En écartant le départ d’Assad, l’Elysée choque les opposants syriens 

Article  •  Publié sur Souria Houria le 24 juin 2017

Plus d’information sur l’imagePortrait de Bachar el-Assad dans les ruines d’Alep, janvier 2017.  © ALI HASHISHO / Reuters

Publié jeudi 22 juin 2017 à 21:18, modifié vendredi 23 juin 2017 à 07:24.
Annonçant un «aggiornamento» de la politique française sur la Syrie, le président français Emmanuel Macron écarte officiellement l’idée d’un départ de Bachar el-Assad. Une position qui va de pair avec une volonté affichée de pactiser avec la Russie

Au sein de l’opposition syrienne à Bachar el-Assad, c’est la consternation. Dans l’interview qu’il a accordée mercredi à plusieurs journaux étrangers, dont Le Temps, le président français, Emmanuel Macron, a explicité les lignes de force qui guideront sa politique étrangère, laissant une très vaste place à la Syrie, comme si ce thème constituait en réalité le cœur même de l’entretien.

A lire: l’interview d’Emmanuel Macron au Temps 

Evoquant un «aggiornamento», le chef de l’Elysée a écarté l’idée que «la destitution de Bachar el-Assad était un préalable» à une solution en Syrie. La fin d’un retournement complet pour la France qui, jusqu’à il y a peu, était encore parmi les rares Etats à réclamer avec véhémence le départ du président syrien.

«Digne de Donald Trump»

La déception est d’autant plus grande pour les opposants syriens que, au cours de la campagne présidentielle française, Macron apparaissait pratiquement comme le seul candidat (avec Benoît Hamon) à défendre une ligne ferme sur cette question. Aussi bien François Fillon que Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen avaient démontré une grande compréhension à l’égard de la Russie, alliée du régime de Damas. Mercredi, le nouveau président français se plaisait à souligner, lui aussi, des «convergences» avec le président russe, Vladimir Poutine, et disait partager avec lui deux priorités en regard de la guerre syrienne: combattre le terrorisme et éviter que la Syrie ne «devienne un Etat failli».

 

Venant d’un Etat qui se proclame un pays de valeurs, c’est une insulte à l’égard du peuple syrien

Comme d’autres, Salam Kawakibi, chercheur en sciences politiques et directeur adjoint de l’Arab Reform Initiative établi à Paris, n’en revient pas: «La Syrie est un Etat failli depuis très longtemps, depuis bien avant le déclenchement de la révolution [dont la répression a conduit à la guerre]. Ici, il n’y a pas d’Etat, mais un régime dictatorial qui s’est approprié du pouvoir et des ressources. Tout cela, c’est le b.a.-ba de la situation.»

Une phrase a particulièrement choqué ceux qui se battent pour un changement de régime et qui y voient la seule option pour mettre fin à la guerre. Emmanuel Macron en convenait: «Bachar el-Assad est l’ennemi du peuple syrien.» Mais il ajoutait, en parlant de la France: «Il n’est pas notre ennemi.» «Venant d’un Etat qui se proclame un pays de valeurs, c’est une insulte à l’égard du peuple syrien», affirme Salam Kawakibi, qui fut aussi le directeur de l’Institut français du Proche-Orient à Alep. «Cette manière de faire la distinction entre les intérêts de la France et la défense des droits de l’homme est digne de Donald Trump.»

Privilégier la lutte contre le terrorisme

Vis-à-vis de la Syrie, la France avait déjà entamé un virage notable, à la suite des attentats qui l’ont frappée et qui l’ont amenée à privilégier la lutte contre le terrorisme au-delà de toute autre considération. Dans l’achèvement de cette volte-face, certains voient la patte d’Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères, qui prône la «realpolitik» vis-à-vis de Damas et surtout de son protecteur russe.

Peu avant qu’Emmanuel Macron accorde ce premier entretien depuis le début du quinquennat, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, faisait assaut d’amabilité lors d’une visite à Moscou, appelant à renouer les liens entre les deux pays et à travailler ensemble «dans un esprit de confiance».

Personne ne m’a présenté son successeur légitime

Emmanuel Macron

Dans l’immédiat, Emmanuel Macron a insisté sur le fait qu’une destitution de Bachar el-Assad était d’autant plus difficile à envisager que «personne ne m’a présenté son successeur légitime». Une formule qui laisse planer le doute sur la pertinence, aux yeux des responsables français, de poursuivre les discussions qui se tiennent à Genève depuis un lustre afin, principalement, de mettre en place une «transition politique». Ces discussions regroupent le pouvoir de Damas et une opposition qui, jusqu’ici, était considérée précisément comme «légitime» par ses soutiens internationaux, dont la France.

Deux lignes rouges

Comme il l’avait déjà fait lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine en avril, Emmanuel Macron a établi deux «lignes rouges» à ne pas dépasser dans le conflit syrien, sous peine de représailles françaises: l’utilisation d’armes chimiques et l’accès de l’aide humanitaire. On estime que les armes chimiques ont causé la mort de quelque 2000 personnes en Syrie. «C’est une mascarade», tempête Salam Kawakibi, en évoquant le chiffre d’un demi-million de morts dus aux bombes du régime.

Quant à l’accès de l’aide humanitaire dans les zones assiégées par l’armée syrienne et ses milices, il concerne au moins 600 000 personnes, et il est rendu impossible, depuis des mois, par les «empêchements bureaucratiques, le manque de permis et d’autorisations délivrés par le gouvernement», détaillait la semaine dernière le responsable de l’ONU Jan Egeland.