Emmanuel Macron justifie son « aggiornamento » au sujet de Bachar Al-Assad

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 juin 2017

Au nom de la lutte contre le terrorisme, le président français entend éviter le démantèlement de l’Etat syrien et ne demande plus le départ du dictateur pour organiser une transition politique.

LE MONDE | 22.06.2017 à 15h37 • Mis à jour le 22.06.2017 à 16h09 |Par Marc Semo

 

Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, le 22 juin à Paris.

Le changement de ton était déjà palpable à Paris. L’objectif est de débloquer les négociations sur la Syrie et de trouver une solution politique à un conflit qui a fait plus de 350 000 morts en six ans et six millions de réfugiés, déstabilisant toute la région. Mais ce qui restait implicite est désormais affirmé haut et fort par le chef de l’Etat lui-même. « Le vrai aggiornamento que j’ai fait sur ce sujet est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar Al-Assad était un préalable à tout, car personne ne m’a présenté son successeur légitime », a affirmé Emmanuel Macron dansune longue interview accordée au Figaro et à sept autres journaux européens, publiée jeudi 22 juin.

A Versailles, déjà, le 29 mai, à l’issue de ses entretiens très francs avec Vladimir Poutine qui ont porté aussi sur la Syrie, le nouveau président n’avait pas rappelé explicitement, à la différence de François Hollande, que « Bachar Al-Assad ne peut représenter l’avenir de la Syrie ». Il avait tenu le lendemain à rassurer les représentants de l’opposition syrienne en exil, reçus à l’Elysée, sur la volonté française d’aider à une « transition politique inclusive », comme le prévoit la résolution 2254 de l’ONU, et sur son engagement pour le départ du dictateur syrien à l’issue du processus.

Mais ce n’était clairement plus la priorité. Lorsque le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu à Moscou le 20 juin pour rencontrer son homologue russe, Sergueï Lavrov, il n’a été fait aucune mention du sort de Bachar Al-Assad, dont le nom n’a même été évoqué pendant les quatre heures de discussion.

« Pragmatisme »

Il ne s’agit pas pour autant d’un virage à 180 degrés. Déjà, depuis près de deux ans, le départ du dictateur n’était plus un préalable aux discussions pour une solution politique, menées à Genève. Mais, pour Paris, comme pour les capitales occidentales et arabes qui ont soutenu la rébellion, il était et reste évident qu’il sera impossible d’arriver à une véritable paix et à une stabilisation en Syrie avec le maintien au pouvoir d’un dictateur qui est le principal responsable des centaines de milliers de morts causés par le conflit et qui n’avait pas hésité, parmi de nombreux autres crimes, à utiliser des armes chimiques contre sa propre population.

« Personne ou presque, sinon les Russes ou les Iraniens qui n’en ont guère les moyens, ne donnera en outre d’argent pour la reconstruction d’une Syrie dévastée par la guerre si le processus de transition débouche sur un simple replâtrage du régime », rappelle un diplomate. Mais on reconnaît désormais à Paris que « l’insistance à demander la tête de Bachar avait fini par devenir contre-productive ». Diplomatiquement, en effet, rien n’avance et on semble désormais estimer que « Genève ne sert pas grand-chose ». Il est significatif que dans son entretien, Emmanuel Macron, tout en évoquant l « la nécessité d’une feuille de route diplomatique et politique » n’ait pas mentionné une seule fois l’ONU et la résolution 2254, votée par le Conseil de Sécurité en 2015 et considérée comme le cadre de référence obligé d’un règlement du conflit.

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Le langage a changé. Depuis un mois, la diplomatie française insiste sur le fait que « la priorité est la lutte contre le terrorisme et l’éradication de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] » et qu’il s’agit d’éviter le chaos et que la Syrie ne devienne « un Etat failli ». Ce ton nouveau est parfaitement audible à Moscou, alors que la France veut pleinement revenir dans le jeu pour l’après-EI. Le contexte est en effet favorable pour tenter de trouver « une voie originale de sortie de crise en misant sur le pragmatisme », estime-t-on à Paris, préparant ainsi le terrain à un changement de paradigme sur le dossier syrien.

Accalmie militaire relative

Les négociations de paix d’Astana, menées sous l’égide de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, doivent reprendre le 4 juillet, et celles de Genève, sous la supervision des Nations unies, une semaine plus tard. « La priorité est la lutte contre le terrorisme (…), mais seule une transition politique inclusive, sauvegardant l’intégrité et l’unité du pays, permettra de mettre fin à ce conflit, et il faut que les Russes s’engagent plus nettement »,rappelle Paris. Moscou aurait de bonnes raisons de le faire. Les accords signés, il y a deux mois à Astana, pour créer quatre « zones de désescalade », notamment autour d’Idlib, ont débouché sur une accalmie militaire relative. Mais Vladimir Poutine, qui avait sauvé le régime avec son intervention militaire en septembre 2015, n’a pas réussi à transformer ses victoires militaires sur le terrain en succès politique. Malgré la propagande des médias russes, une partie croissante de l’opinion s’inquiète d’un possible enlisement et d’un « nouvel Afghanistan », ce qui est gênant avant la présidentielle russe de mars 2018. A cela s’ajoute une politique américaine en Syrie pour le moins illisible. Il y a donc, pour le président français, avec l’attente qu’il suscite sur la scène internationale, une réelle opportunité d’action.

« Coriace et franc »

« Je pense que les Russes respectent en Emmanuel Macron un adversaire coriace et franc », notait l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine. A Versailles, le président français avait montré sa détermination dans ses échanges avec son homologue russe, affirmant qu’il était prêt à ce que la France mène, y compris seule, des frappes aériennes contre ceux qui, en Syrie, utiliseraient l’arme chimique. C’était un signal d’autant plus clair de fermeté que seul le régime dispose d’une aviation à même de lancer des bombes avec du gaz sarin, comme lors de l’attaque du 4 avril à Khan Cheikhoun, qui a fait 88 morts. Le chef de l’Etat est revenu sur l’argument dans son interview du 22 juin. « Quand vous fixez des lignes rouges, si vous ne savez pas les faire respecter, vous décidez d’être faible », a t il déclaré, affirmant : « Si nous savons en retracer la provenance, alors la France procédera à des frappes pour détruire les stocks d’armes chimiques identifiés. » Et de rappeler le précédent de 2013 et la dérobade de l’administration de Barack Obama, qui a « affaibli la France » et encouragé Vladimir Poutine sur d’autres théâtres d’opération, notamment l’Ukraine.

De tels propos engagent. Concernent-ils seulement l’utilisation d’armes chimiques sophistiquées comme notamment le gaz sarin ? A l’automne 2013, afin d’éviter les frappes américaines et françaises, le régime s’était engagé à démanteler son arsenal chimique sous contrôle international, ce qui a été fait en grande partie, même s’il en a conservé, comme en témoigne l’attaque de Khan Cheikhoun. D’où, d’ailleurs, l’espoir de la diplomatie française d’obtenir la coopération du Kremlin « pour finir ce travail de démantèlement resté inachevé ».