De la Syrie à la Suède, l’odyssée de la famille Asmar – Lucas Valdenaire, à Märsta et Södertälje (Suède)

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 juillet 2014

Depuis septembre 2013, la Suède accorde un permis de résidence à vie à tous les Syriens qui demandent l’asile. Une exception en Europe. Aujourd’hui, ils sont plus de 30 000 à s’être installés dans le pays. Södertälje, non loin de la capitale, est devenue une ville refuge pour les chrétiens d’Orient. Comme pour la familleAsmar qui tente de se reconstruire dans un pays si différent du sien.

 

« On a eu la chance de ne pas être séparés, d’autres familles ont été divisées. »
« On a eu la chance de ne pas être séparés, d’autres familles ont été divisées. » | Marie Belot

Dans la salle d’attente, ils sont une dizaine devant la télévision. Tous regardent L’Odyssée de Pi : l’histoire d’un naufragé indien dérivant loin de son pays natal. Une fiction en anglais, sous-titrée en suédois, que les familles, épuisées, ne comprennent pas.

Venus de Libye, de Syrie ou d’ailleurs, ces demandeurs d’asile sont arrivés dans la nuit. Il n’y a qu’une route qui mène à l’office des migrations de Märsta, au nord de la capitale : celle qui traverse la forêt et la zone industrielle. La dernière d’un long voyage pour ceux qui fuient leur pays et espèrent construire en Suède leur nouvelle vie.

La famille Asmar a quitté la Syrie à l’automne dernier. Antoun, 54 ans, a pu venir avec sa femme, Rowaida, et leurs cinq enfants. Ils ont tout laissé. Leur maison, leur travail, « leur » Qamishli. Une ville du nord-est de la Syrie, près de la frontière turque. « Je ne pouvais plusprotéger ma famille, raconte Antoun, lunettes carrées et moustache bien taillée. Mon frère, qui habite ici, m’a supplié de le rejoindre. »

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Deux millions de livres syriennes (environ 10 000 euros) et un mois de trajet plus tard, ils atterrissent à Stockholm. Loin de la guerre, mais propulsés dans un tout autre univers.

UNE CHAMBRE POUR SEPT

En Syrie, la famille avait une ferme. Elle habite aujourd’hui au 8e étage d’un immeuble de la banlieue de Södertälje, à quelques kilomètres de la capitale. Elle n’a qu’une seule chambre pour sept. Cette ville de 90 000 âmes accueille 4 000 réfugiés syriens. Avec les Libanais et les Irakiens, ils forment la plus grande communauté de chrétiens d’Orient de Suède. La moitié des habitants a des origines étrangères, si bien qu’on appelle la ville « la petite Mésopotamie ». Beaucoup ne parlent pas suédois et sans la maîtrise de la langue, difficile de trouver un emploi. Le chômage y dépasse les 14 %, le double de la moyenne nationale.

La nourriture est moins épicée qu’en Syrie, mais comme beaucoup de Suédois, la famille Asmar ne mange pas de viande.
La nourriture est moins épicée qu’en Syrie, mais comme beaucoup de Suédois, la famille Asmar ne mange pas de viande. | Marie Belot

« Pour survivre, je connais des médecins syriens qui sont devenus chauffeurs de taxis. Mais moi, en Syrie, j’étais le patron, je ne veux pas tomber aussi bas. » À Qamishli, Antoun était à la tête d’une entreprise agricole. Rowaida était coiffeuse. Ils espèrent retrouver un travail digne et suivent assidûment le « programme national pour l’emploi », qui les oblige àapprendre la langue en échange des aides sociales. Huit heures de grammaire et de prononciation par jour. Des leçons dispensées dans une salle de classe aux murs jaunes et aux chaises bleues, couleurs du drapeau national. Les mots sont longs, les notes gutturales, l’apprentissage difficile. Rowaida n’y arrive pas. « Quand je croise nos voisins, je hoche la tête, sans comprendre un mot. Souvent, je demande aux petits de faire la traduction. »

