En grande partie inaperçue, Ma’arat al-Numan, en Syrie, repousse un régime

Article  •  Publié sur Souria Houria le 28 février 2012

Traduit de l’anglais par SouriaHouria

La ville à proximité de la frontière turque est engagée dans un bras de fer avec les forces du président Bachar El-Assad depuis des mois. Elle continue de lutter, et de creuser des tombes.

Ma’arat al-Numan, Syrie – Le premier coup de feu, apparemment tiré par un tireur embusqué du gouvernement, a dispersé les enfants qui s’étaient rassemblés près d’une paire délaissée de manèges de parc d’attraction rouillés.

Le second tour, une forte explosion venant d’un véhicule blindé de fabrication russe, a provoqué une bousculade générale. Les commerçants ont fermé leurs vitrines avec des grilles métalliques, les hommes âgés ont abandonné leur partie d’échecs sur le trottoir, et des passants ont aidé un jeune garçon qui vendait des pommes à remballer à la hâte sa charrette à bras.

Des cris et le chaos s’en sont ensuivis tandis que de jeunes hommes sautaient à l’arrière de motos ou au fond de camions pick-up, tous courant en direction des tirs. Certains portaient des fusils d’assaut, d’autres n’étaient armés que de leur zèle.

Une grande partie l’attention internationale en Syrie s’est focalisée sur des points chauds tels que la ville assiégée de Homs. Mais, en grande partie dissimulé à la vue, le foyer agricole de la province d’Idlib, le long de la frontière turque, est devenu l’une des zones les plus disputées du pays.

A Ma’arat al-Numan, stratégiquement située sur la route principale entre deux villes majeures de Syrie, Alep et Damas, les rebelles vaguement liés à l’armée syrienne libre, un groupe insurgé basé sur le côté turc de la frontière, se défendent contre les forces de sécurité.

Les rebelles semblent contrôler la plupart des quartiers résidentiels, où des représentations du drapeau tricolore de l’opposition sont peintes à la bombe sur d’innombrables murs. Mais les postes de contrôle militaires et les tireurs embusqués soigneusement positionnés contrôlent deux artères principales qui se croisent dans la ville. Le gouvernement du président Bachar el-Assad semble déterminé à conserver ces deux routes principales et à tirer à l’occasion dans les quartiers rebelles, maintenant les gens à l’intérieur. Les insurgés désarmés se mobilisent, mais ils ne choisissent pas toujours de se défendre.

Les habitants affirment que cela se passe de cette manière depuis des mois.

Les villages environnants sont aussi disputés que des carrés sur un échiquier: Les rebelles repoussent régulièrement les forces de sécurité. Mais les troupes gouvernementales restent généralement à un village ou deux de distance, prêt à reprendre le contrôle.

Les habitants, principalement des musulmans sunnites, semblent largement soutenir le mouvement visant à renverser Assad, dont la communauté alaouite, une émanation de l’Islam chiite, domine les échelons supérieurs du gouvernement et son appareil de sécurité.

« Puisse Dieu les opprimer comme ils nous oppriment », a déclaré une femme connue sous le nom d’Oum Hamadi, berçant dans ses bras son petit-fils nouveau-né. Le père [du bébé], son fils, a passé  six mois en prison pour activisme anti-gouvernemental, dit-elle. «Celui qui opprime finira par être refoulé. »

« Oum Hamadi », ou « Mère de Hamadi », est la matriarche de plus d’une douzaine de femmes et d’enfants vivant dans un appartement de trois chambres, dans le quartier de Gharbiya contrôlé par les rebelles, sur le bord ouest de la ville. Hamadi, son fils aîné, a été abattu par un tireur embusqué en janvier et s’est vidé de son sang, dit-elle. Un beau-fils a été tué en mai lors d’une manifestation.

Quatre de ses fils luttent aux côtés des rebelles. Un autre, faisant son service militaire obligatoire dans l’armée, près de Damas, a passé deux mois en prison pour avoir refusé de prendre part à des actions militaires, a-t’elle déclaré.

Ce matin, cette ville d’environ 120.000 personnes s’est réveillée avec des nouvelles macabres. Les corps de trois hommes avaient été trouvés sur une route hors de la ville. Un militant de l’opposition a déclaré que leurs têtes avaient été ouvertes d’un côté à l’autre dans leur partie supérieure. Personne ne sait qui ils étaient , mais la découverte a accru la peur et l’incertitude qui ont paralysé la ville.

