En Syrie, Poutine est à la croisée des chemins par Dr. Yahya al-Aridi

Article  •  Publié sur Souria Houria le 23 février 2017

En Syrie, Poutine est à la croisée des chemins

par Dr. Yahya al-Aridi

Orient-news.net, 9 janvier 2017 – traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

 

Dans la politique ou dans le comportement de la Russie à l’international, en particulier en ce qui concerne la Syrie, il est devenu extrêmement difficile de distinguer entre ce qui relève de le tactique et ce qui relève de la stratégie… Depuis le lancement de son intervention militaire massive en Syrie, en septembre 2015, Poutine a annoncé à deux reprises qu’il réduirait ses forces militaires présentes en Syrie. Or, il s’est avéré que ces déclarations étaient du bluff ou, dans le meilleur des cas, qu’elles relevaient de la tactique : en effet, elles ont été suivies d’une intensification du déversement de puissance militaire russe dans ce pays. Un de ses généraux est allé jusqu’à clamer que l’armée russe avait expérimenté en Syrie 163 types d’armes nouvelles et que celles-ci ont apporté la démonstration de leur excellence et de leur supériorité en tant qu’armes mortelles. Poutine, c’est un fait, a réussi à faire de la Syrie un stand d’exposition pour ses armes. Les ventes d’armes russes vont augmenter, c’est certain.

C’est la troisième fois que Poutine fait une déclaration de ce type. Personne ne sait encore s’il s’agit en l’occurrence de tactique ou de stratégie. Le timing est différent cette fois-ci : la Russie aurait atteint l’apex de son succès militaire dans son aventure syrienne et nombreux sont ceux qui pensent que le temps est venu, pour Poutine,  de traduire politiquement une telle réussite.

Par ailleurs, le paysage politique international est différent : c’est un autre homme qui occupe la Maison Blanche.

Enfin, troisièmement, en Syrie, les alliances ont changé : la Turquie est puissamment entrée en scène et un choc frontal potentiel entre les intérêts russes et ceux de leur vieil allié iranien semble désormais inévitable. Même si l’annonce qu’il retirerait de Syrie était de nature stratégique (porte-avion, missiles stratégiques), Poutine dispose toujours en Syrie d’une puissance de feu inégalée, notamment du fait qu’il a dans le pays deux énormes bases militaires,  celles de Hmeimim et de celle Tartous.

Il est tout simplement largement temps pour Poutine de convertir ce succès militaire présumé en gains politiques. Mais comment Poutine pourrait-il transformer sa gymnastique tactique mortelle en une stratégie politique digne de ce nom ? La position floue et indécise de la Russie sur les violations, par les Iraniens et par Assad, de la trêve proclamée par Poutine, dans plusieurs régions syriennes, envoie un ensemble de signaux dont aucun ne reflète un quelconque sérieux ou une quelconque réflexion d’ordre stratégique.

Personne n’aurait cru ou n’aurait accepté que la Russie se montrât incapable de pénétrer dans la vallée du Barada (au nord-ouest de Damas) pour aller constater les dégâts infligés par les milices iraniennes à la source d’eau potable dont dépendent cinq millions d’habitants de l’agglomération de Damas.

Ce comportement ne traduirait-il pas un grave manque de pouvoir  ou de contrôle sur ces milices, pour les empêcher de ruiner la proposition de paix russe, ou s’agirait-il d’une tentative, de la part de Poutine, de rejeter la faute sur son ancien partenaire (l’Iran, ndt) et d’exercer une pression sur son nouveau partenaire (la Turquie, ndt), tout en essayant de s’exonérer des atrocités perpétrées en Syrie ?

Si tel est bien le cas, il faut admettre que la Russie est encore dans le monde de la tactique. Plus que quiconque, les Russes savent qui a bloqué toutes les tentatives en vue d’un règlement politique en Syrie. L’Iran et le régime Assad sont profondément dérangés par la récente initiative de paix de la Russie et ils sont prêts à faire n’importe quoi pour la faire échouer. Leur projet [en ce qui concerne la Syrie] n’est pas encore achevé. D’ailleurs, il ne le sera jamais.

 

Le fait que Poutine n’ait pas perdu de temps pour transformer son soi-disant succès militaire et réalisation politique traduit une capacité réflexive en matière de planning stratégique. En effet, lorsque l’Amérique rentrera en scène, ce qui ne saurait tarder, elle n’aura d’autre choix que celui de reconnaître ce « succès » (russe), y compris sur le plan de la politique internationale. Toutefois, s’il s’avérait que Poutine continuait à « jouer tactique » (en annonçant la réduction de la présence militaire russe en Syrie, laissant les milices de l’Iran et d’Assad détruire ce qu’il a proposé et se compromettant avec les politiques d’épuration ethnique du régime Assad), il serait le principal perdant, et tous les succès qu’il se targue d’avoir remportés commenceraient bientôt à tomber en ruines.

C’est sa réputation qui est en jeu : Poutine est à la croisée des chemins. Se compromettre avec les pressions de l’Iran et donner à celui-ci ce qu’il veut, cela serait assurément pour Poutine le début de sa défaite en Syrie. Beaucoup attendent ce moment, non sans espoir. Poutine doit prendre ce qui sera sans doute la décision la plus difficile à prendre de toute sa carrière.

Si sa mentalité de calculateur devait lui faire défaut cette fois-ci, nombreux sont ceux qui s’en réjouiraient.

Mais pas les Syriens, qui souhaitent voir leur pays débarrassé non seulement de Poutine, mais aussi de ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues.