Des dignitaires religieux instrumentalisés en Syrie par Bachar Al Assad – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 26 juin 2012

Le site All4Syria a mis en ligne, vendredi 22 juin, un article intitulé « Pour tromper les Américains, Bachar Al Assad envoie à Washington des moukhabarat déguisés en hommes de religion« . Il confirme que le chef du « seul Etat laïc » de la région ne recule devant aucune instrumentalisation, y compris celle de dignitaires religieux, pour permettre son maintien au pouvoir et assurer la survie de son régime.

Il n’est pas inutile de rappeler, avant de proposer une traduction de cet article, que le créateur de ce site d’information en ligne qui fait autorité, l’ingénieur et économiste Ayman Abdel-Nour, est syrien et membre de la communauté assyrienne de Syrie. En sa double qualité d’ami de Bachar Al Assad et de membre du Parti de la Renaissance Arabe Socialiste, autrement dit du Baath, il avait activement participé, en juin 2000, au 9ème congrès du parti au pouvoir. Il avait ainsi contribué, au lendemain du décès de Hafez Al Assad, à l’accession de l’héritier que celui-ci avait désigné au trône de la République et à l’adoption des mesures préliminaires – comme la mise à l’écart d’apparatchiks en place au Commandement régional depuis 15, 20 ou 30 ans -, indispensables à la mise en oeuvre de réformes dont il était, au sein de son parti, l’un des plus ardents promoteurs.

Ayman Abdel-Nour

Créé en Syrie en 2003, avec l’accord des autorités politiques et sécuritaires préoccupées par l’influence du site Levant News / Akhbar al Charq, créé à Londres et proche des Frères Musulmans, le site All4Syria / Kullû-nâ churakâ’ (nous sommes tous partenaires) s’est rapidement imposé comme LA référence en matière d’information concernant ce pays. La totalité des organes de la presse écrite et audio-visuelle était alors encore entre les mains du gouvernement ou du « parti dirigeant de l’Etat et de la société ». Ayman Abdel-Nour était convaincu qu’il n’y aurait pas d’avenir pour la Syrie et pour la formation politique à laquelle il appartenait sans le renouvellement des cadres du parti et de leurs modes de pensée et d’action. Il était conscient que l’ouverture du pays exigeait de faire la transparence sur les mécanismes de prise de décision et sur ses pratiques internes. Il s’est donc attaché durant des années à fournir aux Syriens qui n’en revenaient pas, des informations de première main sur le fonctionnement interne du Baath et sur la domination exercée sur les structures gouvernementales et étatiques, simple pouvoir apparent, par le complexe familio-militaro-sécuritaire détenant seul, autour de Bachar Al Assad, la réalité du pouvoir.

Ses articles, analyses et révélations, ont bientôt mis ce « baathiste de renouveau » en difficulté face aux partisans du statu quo, et en premier lieu des moukhabarat dont les pratiques illégales et les manoeuvres dangereuses ne pouvaient s’accomoder de la moindre lumière. Le temps est donc venu, en 2008, où « son ami » Bachar Al Assad lui a conseillé, « faute de pouvoir lui assurer sa protection… », de chercher refuge hors de Syrie. Depuis ses lieux d’exil successifs, il a continué à faire de son site All4Syria l’une des meilleures références pour l’information et la compréhension des évènements qui se déroulent en Syrie. Comme en témoigne la modification de son logo, qui arbore les couleurs du drapeau de l’indépendance de la Syrie à la place de celui de la Syrie baathiste, et comme l’a confirmé la création à son initiative de l’organisation « Syriens chrétiens pour la Démocratie« , il est plus que jamais engagé, aux niveaux médiatique et politique, en faveur du changement dans son pays.

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All4Syria écrit donc :

« Une source à la présidence de la République, qui a déjà fourni à All4Syria de nombreuses informations, nous a fait savoir qu’une proposition avait été rédigée par un collaborateur du Bureau de la Sécurité Nationale. Il jugeait « opportun de dépêcher à Washington le mufti de la République, le cheykh Ahmed Hassoun, et un certain nombre de religieux chrétiens, pour y rencontrer des officiels et des associations chrétiennes bien introduites au Congrès ». Il fallait « susciter leur peur pour ce que les chrétiens subissent de la part de l’opposition en Syrie, leur montrer les massacres, les photos et les témoignages de personnes coopérant avec les parties officielles, de manière à faire pression sur l’administration américaine et à modifier sa position ». Selon ce collaborateur, un certain Camille T. (qu’un visiteur du site n’a pas tardé à identifier) qui réside à Montréal, il est aussi suggéré que « le gouvernement syrien n’intervienne à aucune étape, que ce soit dans l’organisation des rencontres, dans l’invitation qui doit être adressée par une partie américaine, ou dans le financement des dépenses, puisque l’initiative doit apparaître comme émanant de la société civile ».