Le long de Corniche Street, une artère commerçante majeure , certains magasins sont restés ouverts, mais leurs propriétaires se tiennent seul sur les pas de portes. Même si les gens osent quitter leur domicile, ils ont peu à dépenser. Les habitants disent que les économies sont dépensées pour des armes.

« Tout notre argent est allé à la révolution », a déclaré Mustafa Saïd, 30 ans, un barbier. « Les femmes ont vendu leur or et les hommes collectent de l’argent auprès de leurs amis.  »

L’eau courante et le service d’électricité sont peu fréquents, comme dans la plupart de la Syrie, avec des pannes prolongées. Le combustible est rare. Les élèves ont cessé de fréquenter l’école. Les forces gouvernementales ont repris récemment un bâtiment sratégique de la faculté à une école primaire, et un drapeau syrien en lambeaux volette maintenant sur son toit. Un habitant bénéficiant d’une vue sur le bâtiment a signalé avoir vu des tireurs embusqués là-bas.

Quand les manifestations antigouvernementales ont éclaté en Syrie en mars dernier, les gens ici sont descendus dans les rues en signe de solidarité. Ils ont été accueillis avec des gaz lacrymogènes et des jets de tuyaux d’eau à haute pression, ont indiqué des habitants. La répression s’est construite au fil du temps, comme l’a fait la résistance.

En août, déclarent des habitants, l’armée s’est installée en grand nombre dans la ville.

Pendant des semaines, les troupes ont attaqué des maisons et emporté des jeunes hommes, dit une femme connue sous le nom d’Oum Abdallah, un professeur particulier de mathématiques qui a quitté la ville il y a quelques mois pour Alep, métropole du nord de la Syrie, qui est encore relativement calme.

Tandis que le gouvernement étendait son contrôle sur Ma’arat al-Numan, ont indiqué des habitants, de nombreux hommes ont fui vers les villages environnants ou à Alep.

Dans la clandestinité, les hommes de Ma’arat al-Numan, avec quelques soldats qui avaient fait défection et gagné l’opposition, ont commencé à s’organiser et à s’armer.

Maintenant, dans les quartiers sous contrôle de l’opposition, les rebelles passent à toute vitesse dans des berlines Kia neuves et des SUV, parmi les 36 qui ont été détournées sur la grand-route il y a deux semaines, a déclaré Saeed, le barbier. Il dit qu’ils appartenaient à l’un des proches d’Assad qui prévoyait de les vendre en Irak. Les rebelles ont consulté un cheikh et on leur a indiqué que dans la mesure où les véhicules appartenaient au gouvernement, il était permis d’un point de vue religieux de s’en emparer.

Pendant ce temps, un réseau d’habitants anciens et actuels récolte des fonds pour des centaines de familles dont les maris ou les pères ont été tués ou ont pris les armes, a déclaré Oum Abdallah, qui a trois fils qui soutiennent les rebelles, deux d’entre eux en prison actuellement. Chaque famille éligible reçoit environ 5.000 livres syriennes par mois – moins de 100 $.

La semaine dernière, le soulèvement a coûté la vie à 43 civils ou militants de l’opposition dans la ville, ont indiqué des habitants.

Dans une allée, le sang d’un homme, dont les habitants disent qu’il a été tué deux jours plus tôt, tâche encore un mur et la saleté dessus.

Et le compte augmente: Une femme enceinte de huit mois, la femme d’un cheikh pro-gouvernemental. Elle a été transportée dans un hôpital, où les médecins ont tenté en vain de sauver sa fille à naître, qui souffrait également d’une blessure par balle.

Un chauffeur de taxi d’une quarantaine d’environ quarante-cinq ans, Abdulbasit Ghanom, abattu dans sa voiture.

Peu de temps après l’appel à la prière du soir retentissant des mosquées de la ville, les hommes se frayèrent un chemin dans la maison du conducteur pour présenter leurs respects et se recueillir. Le corps de l’homme couché sur une couverture, un petit trou dans son estomac. Sa main droite pendait à partir d’un poignet qui avait été à moitié arraché par le tir. Du sang barbouillait son visage.

A l’extérieur, des tirs sporadiques brisaient le silence.

Le matin suivant, tandis que la majorité de la ville s’activait toujours, les hommes de Ma’arat al-Numan ont creusé trois tombes dans le cimetière. L’une d’elles était minuscule.

 

source: http://articles.latimes.com/2012/feb/23/world/la-fg-syria-standoff-20120223