Des Syriens blessés viennent se faire soigner en Israël – par Aude Marcovitch

Article  •  Publié sur Souria Houria le 15 février 2014

De Sami, 10 ans, étendu dans son lit, on remarque deux choses : les deux moignons qui lui servent désormais de jambes, coupées au-dessus des genoux, et son regard qui semble accuser la Terre entière. Avec son cousin de cinq ans son cadet, lui aussi amputé, sa mère et sa grand-mère, ils ont été conduits ici, à l’hôpital Ziv de Safed, après s’être présentés devant la barrière qui marque la frontière entre la Syrie et Israël. «Là-bas, ils tirent tout le temps, les avions bombardent sans arrêt, il n’y a plus d’humanité», raconte la grand-mère, fichu sombre et yeux verts fatigués.

Il y a un an, un groupe de sept Syriens blessés a pour la première fois bravé le tabou des relations avec l’ennemi israélien en venant demander de l’aide devant la clôture hermétiquement close entre les deux pays. Ordre a été donné aux soldats israéliens de les laisser entrer. Depuis, les victimes de la guerre qui déchire la Syrie se sont passé le mot et plus de 600 personnes ont été soignés en Israël, avant d’être reconduites, quelques mois plus tard, à la frontière. Parfois, une note du médecin syrien qui a prodigué les premiers soins est épinglée à leurs habits, décrivant le protocole suivi.

«Depuis l’été dernier, on en reçoit de plus en plus, une centaine par mois», commente Tarif Bader, le commandant sanitaire de l’armée israélienne pour la région Nord. La majorité sont des hommes, mais des femmes et des enfants ont été pris en charge, la plupart victimes de bombardements. Quatre hôpitaux du nord d’Israël participent. «Leurs traumatismes psychologiques et leurs blessures sont pour eux des chocs bien plus graves que de se retrouver dans un hôpital de l’ennemi», relève Michael Harari, pédiatre à l’hôpital Ziv.

Dans cet établissement israélien, la moitié du personnel soignant parle arabe : un tiers sont des druzes, un tiers des Arabes israéliens et un tiers des juifs israéliens. Certains médecins druzes connaissent eux-mêmes la Syrie pour avoir étudié à Damas, grâce à un accord qui permet aux habitants du plateau du Golan, occupé par Israël, de suivre une formation dans leur patrie. A l’hôpital Ziv, impossible de rencontrer les hommes syriens, pour éviter que leur identité ne soit révélée et les mettre ainsi en danger une fois de retour chez eux. Certains auraient été exécutés à leur retour en Syrie. Tous racontent qu’ils ont été soignés en Jordanie. Dans l’entrebâillement de la porte d’une chambre, on aperçoit pourtant trois de ces hommes avec une barbe fournie. «On soigne tout le monde ici, indique Michael Harari. Et, oui, on a eu des jihadistes. C’est un peu effrayant parce qu’ils sont contre nous, contre les juifs.»

source : http://www.liberation.fr/monde/2014/02/02/des-syriens-blesses-viennent-se-faire-soigner-en-israel_977305

date : 02/02/2014