Cheykh Ahmed Hassoun

« Dans cette optique, le Bureau de la Sécurité Nationale a rédigé un mémorandum qu’il a adressé à la Cellule de crise, qui l’a à son tour transmis à Bachar Al Assad qui l’a accepté. Il propose que cette mission soit confiée au Dr Samer F. (aussitôt identifié par un autre internaute), un camarade d’Université du chef de l’Etat, qui habite à New York, et au Dr Yazan Kh. qui réside en Floride. Le choix s’est porté sur eux parce qu’ils sont proches de Bachar Al Assad et qu’ils ont investi dans des projets d’hôpitaux en Syrie… qui ont été stoppés. Le chef de l’Etat les a reçus à deux reprises à ce sujet. On peut donc faire avec eux un marché : ils prendront en charge le financement de la visite de la délégation aux Etats-Unis. Cela permettra de présenter le voyage comme une réponse à une invitation. En contrepartie, l’octroi des autorisations qu’ils attendent sera accéléré ».

Mgr Louqa Al Khouri

« La Cellule de crise a choisi pour composer la délégation, outre le cheykh Ahmed Hassoun, Mgr Louqa Al Khouri (vice patriarche des Grecs orthodoxes d’Antioche et de tout l’Orient), dont Michel Kilo a récemment montré en divulgant certains agissements qu’il était un agent des moukhabarat, et Mgr Joseph Al Absi (vicaire patriarcal des Grecs catholiques d’Antioche et de tout l’Orient), auquel s’applique la parole du Père jésuite Paolo Dall’oglio (récemment expulsé de Syrie sur ordres des services syriens de renseignements). Questionné par la chaîne Al Arabiya sur quelques hommes de religion, il avait déclaré : « Ce sont des moukhabarat« . On leur a donné toutes les directives nécessaires et on leur a remis des bandes vidéos ».

Mgr Joseph Al Absi

« La source s’attend à ce que la visite se déroule au plus vite, aussitôt réglées les questions logistiques et financières ».

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Voici ce que Michel Kilo disait dans l’article auquel All4Syria fait référence :

« Le christianisme oriental est aujourd’hui entré dans une phase d’isolement vis-à-vis de son environnement historique et de son milieu social. Il affiche une indéniable hostilité pour tous ceux qui sont différents, qu’ils soient chrétiens ou non chrétiens. Il pratique une sorte de racisme confessionnel qui fait du « chrétien » une créature supérieure à celles qui n’appartiennent ni à son église, ni à sa religion. Les princes de ces églises se rangent ouvertement du côté d’une injustice qui s’apparente à celle infligée jadis par Rome aux premiers chrétiens. Ils font alliance avec les détenteurs du pouvoir temporel et ils dressent leurs fidèles contre leurs adversaires, chrétiens y compris, qu’ils accusent d’abandonner le christianisme et la religion pour la seule et unique raison qu’ils ne sont pas avec le pouvoir, qu’ils s’opposent à lui ou qu’ils lui résistent. Un évêque de l’une des plus grandes églises de Damas est allé jusqu’à appeler des agents de la sécurité pour leur remettre des jeunes gens. Ils étaient venus protester contre le parti pris pro-régime de l’Eglise, dans la lutte que connaît aujourd’hui la Syrie, et pour attirer son attention sur les risques qu’il provoquait lorsqu’il incitait les jeunes gens et jeunes filles de son Eglise à fêter la mort de jeunes musulmans d’une municipalité proche de Damas, tués lors d’une manifestation contre le régime ».

