il s’agit d’un régime où le clan au pouvoir a des prérogatives absolues) ? Que pouvaient percevoir ceux des ambassadeurs qui n’étaient pas aveuglés par des contrats, à l’instar d’Eric Chevallier, ambassadeur de France et fossoyeur du régime alors qu’il en était un de ses plus ardents défenseurs quand Sarkozy recevait Bashar en grande pompe sur les Champs Elysées et quand ce dernier dinait en amoureux à La Coupole avec sa femme (événement immortalisé dans Paris-Match….) ? Que pouvaient-voir les hommes de bonne volonté, de gauche en 2005, en 2010, en 2011, quand ils avaient traversé l’écran de fumée qui faisait de la Syrie un soi-disant fer-de-lance du combat anti-impérialiste ? Ce que l’on pouvait conclure en honnête témoin, c’est la mainmise d’une famille mafieuse sur toutes les sources de profit d’un pays. La confiscation des richesses au moyen d’une élite de nouveaux riches issus des services de renseignements : un exemple typique est celui de Ali Haydar, chef des mukhabarates et propriétairede journaux et magazines ; un autre : la famille al-Khouli, dont le père était chef des renseignements militaires dans les années 1980 et dont le fils a acquis la chaîne de restaurants Gémini, toujours bondé de femmes d’officiers et de grands bourgeois damascènes. Ce qu’on pouvait entrevoir, c’est le contrôle sécuritaire à tous les niveaux, les séïdes omniprésents malgré des promesses dérisoires de réformes à l’arrivée au pouvoir de Bashar, lors du « printemps de Damas »mort-né . C’est un régime qui se voulait et se veut éternel, qui a inscrit cette volonté sur des statues, des murs, des monuments à travers tout le pays : on ne compte plus le nombre de slogans sculptés à travers la Syrie qui proclament à la Staline ou à la Kim Jong Il: «Bashar, qaedna il a al-abec », « Bashar, notre chef pour l’éternité ». Le nouveau slogan du régime post-révolution, c’est celui des milices shabiha, véritables SS de Bashar, qui écrivent sur les murs des villages qu’ils ont massacrés : « Bashar, aw nhariq al-balad », « Bashar, ou nous brûlons le pays ».

Que pouvait-on sentir encore avec un minimum de perspicacité, à la veille de la révolution syrienne ? Un capitalisme des copains, ou les moyens de production du pays étaient transformées en bonnes affaires familiales. La fortune d’Assad, c’est l’affaire du cousin Rami Makhlouf, celui qu’on a surnommé « le roi de Syrie » qui en était responsable. Rami Makhlouf : difficile d’évaluer sa fortune, mais elle est calculée à plus de 60 milliards de dollars. Les deux entreprises de téléphonie mobile, Syriatel et MTN, c’est lui. Les Duty Free Ramak, c’est lui. L’école privée libanaise Choueifat, qui se veut internationale, et où j’ai eu le malheur de travailler, c’est encore lui… Le monopole des taxis vers l’aéroport, à des prix prohibitifs : c’est lui et son cousin Khaldoun… Les exportations de la compagnie nationale pétrolière Furat : encore lui… La compagnie aérienne Sham Wings, qui ne respecte même pas les normes basiques de sécurité au point d’être interdite de décollage à l’aéroport d’Istanbul, c’est encore lui… Il est pratique pour lui d’avoir comme frère Hafez Makhlouf, directeur des mukhabarates de la région de Damas, pour faire des profits illicites… Toute opinion critique à l’égard de cette privatisation du pays au bénéfice de la famille régnante se fait à vos risques et périls. Le fils du célèbre opposant Riyad Seif, une des figures de la résistance à l’oppression de ce régime bien avant la révolution, a payé sa protestation contre cette mainmise des clans Assad et Makhlouf sur l’économie par sa disparition. Son père a lui écopé de cinq ans pour sa dissidence contre cette même corruption étouffante, et en a résulté un cancer, une interdiction de voyager à l’étranger pour traitement et un tabassage en règle pendant la révolution, au vu et au su de tous, tabassage qui a brisé ses deux bras…. Les « réformes » de Bashar, c’est une mainmise de tout ce qui qui rapporte dans le pays, c’est la confiscation de tout ce qui pourrait bénéficier au plus grand nombre. C’est un racket généralisé qui ferait palier d’envie un Ben Ali ou une Leïla Traboulsi. Petite idée de la fortune des Assad : Jamil Assad, sans poste officiel, cousin du président, divorce de sa femme à Genève. Elle réclame 4 milliards de dollars. Cet homme n’a ni fonction, ni rôle déterminant dans le régime. Il fait juste partie de la « famille ». On peut croire que par avocats interposés cette femme réclame la moitié de l’argent de son mari, à savoir 8 milliards de dollars. Je vous laisse imaginer ce que doivent posséder les Shawkats, les Maher et les Makhloufs.

