Charif RIFAI – Damas, Mars 2011: 1. L’Ami Syrien

Article  •  Publié sur Souria Houria le 6 mai 2011

     Mon ami syrien parle :  Je suis né dans les années difficiles, les années 80. Je suis habitué à la peur, et j’ai cohabité avec longtemps. L’autre jour et après la conférence de presse de Bouthania Cha’ban, mon frère qui a 21 ans a écrit sur sa page facebook : SAF HAKI (Parole en l’air), juste cette phrase, rien d’autre. Mon premier reflexe, continue l’ami, c’était de l’appeler pour lui dire de retirer sa phrase, je ne voulais pas qu’il ait des problèmes. J’ai pris mon téléphone, et d’un coup je l’ai  imaginé plus vieux,  lorsqu’il aurait cinquante ans. Il me dirait : pourquoi m’as-tu empêché de parler ? Cette image m’a fait honte. J’ai raccroché et je me suis dis, que serait, qu’il parle, s’il se sent libre, il le sera. Conclut l’ami.

     C’est justement cela qui a changé en Syrie. Cette barrière imperceptible de la peur,  ce déclic au fond de chacun, cette prise de conscience que les choses doivent changer, et qu’il y a un prix pour qu’elles changent. Combien de temps faut- il encore ? Seuls l’avenir le dira. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un avant et un après Mohamad Abouazza pour le monde entier, un avant et un après Dara’a pour la Syrie.

     Tous le savent, le peuple et le pouvoir.  Un su silencieux mais visible dans les yeux, il va s’ancrer de plus en plus dans la société syrienne.

     Il était 1 heure du matin, le Président Syrien n’avait pas encore parlé. A cet instant, on ne savait pas quand il le ferait.  J’avais assisté durant la journée et jusqu’au tard la nuit  au cortège des voitures brandissant les drapeaux et les portraits du Président dans la capitale syrienne. La fraicheur du temps  masquait mal l’angoisse ambiante de la ville.  Un contraste entre le grand nombre de portraits et les signes extérieur de soutien au pouvoir et la quasi absence de ce pouvoir. Hormis la Conseillère Cha’ban,  aucun ministre, aucun responsable politique ne s’est exprimé  durant les premiers jours des évènements.

     Les gens dans les rues sont inquiets, méfiants. Les discussions tournent vite à l’accrochage entre les  pros pouvoir  pas trop pro et les antis, pas trop antis. Une zone grise qui se réduit petit à petit.

     Les évènements actuels vont nous envoyer chacun dans son retranchement. Le président l’a dit hier : Il n’y a pas une place pour ceux qui veulent tenir le bâton du milieu. Donc, tout dépend où placer le milieu.

      Il est temps que l’image s’éclaircisse, ai-je dit à mon ami Syrien qui m’a déposé devant chez moi. A quelques mètres  de là, une voiture banalisée avec des hommes à moitié endormis à l’intérieur. Encore une scène du passé.  Je les ai regardés rapidement sans les fixer. Un vieux réflexe, encore un.

     J’ai fixé, par contre, longuement le ciel en marchant un peu. Mon ami s’éloignait vers la ville, sa voiture n’avait pas de drapeau.  Les drapeaux ne sont plus seuls à flotter dans l’air. Il y a autre chose, ça s’appelle liberté. Peut être.

Charif RIFAI