En Syrie, la résistance par le bac – par Garance Le Caisne

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 août 2013

Batoul Amer, lycéenne en filière scientifique, jeudi, au centre d'examens d'Alep. (DR)

C’est une première depuis le début de la révolution, les lycéens des régions sous contrôle des rebelles viennent de démarrer les épreuves du baccalauréat dans la clandestinité.

« Baccalauréat. Alep libérée, 15 août 2013. » Dans le centre d’examen Sakhr Hallaq, le tableau blanc d’une classe affiche la couleur. Une dizaine de lycéennes en filière scientifique viennent de plancher dans la salle sur l’épreuve de biologie. Parmi elles, Batoul Amer*. La jeune fille de 17 ans sourit : « Cela n’a pas été facile de réviser et de se concentrer, avec les bombardements. Mais je suis contente, car nous sommes maintenant à égalité avec les élèves qui vivent dans une zone contrôlée par le régime. Nous aussi nous aurons notre bac. »

Sur les 9.484 jeunes Syriens qui ont réussi à s’inscrire, 6.900 à l’intérieur de la Syrie (et 1.100 en Turquie, au Liban ou en Jordanie) ont pu rejoindre l’un des 113 sites d’examen. Les épreuves se déroulent sur quatre jours jusqu’au 29 août. Jusqu’à présent, seuls les élèves des zones tenues par le régime ont pu passer leur bac. Alep la rebelle prépare les épreuves depuis plusieurs mois. « Il faut que les jeunes continuent d’étudier, ils représentent l’avenir du pays », explique Abdulkarim Anis, responsable de l’éducation et la culture au conseil local de la grande ville du Nord. « Plus les esprits seront ouverts et éduqués, mieux on se débarrassera de la tyrannie et de l’obscurantisme, moins la période qui suivra la chute du régime sera dure. »

Un rapport de l’Unicef de mars sur les enfants syriens évoque « une génération sacrifiée ». Des dizaines de milliers d’enfants ont perdu une ou deux années de scolarité. Une école sur cinq ne peut plus accueillir d’élèves. Détruite, endommagée, transformée en foyer d’accueil pour réfugiés, en caserne pour les rebelles côté opposition ou centre de détention côté gouvernemental…Dans les régions où se sont réfugiés des centaines de milliers de déplacés, les écoles encore ouvertes sont surchargées avec des classes dont les effectifs frisent les 100 élèves parfois. Dans les zones de combats, comme Alep ou Idlib, de nombreux lycéens ne vont plus en cours. « Dans ma classe, beaucoup sont partis ou avaient peur de venir à cause des bombardements. On n’était plus que 12 sur 40 », raconte Mahmoud Hamamy, qui a passé la première épreuve jeudi.

Regardez les premières images du baccalauréat :

La validation de Fabius

Avoir son bac, oui, encore faut-il qu’il soit validé à l’étranger. La France va le faire. Invitée par le Comité d’aide humanitaire au peuple syrien, basé à Metz, une délégation de représentants d’Alep est venue à Paris fin juin. Ils ont rencontré le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et Éric Chevallier. « La reconnaissance de l’examen est un message à la jeunesse », précise l’ancien ambassadeur de France à Damas, toujours en charge du dossier syrien au Quai d’Orsay. « Cette jeunesse peut se projeter dans l’avenir, il y a une lueur d’espoir en Syrie. »

Une fois les épreuves notées par des professeurs syriens, la France va récupérer près de 5% des copies de langue arabe et de mathématiques. Elles seront recorrigées et validées par l’Éducation nationale. L’université de Strasbourg a déjà promis de donner quatre bourses aux meilleurs bacheliers qui souhaiteraient poursuivre leurs études en France. En leur offrant d’abord des cours de langue française puis un cursus universitaire entier. Le gouvernement français étudie la possibilité d’en accorder d’autres.
Bassem Ayoubi aurait bien voulu que sa sœur de 17 ans passe ce bac pour avoir la chance d’aller en France. Le jeune homme de 21 ans travaille pour une ONG et sa famille est réfugiée depuis un an à Antakya, en Turquie. Là-bas, sa sœur n’a pas pu aller à l’école. Quand Bassem a appris la semaine dernière qu’il pouvait passer le bac libyen, il a préféré jouer la sécurité et s’est inscrit avec elle. Les épreuves lui semblent faciles après ces mois sans cours. « Je suis inquiet pour ma sœur, reconnaît le garçon. Moi, je pourrais toujours me débrouiller pour trouver un travail sans diplôme, mais pour elle, en tant que femme, c’est important d’en avoir un. Pour être secrétaire, employée, poursuivre ses études quelque part. Les études sont une arme. »

Un centre d’examens bombardé

La journée de jeudi, premier jour d’épreuves, a été tendue à Alep pour les organisateurs. Près de 450 lycéens sont venus passer l’examen dans quatre sites. L’un des sites a d’ailleurs dû être changé après avoir été détruit par un bombardement du régime il y a deux semaines. Comme les hôpitaux ou les boulangeries, les écoles sont visées par l’armée loyaliste. Une manière d’empêcher tout retour à la vie normale dans les zones tenues par l’opposition. « Le pouvoir veut montrer à la population qu’on a besoin de lui pour gérer les villes, explique Abdulkarim Anis, le responsable de l’éducation. Gérer les zones que l’on tient, arriver à faire passer le bac aux élèves, c’est une gifle pour le pouvoir. »

Jeudi soir, Abdulkarim Anis était épuisé par sa journée de surveillance du bac, fatigué des coupures d’électricité et d’Internet. Mais le prof d’anglais ne lâche pas. Il a déjà réussi à installer des cours dans des mosquées, des sous-sols, parfois des salles des fêtes. Prochaine bataille : arriver à déloger les brigades de rebelles qui ont transformé certaines écoles en casernes. Leur demander de partir, sans se fâcher avec eux.

* Tous nos interlocuteurs en Syrie ont été contactés par Skype.

source : http://www.lejdd.fr/International/Moyen-Orient/Actualite/En-Syrie-la-resistance-par-le-bac-624602

date : 18/08/2013