Les enfants vont à l’école municipale. Ils ont entre 5 ans et 14 ans et apprennent plus vite que leurs parents. « Ils se sentent bien ici. Ils jouent dans la rue avec leurs copains, ce qu’ils ne pouvaient plus faire chez nous. Si l’on reste, c’est pour leur assurer un avenir loin de la guerre ». Mais Antoun et Rowaida ont du mal à se faire à leur nouveau pays. Ils ont quitté les bombardements avec l’espoir d’une vie plus sûre, plus calme, mais qui, finalement, n’est pas plus belle.

« FORMELS »

« Ce qui me manque le plus, ce sont mes proches. Ceux qui ont dû rester… » Les larmes coulent sur les joues de Rowaida. Son mari, assis à ses côtés, garde un sourire de façade.« Je n’aime pas notre routine. Les gens ici sont trop formels, trop froids. »

Le choc culturel entre la Scandinavie et le Moyen-Orient est trop fort pour la famille Asmar, loin d’être intégrée. « Les réfugiés syriens n’arrivent pas à se mélanger aux Suédois, se désole Deniz Ferian, responsable du programme pour l’emploi à Södertälje. Ils se regroupent avec leurs proches, s’entassent dans les mêmes appartements. Bref, ils s’intègrent à l’envers. »

Tous les dimanches, la famille Asmar vient prier dans la plus grande église orthodoxe de Södertälje, véritable lieu de vie pour la communauté assyrienne.
Tous les dimanches, la famille Asmar vient prier dans la plus grande église orthodoxe de Södertälje, véritable lieu de vie pour la communauté assyrienne. | Marie Belot

Engoncé dans son costume gris, Samuel Jacob, lui, ne s’inquiète pas. Le diacre de la cathédrale assyrienne orthodoxe prêche pour plus de 1 400 familles. « Que les Assyriens se retrouvent à l’église, ce n’est pas un problème, chuchote-t-il devant l’autel. Au contraire, il faut d’abord retrouver sa propre communauté pour se sentir en sécurité. L’intégration avec les Suédois, c’est la seconde étape. »

La maire social-démocrate de Södertälje, Boel Godner, s’en amuserait presque « Nous sommes la ville la plus chrétienne de Suède ! Plus de 8 % de la population va à l’église régulièrement. C’est vingt fois plus que la moyenne nationale. » Mais au fond, elle aimerait que d’autres villes assument, elles aussi, leurs responsabilités pour accueillir les réfugiés syriens. Ce serait, selon elle, l’occasion de repeupler les plaines du Nord.

Pour la famille Asmar, rassurée ici par la présence de quelques proches, hors de question d’aller vivre ailleurs. Ensemble, ils partagent leurs craintes. Comme celle du froid. Par chance, cette année, l’hiver a été doux. Les Asmar en connaîtront d’autres, sûrement plus rudes. Car ils ne repartiront pas chez eux.

Les enfants Asmar regardent un film en suédois.
Les enfants Asmar regardent un film en suédois. | Marie Belot

Les parents rêvent de retrouver leur maison de Qamishli. Mais ils ne savent même pas si elle est encore debout. Surtout, ils pensent à leurs enfants. Eux qui ne se plaignent ni du froid, ni de la nuit qui tombe un peu trop vite en hiver, ni des petits lits dans l’unique chambre, ni même de la nourriture un peu fade. Ils ont déjà un rêve : Daoud, 5 ans, veutdevenir médecin. Kerlos, 8 ans, pilote de ligne. Pour l’heure, les deux garçons sourient devant l’écran de télévision. Ils regardent un dessin animé en suédois. Sans sous-titres, cette fois.

Ce reportage est le lauréat du concours organisé par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et Le Monde.

 

source : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/19/de-la-syrie-a-la-suede-l-odyssee-de-la-famille-asmar_4441658_3218.html

date : 19/06/2014