Ce régime et son train de vie, son étalage obscène d’une richesse mal acquise devant des classes populaires méprisées, précarisées, opprimées, humiliées, je l’ai vu de mes yeux de façon rapprochée lorsque j’ai enseigné dans des écoles privées se voulant « modernes » et « modèles » ; en fait elles étaient une source de profit supplémentaire pour le régime et des familles de la bourgeoisie en affaires avec eux. Je fais ici mon mea culpa : j’ai travaillé au sein de ces établissements pour gagner ma vie. J’ai eu la chance – ou la malchance – d’observer de près à quoi ressemblaient les enfants du régime, en particulier ceux d’Assef Shawkat, responsable des renseignements militaires et époux de Boshra al-Assad, qui avait la mainmise sur cette école (et au demeurant, sur l’industrie pharmaceutique du pays…). Eduquer les enfants de Shawkat, mort dans l’attentat de l’armée libre syrienne du 18 juillet, c’était un peu comme enseigner à Oudai, le fils de Saddam Hussein, dont les frasques et le comportant délinquant était reconnu dès l’école. J’ai eu la malchance de travailler dans le même type d’établissement à Homs, contrôlé par Racha Faysal, fille du maire de Homs Lina Faysal, notoire pour son appétit vorace en termes de corruption, de lavage d’argent de la drogue et en affaires avec le clan Makhlouf. Evidemment, les terrains de toutes ces écoles, en dehors des grandes agglomérations d’Alep, de Damas, de Homs, appartenaient à l’état. Il s’agissait d’un bien public vendu à bas prix à une bourgeoisie de nouveaux riches en échange de profits. Cette dernière en a fait des écoles privées, des universités ou des shopping centers, ce qui pour elle était kif kif…

Comment cette révolution s’est-elle étendue à travers tout le pays ? Comment le printemps syrien s’est traduit par un été sanglant à Tell Kalakh, à Jisr ash-Shughur puis à Homs ? Comment les manifestations de la population criant « salmiyé salmiyé » (« pacifique, pacifique ») se sont-elles diffusées à travers le pays ? Les réseaux sociaux n’ont été qu’un moyen, et encore essentiellement aux mains d’étudiants activistes qui ont été à l’avant-garde de la révolution. Tout au long des années 1990 et 2000, j’ai pu observer comment vivaient les paysans dans la Jéziré, le long de la vallée de l’Euphrate, dans le Ghâb, et oui, même dans ce que le régime a interdit d’appeler « Jebel Nusayri ou jebel alaouite ». Des années de campagnes de fouilles archéologiques m’ont plongé dans une réalité qui est allée en s’aggravant. Une gestion calamiteuse de l’eau et des campagnes qui a fait de la Jeziré un semi-désert, qui a asséché le Habour, alors que ce « Far East » a été le grenier à blé de la Mésopotamie : c’est là que des centres urbains immenses ont été fondés vers 2700 avant J.-C. Une nappe phréatique qui est descendue à 150 mètres, alors qu’elle était à 20 il y a vingt ans. Des gouverneurs et leurs sbires rançonnant des paysans arabes, kurdes, assyriens chrétiens, qui n’avaient d’autre choix que de venir grossier le flot de rurbains, la ceinture de misère autour des villes de Damas et d’Alep. Mo’adamiyé, Deraya, Nahr ‘Aisha, Sahnaya, Harasta, Berzé, Qaboun, at-Tall, Rukn ad-Dine, Mleiha, Douma, Qoudssaya, Kiswa, Qadam : ces noms de banlieues de Damas vous sont sans doute à présent familiers, en raison des massacres qu’y a perpétré le régime depuis le début de la contestation. Il s’agit des foyers du soulèvement, de quartiers informels qui rassemblent 60 à 70% des habitants d’une capitale qui dépasse les 3.5 millions, alors que sa population n’était que d’un million en 1970. Ces révoltés, qui ne voulaient même pas en général la chute du régime à ses débuts, sont des migrants des campagnes, des paysans sans terre, un lumpenproletariat qui n’a eu d’autre choix que d’aller dans les bidonvilles de la Ghouta pour survivre. Même scénario à Homs, à dans les quartiers de Baba ‘Amro. Même chose à Alep, dans ceux de Bab Neirab, de Salaheddine, de Tariq al-Bab, de la cité industrielle de Sheikh Najjar. Je tiens à signaler que cette ceinture autour des grandes villes ne s’est pas révoltée parce qu’elle avait faim. Parce qu’elle vivait dans la misère. Cette ceinture a rejoint les campagnes parce dans sa révolution parce qu’elle ne supportait plus d’être humiliée, opprimée par une classe de possédants gravitant autour du clan et de l’appareil répressif de l’Etat, dans un pays de 23 millions de personnes qui pourrait être viable d’un point de vue économique.