Michel Kilo

« Pire encore, certains ont reçu des lettres de menace signées de voyous se qualifiant de « chabbiha du Christ » (imaginez à quel degré de décadence les choses en sont arrivées dans l’Eglise quand le Christ a des chabbiha !). Ils faisaient savoir à leurs destinataires que leur sort avait été décidé et qu’ils seraient tués dès que l’occasion s’en présenterait. Bien que j’aie répondu avec retenue et dans une logique de dialogue à une lettre de ce type qui m’était parvenue pour me menacer de mort, son auteur m’en a adressé une seconde pour m’indiquer qu’il allait porter plainte contre moi auprès de la Sécurité pour avoir envoyé des éléments de l’Armée Syrienne Libre le tuer. Moi qui ne sais même pas le nom de ce peureux qui imagine se grandir en se surnommant « chabbiha du Christ », qui ne connais personne dans l’ASL et qui n’ai rien à voir avec les armes et ceux qui les portent » […..].

« Si le Christ décidait de revenir aujourd’hui, la première chose qu’il ferait serait de descendre dans la rue et de participer aux manifestations réclamant la liberté et le respect de la dignité de l’homme. Il irait à Al Khaldiyeh (Homs), à Idlib et à Maaret al Numan, à Al Haffeh et à Salma, à Banias et à Douma, à Arbin et à Kafr Batna, à Al Hirak et à Al Mseifreh, pour partager la mort et les souffrances de leurs habitants. Il questionnerait peut-être de nouveau : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », c’est-à-dire « Pourquoi les as-tu abandonnés ? » Il n’accepterait certainement pas dans une Eglise portant son nom un vicaire patriarcal, Mgr Louqa Al Khouri, qui a livré aux moukhabarat cinq jeunes chrétiens et chrétiennes. Il le chasserait plutôt avec la même colère qui s’était emparé de lui devant les marchands du temple » […..].

« L’Eglise ne va pas bien. Elle est à ce point malade qu’elle ne ressent même plus les douleurs et souffrances de ceux pour lesquels Jésus le Nazaréen a donné sa vie. Le clergé doit se révolter contre ses princes. Les fidèles doivent sortir de leur silence et fuir leur Eglise qui ne perçoit plus les peines et la mort des opprimés, mais qui vit satisfaite et tranquille au milieu de la mort et des fleuves alimentés du sang des innocents. Les chrétiens doivent boycotter leur Eglise jusqu’à ce qu’elle revienne vers le peuple, vers le musulman comme vers le chrétien. C’est uniquement ainsi qu’elle sera ce qu’elle doit être : l’Eglise du Seigneur et non celle des chefs desmoukhabarat ! »

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Complément (24.06.2012)

La Foundation for Middle East Peace annonce l’organisation, le 28 juin courant, d’une rencontre avec le mufti Ahmed Hassoun et Mgr Louqa Al Khouri, sur le thème « Coexistence et dialogue en Syrie », qui se tiendra à Washington, au siège de la Carnegie Endowment for International Peace.

La Fondation aurait pu rappeler que le mufti n’a jamais été considérée comme une personnalité représentative par la majorité des sunnites syriens. Ils l’assimilent, comme le cheykh Mohammed Saïd Ramadan Al Bouti, à un simple « mufti de cour », pour sa disposition à approuver et défendre jusque dans les détails l’ensemble des positions d’un régime auquel il doit tout. Il n’a pas été élu en effet par ses pairs, mais imposé à son poste par le chef de l’Etat qui souhaitait, après la mort du mufti Ahmed Kaftaro, disposer à cette fonction d’un béni oui-oui.

Si la Fondation rappelle en revanche, pour mettre en exergue ses mérites, que Mgr Louqa Al Khouri dessert le Couvent de Sadnaya bombardé durant le présent conflit, le 29 janvier 2012, elle ne précise pas que ce bombardement a été le fait de l’armée syrienne, qui encerclait à cette époque le village de Asal al Ward, situé sur le plateau surplombant le village. Il ne s’agissait pas d’une erreur mais d’un message de mise en garde aux chrétiens sur la fragilité du sort qui serait le leur en cas de changement de régime. Elle ignore par ailleurs que le prélat n’est pas étranger à l’attaque et au caillassage de la voiture de l’ambassadeur de France à Damas, agressé et insulté le 24 septembre 2011 lors de sa sortie du patriarcat grec orthodoxe par des chabbiha. Ils avaient été avertis de sa présence par celui qui espère, en échange des bons et loyaux services qu’il rend aux moukhabarat, être « élu » par ses pairs… et par ces grands électeurs au poste que devrait bientôt laisser vacant son supérieur hiérarchique, le patriarche Ignace IV Hazim.

Source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/06/23/des-dignitaires-religieux-instrumentalises-en-syrie-par-bachar-al-assad/