Encore un chrétien victime en Syrie du « régime qui protège les minorités » – par Ignace Leverrier

Article  •  Publié sur Souria Houria le 18 février 2014

Le régime syrien vient d’offrir une nouvelle illustration de la manière très originale à laquelle il recourt pour « protéger les minorités ». Le bénéficiaire de cette protection d’un genre spécial est cette fois-ci Gabriel Mouchi Kouriyeh, membre de la communauté assyrienne de Syrie.

Gabriel Mouchi KouriyehGabriel Mouchi Kouriyeh

Arrêté le 19 décembre 2013 à Qamichli par la Sécurité d’Etat, il avait été transféré à Damas et remis pour enquête à la branche 285 des Renseignements généraux. Membre de l’Organisation démocratique assyrienne, il était activement engagé, depuis le début de la révolution, dans le secteur humanitaire. Inutile de préciser que son action était strictement pacifique. Déféré devant le procureur général de Damas et interrogé, dimanche 16 février, il a été mis en détention dans l’attente d’être jugé pour délit de « contact avec des personnalités de l’opposition extérieure »… sans doute celles-là mêmes avec qui la délégation du régime affectait jusqu’à récemment de négocier à Genève.

Né à Qamichli, dans la Jazireh syrienne, en 1962, Gabriel Mouchi Kouriyeh est ingénieur agronome. Il est également écrivain et il a assumé durant quelque temps la présidence du bureau politique de l’Organisation démocratique assyrienne, dont l’intitulé résume le programme : la revendication démocratique que les Assyriens partagent avec l’ensemble de leurs compatriotes Syriens, Arabes, Kurdes, Turkmènes, Circassiens, Arméniens, etc. Il a également fait partie du secrétariat général de la Déclaration de Damas, une plateforme supra-partisane appelant à « l’instauration en Syrie d’un système démocratique et pluraliste de manière progressive et pacifique », dont le secrétaire général, Ahmed Tomeh, est actuellement premier ministre du gouvernement de transition, mis en place par la Coalition nationale des Forces de la Révolution et de l’Opposition syrien pour organiser et gérer les zones libérées.

Logo de l'Organisation démocratique assyrienneLogo de l’Organisation démocratique assyrienne

Il est plus que temps que nos responsables politiques et les membres – députés et sénateurs – des différents groupes d’amitié France-Syrie, qui s’obstinent à aborder jusqu’à aujourd’hui la situation en Syrie sous l’angle de « l’avenir des communautés minoritaires », cessent de s’aveugler. Ils doivent reconnaître la responsabilité première de Bachar al-Assad dans la mort de plusieurs centaines de milliers de ses concitoyens, dont le seul crime était précisément de vouloir enfin devenir ou redevenir des citoyens. Ils doivent cesser de reprendre à leur compte les discours de la propagande officielle et comprendre que les chrétiens – puisque c’est évidemment à eux qu’ils pensent en priorité lorsqu’ils parlent de « minorités » – ne sont pas autre chose dans la Syrie de Bachar al-Assad que des dhimmis.

Pour être « protégés », hier, dans les pays musulmans dans lesquels ils étaient minoritaires, les ahl al-dhimma – comme on les appelait alors – devaient acquitter un impôt spécial, une sorte de capitation, appelée djizya. Pour bénéficier, aujourd’hui, de la protection de Bachar al-Assad, les chrétiens de Syrie doivent lui faire allégeance. Ceux qui se plient à ce rite, participant aux manifestations de soutien au régime, reprenant avec les chabbiha le slogan « Allah, Souriya, Bachar w-bass« , ou siégeant en habits ecclésiastiques au sein de la délégation officielle à Montreux, pourront s’en féliciter. A condition de s’acquitter du ma’aloum – le bakchich au montant connu auquel nul n’échappe en vertu du dicton : « Hami-ha harami-ha« , « Qui te protège te vole » – ils pourront même trouver les portes ouvertes devant eux en ces temps difficiles dans le domaine des affaires.

L'évêque grec-catholique Mgr Hilarion Capucci (à l'extrême droite) dans la délégation du régime syrien à MontreuxL’évêque grec-catholique Mgr Hilarion Capucci (à l’extrême droite)
dans la délégation du régime syrien à Montreux

En revanche, les membres des communautés minoritaires qui refusent de faire allégeance et de reconnaître la légitimité d’un système instauré par la force et maintenu par la contrainte n’auront à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Assimilés à des ennemis, alors que c’est uniquement la confiscation du pouvoir et des ressources de l’Etat qu’ils dénoncent, ils seront poursuivis comme les membres de toutes les autres communautés trop respectueux de leurs droits civiques et politiques pour y renoncer. Ils seront emprisonnés et sans doute condamnés, comme Gabriel Mouchi Kouriyeh. Ils pourront également voir leurs biens confisqués, comme les opposants Michel Kilo, membre de la Coalition nationale, et Georges Sabra, président du Conseil national syrien. Ils pourront aussi faire l’objet de campagnes de calomnies et d’intimidations, comme l’ingénieur Ayman Abdel-Nour, créateur de All4Syria et fondateur du mouvement Syriens chrétiens pour la Démocratie. Ils pourront même, comme l’avocat Khalil Maatouq, arrêté le 2 octobre 2012, disparaître aux regards durant des mois – et jusqu’à ce jour – sans que personne ne sache pourquoi et où ils sont détenus…

Si la majorité des chrétiens, comme d’ailleurs des Syriens, restent aujourd’hui silencieux, c’est parce qu’ils ont peur. Des groupes djihadistes peut-être, mais de la férocité du régime assurément. Ils savent qu’ils s’exposeraient à des traitements dont ils constatent tous les jours depuis trois ans la sauvagerie, en dénonçant à haute voix, hors des cercles restreints de la famille et des amis, un système édifié sur des principes aux antipodes de ce que leur religion – l’islam comme le christianisme – leur enseigne. Mais ils ont conscience de la fragilité de leur position. Il pourrait leur être demandé à tout moment de sortir de leur ambiguïté et de prononcer les paroles de soutien explicite que le pouvoir attend d’eux.

Ce n’est pas sur un système autoritaire, même dirigé par des membres d’une communauté minoritaire et leurs complices de toutes les communautés, que les chrétiens, les alaouites, les ismaéliens, les druzes ou les chiites de Syrie peuvent compter pour récupérer leurs droits et leur liberté. Seule l’instauration progressive dans leur pays d’une véritable démocratie leur offrira cette garantie. Au lieu de les pousser dans les bras de Bachar al-Assad en soulignant constamment leur vulnérabilité, mieux vaut les inciter, s’ils n’ont pas le courage de s’exposer aux mésaventures de leurs compatriotes en se rangeant clairement dans l’opposition politique et en soutenant la révolution, à faire montre de neutralité, et à manifester leur solidarité avec ceux qui, en défiant le pouvoir, se battent au péril de leur vie pour l’ensemble du peuple syrien, minorités chrétiennes comprises.

source : http://syrie.blog.lemonde.fr/2014/02/17/encore-un-chretien-victime-en-syrie-du-regime-qui-protege-les-minorites/

date : 17/02/2014