On pourrait croire que la communauté alaouite fait bloc autour du clan Assad, qu’elle a été favorisée. Il n’en est rien. Cette lutte pour la liberté, la dignité n’est pas communautaire. Les opposants alaouites au régime ayant subi tortures et emprisonnement sont légion. Je pourrais citer Aref Dalila, recteur de la faculté d’économie de l’université de Damas, condamné à cinq ans de prison pour avoir simplement demandé des changements constitutionnels lors du premier printemps de Damas. Je pourrais citer l’écrivain Samar Yazbek, témoin des exactions du régime dans la banlieue de Damas, menacée de mort avec sa fille de 16 ans et réfugiée en France depuis juillet 2011. Et tant d’autres encore… Les villages alaouites souffrent souvent du même sous-développement que les autres campagnes, et la manne du clan Assad n’a bénéficié qu’à des familles proches ou liées à l’armée, aux officiers et au pouvoir. Je citerai les événements de Qurdaha, village de la famille Assad, la semaine dernière, lorsque le fondateur des milices shabiha, Mohammed al-Assad, a dégainé son pistolet sur des sheikhs alaouites qui protestaient contre la politique qui consiste à envoyer des jeunes de la communauté se faire tuer au front pour le clan au pouvoir. Une bataille rangée entre Alaouites s’en est ensuivie. Mohammed al-Assad est mort. Inutile de dire que je ne dirai pas Allah yirhamou, la miséricorde de Dieu pour un assassin responsable des tueries de Tremsa, Qoubeir, Jisr ash-Shughur ou Al-Houla…

J’en viens à l’Armée Libre Syrienne. Qui sont-ils ? Si la société civile, les manifestants sont soutenus par des comités de coordination, les Lajnat at-Tansiqiyat des quartiers populaires, l’ALS est vraiment ce que l’on pourrait appeler une armée du peuple. Leurs premières actions au cours de l’été 2011 ont été défensives. Il s’agissait de protester les manifestants de village, du Jebel Zawiyé entre Alep et Hama, devenu grâce à ses déserteurs à l’origine contraints de tuer leurs propres concitoyens, voire leurs propres familles comme gage de loyauté au régime, une véritable Sierra Maestra. Par qui est constituée cette armée qui est allée en se structurant ? Je peux vous donner le détail de sa composition en vous décrivant les personnes que j’ai vues à Killis, à frontière turco-syrienne, à Jerablous, dans la zone libérée du nord de la Syrie. Car la zone libérée existe, le Benghazi syrien existe, ‘en déplaise aux Etats-Unis et aux pays occidentaux pour qui ne pas aider le peuple syrien à vaincre vraiment cette dictature est la pierre angulaire de leur politique incantatoire. Les membres de l’Armée Libre Syrienne sont des paysans de Maréa, de Membij, des banlieues d’Alep comme Anandane et Hreitan, des bidonvilles de Bab Neirab, de la ville d’Al-Bab. Ce sont des étudiants en droit ou en médecine. Ce sont des instituteurs qui n’ont qu’une idée lorsqu’ils sont soignés dans les hôpitaux turcs : retourner au front à Alep, pour empêcher que l’une des plus vieilles villes du monde et merveilles de l’Orient ne tombe aux mains des génocidaires du régime. Car les membres des Kataeb al-Farouq, de la Liwa at-Tawhid ont deux convictions : que le monde les a abandonnés. Et qu’ils vont vaincre. Et cela malgré leur armement en grande partie dérisoire, des kalachnikov et des RPG pris aux soldats. Car où sont les armes occidentales, où es l’argent du Qatar tant promis ? L’aide de Doha, du sheikh Hamed, c’est une distribution de dix sacs de farine par jour sur la place centrale de Killis. C’est 15 à 20 millions de dollars par an de la part d’un émir à la tête de la plus grande fortune du monde…